A l’heure où l’Assemblée Nationale planche sur une égalité hommes-femmes plus franche – et une accession à l’avortement facilitée – des manifestations ont mis sur le devant de la scène une part conservatrice de la société, longtemps associée aux catholiques. Ces manifestations du 19 Janvier ont pu démontrer, à force de slogans, leur soutien au gouvernement de Mariano Rajoy pour son projet de loi réduisant drastiquement le droit à l’avortement.
Fin décembre, lorsque ce revirement des plus réactionnaires eut lieu au Parlement espagnol, la présidence espagnole ne s’attendait pas à une telle montée des contestations, venant même du sein du Parti Populaire dont est issu Mariano Rajoy. Cette contestation est à la hauteur de l’absurdité de ce projet de loi, auquel seulement 37 % des Espagnols seraient favorables. L’Espagne a, pour nous Français, l’image d’un pays précurseur dans l’accession aux droits sociaux, en avance sur les questions de société, ne serait-ce que pour l’extension du mariage aux couples de même sexe ou le débat sur le travail sexuel. Or, ces avancées restent récentes et fragiles.
Quelle image de la femme ce gouvernement peut-il inspirer ? Un être humain qui ne serait plus autorisé à disposer de son corps, niant ainsi la première des libertés ? Cet acquis social serait de fait retiré aux Espagnoles. Ne disposant plus de la capacité de choisir de donner la vie, de procurer à un enfant des conditions de vie acceptables et supportables, elles sont revenues des décennies en arrière. Réduites à des corps.
Si le « risque psychique » subi par la mère reste l’une des deux seules conditions pour pouvoir avorter, quel est-il vraiment ? Une malformation du fœtus, raison actuellement valable pour avorter jusqu’à 22 semaines, n’est plus prise en considération par ce texte de loi. Une femme ou un couple, qui se sait incapable de subvenir aux besoins d’un enfant handicapé, obligé, par la loi, de lui donner la vie, quelle vie s’offre à eux ? C’est l’État espagnol qui décidera à la place des hommes de leur vie future – une perspective qui fait froid dans le dos … Toutes les femmes qui y font face au cours de leur vie doivent avoir le choix, en accord avec leur conscience, d’agir comme elles le souhaitent. Leur enlever ce droit fondamental, c’est inviter une conception morale dans le débat et juger à leur place de ce qui est bon pour elles, de ce qui est juste.
Les franges les plus réactionnaires des sociétés européennes s’insurgent contre une soi-disant « banalisation » de l’avortement. Il est ridicule de croire que pour nos générations cet acte éprouvant, pour la femme comme pour l’homme, est associé à une contraception d’urgence. Ce n’est jamais anodin. Depuis l’instauration de la loi Veil en 1975, où pour 100 naissances, on comptait 34,1 avortements, nous sommes aujourd’hui à 26,4 avortements pour 100 naissances.
C’est de plus un incompréhensible rétropédalage devant les avancées de la science. Les médecins espagnols pratiquant l’IVG hors risque psychique et physique, pour la femme et le fœtus, et viol, se verront condamnés à des peines de prison pour une intervention qu’ils étaient autorisés à faire jusqu’alors. Une interruption de grossesse pour cause de malformation du fœtus ne serait acceptée que lorsque la certitude de sa mort imminente serait établie par le corps médical. Condamner l’avortement de la sorte, en vertu du respect de la « création divine », c’est fermer les yeux et donner le champ libre à toutes les pratiques illicites et forcément à grands risques.
Tout ceci pour quoi ? Un revirement conservateur par pur calcul électoral : le Parti Populaire recherche le soutien de l’Église ainsi qu’à satisfaire les membres plus réactionnaires de la société. Ceux-ci se disent horrifiés par une supposée montée du recours à l’IVG et à la perte de valeurs traditionnelles. Pour un retour aux traditions, c’est un grand pas trente ans en arrière qui vient d’être fait par la proposition de ce texte de loi devant un Parlement espagnol dont la majorité est dévouée au Parti populaire.