Fondée en 1994 à Nantes, la Folle Journée fête cette année ses 20 ans. Avec toujours la même ambition, rendre la musique classique accessible. 310 concerts, des dizaines d’artistes de toutes nationalités rendent hommage à la musique américaine du XXe siècle. Pour parler de cet évènement, Maze a rencontré la directrice générale de la SAELM La Folle Journée, la société de production de la Folle Journée, Michèle Guillosou.
La Folle Journée fête cette année ses 20 ans et pour l’occasion va rendre hommage à la musique américaine du 20ème siècle. C’est par le biais de plus de 310 concerts de différents auteurs, de différentes nationalités, mais dont le point commun est d’avoir réalisé leurs œuvres présentées ici suite à une commande américaine ou de leur propre chef, mais tout cela en rapport avec le Nouveau Monde. C’est en cela qu’elle compte remplir son objectif.
Pourquoi avez-vous créé avec René Martin les Folles Journées ?
Dans l’historique, La création des Folles Journées fait suite à l’inauguration de la cité des congrès en avril 92 au cours de laquelle René Martin s’est vu confier par Jean Marc Ayrault les séances Inaugurales. C’est à dire la programmation artistique et culturelle pour valoriser le grand auditorium. Ce fut un tel succès, René Martin avait fait jouer l’intégrale des symphonies de Beethov’ (sic), qu’à la suite de cela il a bien vu l’ampleur et la qualité de cet outil qu’est la cité des congrès.
Par ailleurs, pour rendre populaire cet outil Cité des congrès, Mr Ayrault lui a demandé une manifestation. Un festival populaire, largement ouvert à la diversité des publics, donc au plus grand nombre. Et René Martin était déjà programmateur, il avait créé par exemple le festival de La Roque d’Anthéron [NDLR : Un des plus grands festivals de piano du monde] s’est dit qu’avec cet outil il pourrait créer quelque chose d’intéressant. C’est avec ce quelque chose d’intéressant qu’il est venu nous voir et nous avons été immédiatement séduits !
Les Folles Journées sont donc une commande politique, et c’est même le mariage heureux entre la volonté politique qui donne l’argent et dit “Je veux ça“, et le talent artistique qui lui imagine et conçoit. Après vous avez la mise en œuvre de ce mariage là, eh bien…. Cela aboutit à la magnifique manifestation qu’est la Folle Journée !
Elle a commencé en 95 avec 800 artiste, 24 000 billets (ce qui était déjà inouï pour l’époque) et 38 000 euros de budget.
Aujourd’hui, la Folle Journée c’est 1800 artistes, 142 000 billets et près de 5 millions d’euros de budget.
Comme vous le voyez le festival grandit sur cette dimension là, mais aussi s’ouvre à la diversité des publics. A l’année, nous [la société de production] avons une campagne, un travail de proximité, de médiation culturelle : nous allons à la rencontre des publics éloignés de la culture et précisément de la musique classique, via beaucoup d’activités qui semblent au départ n’avoir rien à voir avec la Folle Journée mais qui ont un lien avec la musique classique, sous diverses formes.
Quel effet cela vous fait-il d’avoir créé tout cela ? Pouvez-vous me parler des coulisses de l’événement ?
Tout d’abord, la chance que j’ai eu dans cette création magnifique, c’est d’avoir été là dès le début. Je suis rentrée dans l’outil cité des congrès en mars 92 pour une inauguration en avril 92. La première Folle Journée a eu lieu les 4 et 5 février 95. Personnellement, j’ai en quelque sorte grandi avec l’événement !
Ensuite, qu’est-ce que cela me fait, me procure… Beaucoup d’émotions de savoir que je prends une part active dans la relation avec les individus dans cadre du travail de sensibilisation des individus qui ne viendraient jamais à un concert de musique classique. C’est beaucoup de satisfaction et un réconfort, sur la capacité que peut avoir la musique classique à fédérer des classes sociales aux antipodes : l’émotion, il n’y a pas besoin d’être né dans telle ou telle classe sociale pour la ressentir, c’est quelque chose d’intrinsèque à l’homme. De même que la musique est universelle, il n’y a pas besoin de parler diverses langues pour la comprendre.
C’est tout cet aspect là qui m’apporte beaucoup et nous patagons avec les équipes de la cité des congrès, bien sûr, mais aussi avec ma petite équipe (3 à l’année), mon assistante, qui est avec moi depuis 20 ans ainsi qu’une très bonne chargée de communication et un renfort.
Vous savez, la communication de la folle journée, c’est aussi d’aller chercher des produits financiers pour maintenir la politique tarifaire et ainsi faire en sorte que la diversité des publics puisse y accéder. Sachez que le budget est très “facile” : c’est 1/3 argent public, 1/3 argent privé et le reste est composé de l’argent des billetteries.
La chambre régionale des comptes a remarqué que le budget est un peu exceptionnel, en effet les folles journées ne sont pas contrairement à la culture en générale financées majoritairement par l’argent public. Nous avons pour cela un club d’entreprises (70 membres) et par ailleurs des partenaires officiels privés qui sont là depuis le début.
Selon vous, qu’est-ce qui a permis à ce festival de devenir aussi populaire, et de se démarquer d’autres festivals ?
En premier lieu, c’est grâce aux artistes qui donnent de leur temps, et qui ont des cachets contrairement aux idées tout à fait honorable (ils jouent 45 minutes), parfois ils vont jouer gratuitement dans la grande halle, ils vivent avec nous la folle journée. Ils la portent et lui apportent une atmosphère unique dans la monde, même par rapport aux autres folles journées mondiales.
L’outil ici, le concept architectural favorise cela, le centre névralgique de la cité est la grande halle avec au centre le kiosque de la folle journée, et ici tout le monde se retrouve : public, artistes, médias… C’est en quelque sorte l’agora au sens grec du terme. C’est aussi via le respect de la règle des trois unités, c’est-à-dire unité de temps, de lieu et de thème et c’est très intéressant de voir que cette règle des trois unités favorise la rencontre de l’individu avec l’artiste et la musique.
Pensez-vous que les folles journées pourraient (re)démocratiser la musique classique, surtout auprès des jeunes ?
Le mot “démocratiser”… Cela fait longtemps qu’elle est démocratisée : quand on délivre 150 000 billets en musique classique, c’est démocratisé ! Ce n’est pas le terme pour moi aujourd’hui, je dis ouvrir à la diversité du public, c’est la vraie question.
Aujourd’hui, avec les campagnes de médiation, on réussit à ramener du public (qui a d’ailleurs un tarif préférentiel).
Mais plus encore aujourd’hui nous menons une politique d’insertion professionnelle. Nous avons à cœur d’embaucher à l’instant T des personnes en situation de recherche d’emploi. Ça a été le cas pour l’embauche de la billetterie le weekend dernier où j’ai donné à un nombre de personnes en réel besoin un emploi. Cela se fait via des agences d’intérim spécialisées (exemple : isérim) qui embauchent des gens qui ont vraiment besoin de se remettre dans un contexte de travail d’entreprise et de pouvoir coucher sur leur CV une expérience un peu unique.
Second point, dans mes contrats avec mes fournisseurs, je place une clause d’insertion, c’est-à-dire qu’ils doivent faire la même chose que moi et au moment où ils doivent embaucher, ils s’occupent de prendre en charge les personnes qui en ont besoin.
Et je ne m’en tiens pas là, j’accompagne des jeunes de l’école de la 2ème chance : nous avons fait une campagne marketing la semaine dernière pour le lancement de la billetterie et ils ont travaillé 15 jours dans l’argument marketing et ont réalisé un flyer, puis sont allés à la rencontre d’une cible particulière. Cela a bien évidement pour objectif de valoriser l’ouverture la billetterie, mais aussi leur faire travailler l’argumentaire et apprendre à se présenter car ils veulent tous travailler dans l’accueil, le commerce, etc. Je permets aussi aux apprentis d’Auteuil de faire leur stage d’hôtellerie lors de la folle journée dans le Novotel qui jouxte avec la cité.
La société fait aussi partie de l’association FACE [NDLR : Fondation Agir Contre l’Exclusion] qui aide non pas des personnes en situation de précarité, mais des habitants de Nantes et lutte contre l’exclusion. Avec ces habitants de Nantes a été créé le journal Koncerto qui permet de faire circuler l’information là ou elle n’irait pas lors de la folle journée.
La démocratisation telle que je la vois c’est cela : c’est aller à la rencontre du public, lui confier quelque chose, pas des places gratuites, rien n’est gratuit, mais par contre les leur donner à tarif préférentiel en fonction de leur situation.
C’est quoi pour vous la musique classique ? Et depuis quand vous y intéressez-vous ?
Pour moi, c’est déjà un registre qui nous permet de partager des émotions, de nous cultiver, nous évader… C’est un lien inouï entre ce qui n’est pas concret, c’est ce qui permet de nourrir son intellect, contrairement à la lecture, on ne la comprend pas, on la vit de l’intérieur. Mais c’est la musique en général, j’aime aussi Dépêche Mode, U2, Les Cure… Mais pour moi, cette musique constitue une étape de mon existence. Vous voyez, j’aime bien écouter un tango pour peu qu’il soit bien interprété et qu’il me crée des émotions. Mais la musique classique dite classique, c’est une musique d’évasion mais qui aussi a un passé d’enfant. J’ai grandi dans une famille où la pratique en amateur était très développée, mais je n’ai jamais pu y participer ! Je me rattrape en quelque sorte, en écoutant un peu et en partagent beaucoup.
Comme je vous l’ai dit, c’est dès mon plus jeune âge que je m’y suis intéressée, mais sans l’avoir pratiquée, sans l’avoir intégrée dans mon existence au quotidien. Je suis de la génération Beatles ! Je le revendique mais cela ne n’a pas empêché d’écouter un petit peu de musique classique !
Quels seraient les 10 compositeurs que vous nous conseilleriez ?
J’ai des goûts très particuliers, ce sont plutôt des œuvres que j’aime, mais cela va être des œuvres très connues pour le coup :
L’intégrale des symphonies de Beethov’ (sic) dont je ne me lasse pas.
Il y a aussi les impromptus de Schubert qui sont des musiques que l’on a beaucoup entendues dans des films, du coup cela évoque beaucoup de choses.
La symphonie fantastique de Berlioz : pour moi c’est une révolution !
Ensuite il a des œuvres extrêmement populaire aussi, dans le registre qu’on va entendre [aux folles journées 2014] il y a la symphonie du nouveau monde de Dvorák, les concertos de Rachmaninov, je ne m’en lasse pas. Et puis à coté de ça j’aime beaucoup écouter la musique de Star Wars, car j’aime beaucoup cette série et plus particulièrement Le Retour du Jedi. Comme vous le voyez, je suis très éclectique, je ne suis pas dans le classicisme.
Pensez-vous que la musique puisse être dépassée ?
Mais elle est dépassée ! Au quotidien elle est dépassée ! Pensez-vous que le rock n’ roll soit classique ? Non ! Mais peut-être que dans un siècle cela pourra être de la musique classique. Je pense que classer la musique, le classicisme c’est extrêmement compliqué… D’ailleurs, le festival la folle journée, il n’est pas essentiellement classique. On est dans le caractère très contemporain : quand vous entendez la panthère rose, est-ce que vous pensez écouter de la musique classique ? Donc, ce que j’aimerais, c’est un rêve, c’est qu’on évite de mettre dans des catégories, car on ne sait plus où est la frontière. Bien sûr on va continuer de dire que les grands compositeurs classiques sont toujours présents, mais les frontières vont bouger vous allez voir.
Qu’avez-vous prévu pour l’année prochaine ?
Le baroque, mais pas le baroque traditionnel, attendez-vous a des surprises, il y aura des rencontres entre le monde contemporain et le baroque… Ça va être génial !