F-I-N, trois lettres furtives que nous apercevons au générique. Trois lettres pleines de sens, trois lettres comme une évidence.
L’évidence d’un retour à la réalité mais surtout de la fin d’une carrière, celle du géant de l’animation : Hayao Miyazaki.
Savoir que c’est la dernière fois que ses affiches orneront les cinémas et affichages urbains, la dernière fois qu’il fait la couverture de grands magazines pour son dernier film, ce sont des raisons pour pleurer avant même de l’avoir vu. Alors que le vent du sud ramène la pluie en ce mois de janvier, ce mastodonte des studios Ghibli signe Le vent se lève : avec ce onzième et dernier long-métrage, il nous ne offre pas un testament mais un passage de flambeau.
Jiro, jeune japonais dont la myopie est aussi grande que ses ambitions, rêve un jour d’un certain Giovanni Caproni lui expliquant que “les ingénieurs donnent une forme aux rêves”.
Convaincu jusqu’au bout des ongles par les mots de l’italien, il étudie pour en devenir un, dans la branche aéronautique.
10 ans plus tard, lors d’un voyage en train pour se rendre à l’université, un tremblement de terre complètement surréaliste dévaste Tokyo. A peine quelques instants avant la catastrophe, Nahoko rattrape le chapeau de Jiro. Un simple geste et la naissance d’un amour. Dans la continuité de cette caresse des esprits, un vers de Paul Valéry est lancé par la jeune fille, à la fois éphémère et éternel : “Le vent se lève, il faut tenter de vivre”. Déjà secoué par l’émotion, le sol se dérobe sous leurs pieds. Jiro, dans l’humilité la plus parfaite, reprend son chemin bien tracé, laissant derrière lui l’image d’un “gars bien”. Nous entrons dans un rêve éveillé.
Le Vent se Lève est une peinture fine de desseins shakespeariens mais aussi un manifeste contre la guerre.
Entre les courbes et les couleurs, entre le vent et les ailes des avions, entre les maquereaux et la roquette, entre les plumes et les moteurs, on décèle une finesse exquise, un jeu avec nos sens.
Jiro et Nahoko, quand les intempéries ne les bouleversent pas, expriment leur amour en regards et avions de papier. Si les rares phrases qu’ils échangent paraissent d’une convenance plate voire creuse, il parait important de rappeler un contexte historique signifiant. Miyazaki montre le Japon d’avant la Seconde Guerre mondiale, il montre les traditions d’une époque. Cette dimension prise en compte, montrer un simple baiser hors mariage est étonnant alors qu’une demande auprès du père de Nahoko ne choque pas. La jeune fille a la tuberculose et il pense posséder seulement dix années d’inventivité : autant dire qu’ils n’ont pas envie de se regarder dans le blanc des yeux. Au contraire, ils veulent donner forme à leurs rêves.
Sur terre, le cinéaste nous propose une image fixe, solidement ancrée. Quand elle s’élève en direction des nuages, elle entre en mouvement, vient nous bercer et nous extirper de notre siège bien trop confortable.
Il devient éjectable et l’ouverture du parachute devient indispensable.
La crise des années 30 est là, la guerre se rapproche. Les cendres tombent de temps en temps sur la ville, le feu brûle et les ailes se cassent. Miyazaki décide de laisser les mondes fantastiques qu’il créait dans ses autres films comme Le château ambulant ou Princesse Mononoké et décide de montrer une réalité douloureuse. Elle est à la fois routine et menace. Face à cette réalité, il montre sa définition de la liberté et par le vent, un symbole d’espoir. Il utilise aussi le ciel comme une palette de peinture et tente encore des nuances, des éclats, des chaleurs, des rythmes. Le cinéaste essaye de reproduire ce que nous n’arrivons pas à immortaliser dans la nature. Et c’est grandiose, c’est une explosion de sensations.
Lorsque sciences et poésie se mêlent dans les entrailles d’une histoire existentialiste, cela donne un beau film. Un film de transition vers le cinéma de son fils, Goro Miyazaki, moins excentrique que son père comme il nous l’a montré dans La Colline aux Coquelicots. Ce film devient nuage grâce aux dessins et on le prend au coeur d’une mécanique grâce au son : il jongle avec un besoin de rêve et un défi de la réalité. Il propose au spectateur de s’allonger dans une herbe verte pomme pour compter, observer et questionner les étoiles. Il lui propose de s’endormir et de rêver. Pour se réveiller et tenter de vivre.