CINÉMA

L’amour est un crime parfait – Un homme et un loup

Étrange, c’est l’adjectif qui pourrait qualifier l’atmosphère créée par les frères Jean Marie et Arnaud Larrieu dès les premiers pixels du film, adapté du roman Incidences, de Philippe Djian. Les rares lumières éblouissent, reflétées par des congères aussi parfaites que blanches. La route grimpe dans la montagne au rythme des virages toujours plus glissant, toujours plus dangereux. Entraînés par une musique titillant l’arythmie, nous sommes au volant d’un tout-terrain immatriculé en Suisse. Nous ne savons pas où l’ascension se terminera. Le silence et l’air pur semblent être nos seuls compagnons de voyage.

Marc est professeur de Littérature à l’université de Lausanne, un “homme mûr, physiquement corps au point” comme il se décrit lui-même. Il porte grand manteau et petite chemise, ne sait pas quoi faire de ses cheveux. Qu’elle soit électronique ou bien allumée, il embrasse toujours une cigarette avec frénésie. Son autre nicotine, il la trouve dans les relations amoureuses qu’il entretient et collectionne avec ses étudiantes. Entre les travaux qu’il impose en atelier d’écriture et un repas à la cafétéria, il stabilise sa vie privée sur trois relations différentes, tel un trépied qu’on ne réussirait pas à régler. A peine déployé, un des trois pieds hésite à prendre appui : elle s’appelle Barbara, elle l’aime, elle est jeune. Mais du jour au lendemain, cette fille dont il ne se souvenait même pas le prénom au petit matin d’une nuit (sûrement) trépidante, disparaît. Anna débarque alors et s’impose dans la vie de ce Marc qui nous masque ses mystères. Cette Anna, ce n’est pas n’importe qui, c’est la belle-mère de la disparue. Elle souhaiterait en savoir plus. Une seconde fondation s’impose, profitant de la fragilité d’une disparition. Un amour s’installe.
Alors que Marc ne se plaint que de l’heure tardive du printemps, nous découvrons le pilier de sa vie, celui qui préserve notre personnage : Marianne, sa sœur. En lisant entre les mots criés à la volée d’une fenêtre, la fraternité est là, l’humour aussi. Et comme le givre sur les pares-brises ou la neige sur vos mains nues, une fille aux mèches blondes, aux fourrures imposantes et à la veste rose bonbon vient nous insupporter, nous glacer et nous brûler.
Elle souhaiterait seulement prendre des cours particuliers avec son professeur préféré, elle ne fait JAMAIS d’allusions ni d’avances, évidemment. Avec Annie pour prénom et ce comportement, elle devait s’appeler l’exubérante ou l’aguicheuse dans une autre vie.
Elle réveille l’histoire et par son insupportable présence, vient révéler la double facette d’un homme de plus en plus étrange.

L’amour est un crime parfait est d’une beauté formelle brillante, voire excitante. Le paysage, nous aimerions nous y plonger comme dans de la poudreuse. Magiques et mystérieux, tragiques et silencieux, ces massifs impressionnent de leur majesté. Certaines répliques font vibrer nos tympans avec finesse et comme des chocs absorbés par la neige, les sons sont feutrés, la musique adaptée. Certaines séquences sont comme les traces de pas que laisse le personnage dans la forêt de flocons ; elles nous laissent des indices mais ne nous mènent pas forcément sur la bonne piste. Il nous laisse pourtant dans une frustration évidente, créée par un déséquilibre à deux dimensions : le jeu des acteurs et le montage abrupt de certaines scènes.

Les choix des frères cinéastes concernant le potentiel sensuel de l’histoire nous laissent sur notre faim. Si l’explicite est complètement absent, la suggestion n’est même pas de mise. En souhaitant peindre la frustration immense d’un personnage par un tournage et un montage très freiné voire abrupt, les frères Larrieu nous mettent à l’épreuve : cette réussite artistique devient un échec dans la relation du film avec le spectateur, ce qui pourrait expliquer en partie son score au box-office. Et pourtant quatre têtes d’affiches ornent le casting. Mathieu Amalric, qui signe ici son quatrième film avec les cinéastes, est toujours aussi fascinant qu’excellent. Karin Viard, que nous pouvons retrouver dans Lulu, femme nue de Solveig Anspach en ce moment dans les salles, est ici aussi éclatante, aussi brûlante que son rouge à lèvres. Sara Forestier brille dans la peau de l’épouvantable et troublante Annie, cela ne fait aucun doute.
Mais il reste Maïwenn, véritable porte-à-faux d’un casting léché. L’actrice est à dix mille lieues de son personnage : ses regards sont froids et son interprétation hésite entre absence et surenchère.

Si vous êtes joueur et adepte de thrillers psychologiques mais que Maïwenn vous insupporte déjà, venez quand même vous asseoir pour admirer ce loup-garou moderne en salopette et cette oeuvre pétillante de références surréalistes.
Après avoir redécouvert André Breton et son écriture automatique ou Luis Buñuel et ses films oniriques à travers l’histoire de Marc, vous aurez la délicieuse surprise d’être mis devant “la vérité toute nue” d’une intrigue haletante.

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