La mort de Nelson Mandela, grand défenseur des droits de l’Homme et de la lutte non-violente, a attiré l’attention mondiale sur l’Union d’Afrique du Sud. Cependant peu de médias ont rapporté les conditions difficiles de vie dans ce pays. En effet, si l’apartheid s’est terminé en 1994 dans la nation arc-en-ciel, de grands progrès restent à faire au niveau social.
Selon l’Organisation Internationale du Travail le taux de chômage est de 25 % mais selon les chiffres des syndicats, il culmine à 40 % de la population. Une preuve que l’apartheid a laissé des séquelles ? 40 % des villes sud-africaines sont composées de townships, terrains pauvres et sous-équipés, où vivent une grande majorité de noirs et de métisses (“coloured people”). Troisièmement, la criminalité est une préoccupation majeure notamment dans ces zones de pauvreté : viols, meurtres, trafics de drogues et guerres de gangs sont au rendez-vous.
Khayelithsa, un des plus grands townships de la ville du Cap
Si l’Afrique du Sud fait partie des BRICS, donc des puissances émergentes, la crise économique de 2008 a fortement entamé sa croissance économique. En effet, la baisse de la demande extérieure mondiale en minerais a fait chuter les exportations du pays. Si l’économie a rebondi en 2010 puis en 2011 (la croissance passe de 2.8 % à 3 %) grâce à un système d’aides sociales et de baisse du ratio de l’endettement, 2012 est arrivé avec une baisse de 0.6 points.
Ronelda Kamfer est une femme issue de ce pays. Poétesse sud africaine née en 1989 près du Cap, elle a remporté en 2009 le prix Eugène-Marais pour son recueil Noudat slapende hond. Après avoir vécu son enfance dans la ferme de ses grands-parents, elle emménage chez ses parents à 13 ans dans une banlieue du Cap nommé Eersterivier. Elle obtient son baccalauréat en 1999. C’est lors de ses études universitaires que Ronelda Kamfer voit naître sa vocation de poétesse. Son écriture est marquée par son expérience des townships et des violences du milieu : meurtres, guerres de gangs, drogue, pauvreté… Si elle a choisit d’écrire en Afrikaner, c’est pour revendiquer la langue qui est, non plus celle des anciens colons, mais de tous les peuples.
Ronelda Kamfer
Quant on demande à Ronelda quelle est la chose sur laquelle elle ne pourra jamais écrire, elle répond assurément l’amour. A la question “Que préférez-vous en France ?” Elle répond sans hésiter : « la sécurité ». Cette affirmation fait écho à l’actualité : le sentiment d”insécurité en France n’existe pas lorsque l’on arrive d’Afrique du Sud. La poétesse se sert de son expérience personnelle des townships pour écrire ses poèmes, dont la plupart sont d’ailleurs des histoires vraies.
« Les gentilles filles ne sont pas dans des bandes elles ne tombent pas enceintes à treize ans elles ne font pas faire des tatouages de gangs elles ne fument pas d’herbe elles ne se défoncent pas au crystal meth elles ne se font pas tringler par les profs et les chauffeurs de taxi elles ne travaillent pas chez Shoprite elles ne sont pas femmes de ménage les gentilles filles n’habitent pas les townships des Cape Flats »
Ce poème, nommé Gentilles Filles (goeie meisies), est paru en 2008 dans le recueil Noudat slapende honde (Maintenant que le chat qui dort) aux éditions Kwela Beke. Il montre la situation et la vie des jeunes filles dans le pays : le vers est sans ornement, clair et cru comme la vie dans les townships.
Le township Alexandra
Un autre poème, Ma place (Waar ek staan), exprime le sentiment des différentes minorités, désormais réunies mais dont la cohabitation est parfois difficile. Quand on demande à Ronelda si elle a déjà été victime de racisme, elle répond simplement que le racisme est un phénomène assez commun, malheureusement.
« Me voici assise à table avec les ennemis de mes ancêtres. Je hoche la tête et salue avec circonspection mais quelque part, tout au fond de moi je sais où est ma place. Mon cœur est ma tête sont ouverts et, en personnes bien élevées, nous rions et mangeons ensemble mais quelque part, tout au fonde de moi je sais où est ma place ».
Le dernier texte que nous allons vous présenter est nommé Shaun et est tiré de Chaque jour sans tomber, un ensemble de poèmes de Kamfer traduits par Pierre-Marie Kinkelstein édités par la Maison de la poésie de Nantes en 2013. Il résume la situation des townships et des problèmes de drogues, des violences.
« tu étais petit disais-tu tu ne te souviens pas bien des détails les gens sont différents les histoires sont les mêmes ton père est entré dans la pièce a saisi ta mère par le bras l’a plaquée contre le mur et l’a giflée du revers de la main tu ne sais plus bien quelle main c’était tes souvenirs prennent des chemins de traverse tu te rappelles de la gifle parce que ton père aussi s’appelait Shaun et que ta mère criait Shaun tu aurais bien voulu bondir à son secours mais tu ne savais pas de quel Shaun elle voulait parler
[…]
Shaun s’est fait coffrer pour une histoire de drogue peu avant sa libération il m’avait écrit pour me dire quand il sortirait et qu’il allait peut-être essayer de faire autre chose la prison c’est pas fait pour les gosses disait la dernière phrase de sa lettre la veille de sa libération Shaun a été assassiné
Les gens disent que c’est une histoire de gangs que c’était son heure
Mais je ne crois plus ce que les gens disent »
Ainsi l’art, et ici la littérature, offrent un point de vue différent des discours officiels. Si l’Afrique du Sud a fait de grands pas en matière d’économie, de politique et de grands progrès sociaux, un long chemin reste encore à parcourir pour que l’Apartheid ne soit plus qu’un souvenir et non une plaie mal cicatrisée. Si vous avez aimé les poèmes de Ronelda Kamfer, qui travaille actuellement sur son troisième recueil, on vous conseille aussi le très bon La bande des sept ou encore Le p’tit Cardo.