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Muslims + Hipsters = Mipsterz

Elles font du skate en talons hauts. Elles portent le hijab et des tops Chanel. New-Yorkaises fun et pop, ces jeunes femmes musulmanes se revendiquent « Mipsterz », un mix entre Muslims et Hipsters. Ce néologisme, né en 2012 sur Facebook, a pris une ampleur nouvelle lorsque début décembre une vidéo sur Youtube a mis en lumière, sur « Somewhere in America » de Jay-Z, quelques Américaines voilées et ultra-lookées. Coup de projecteur sur ces « Islamofashionistas ».

La page Facebook « Mipsterz – Muslim Hipsters », créée le 18 septembre 2012, compte aujourd’hui plus de 4000 fans. Le 2 décembre dernier, une vidéo fait l’effet d’une bombe sur Youtube. Elle s’appelle « Somewhere In America #MIPSTERZ » et a été réalisée par Abbas Rattani et Habib Yazdi de Sheikh & Bake Productions. On y découvre de jeunes américaines, des « Mipsterz », en train de faire des selfies avec leur Iphone, déambulant dans des décors urbains, en tenues hyper branchées. Pour comprendre un peu plus cette communauté de goûts, un tour sur Facebook s’impose. « Un Mipster est un individu à l’avant-garde de la musique, de la mode, de l’art, de la critique, de la gastronomie, de l’imagination, de la créativité […] » Entre avant-gardisme culturel et tradition de l’islam, le mipster cherche « l’inspiration dans la tradition islamique et les écritures divines, de poètes mystiques, de courageux prophètes, de politiciens inspirants, d’imams ésotériques, et de nos confrères humains en quête d’états de conscience transcendantaux ». En bon Hipster, le Mipster ne manque pas d’ironie : “Attends, ils nous détestent parce qu’on est Musulmans ? Je pensais qu’ils nous détestaient parce qu’on était Hipsters !”

Ces jeunes femmes branchées et anti-conformistes sont rafraîchissantes. On apprécie la vidéo pour la beauté des images, et parce qu’elle diffuse une image des femmes musulmanes peu connue, malgré sa réalité. Les femmes que l’on voit dans la vidéo sont simplement celles qu’elles  sont dans la vie de tous les jours. Sans vouloir faire de ce clip une déclaration politique, ni une représentation exhaustive de la communauté musulmane, le but des producteurs était de mettre en valeur une partie de la culture musulmane, qui promeut la liberté d’expression, l’engagement et l’auto-réflexion critique.

« Trop cool pour rester seul »

Surfant sur la popularité du phénomène, deux jeunes femmes, Shereen Nourollahi et Humaira Mubeen ont même créé hipstershaadi.com, un site de rencontres dédié aux Mipsterz. Sur le compte Twitter du site on peut d’ailleurs lire que les Mipsterz sont « too cool to stay single ».

Yuna : un symbole

Un des symboles du tournant de l’image des femmes musulmanes est Yuna Zarai, une jeune chanteuse originaire de Malaisie. Produite par Pharell Williams, elle connait un franc succès sur la scène américaine, après avoir séduit son pays d’origine. Musulmane, Yuna porte l’hijab traditionnel. Avec beaucoup de goûts et de modestie, elle intègre son voile dans un look très personnel. Elle est toujours très maquillée et utilise l’hijab de façon très expérimentale, en testant différentes façons de le porter jour après jour. Elle tente au mieux de choisir ses looks en accord avec sa religion et les détourne en véritables signes d’expression personnelle. Reconnue, tant pour son talent d’interprète, que pour son sens aiguisé de la mode, Yuna possède sa boutique de vêtements : novemberculture.com. On peut y trouver des hijabs à la pointe de la mode ou encore des conseils pour accrocher le voile selon le look voulu.

Les Hijabistas : une nouvelle génération de femmes

Si la vidéo « Mipsterz – Muslim Hipsters » et l’émergence de célébrités internationales comme Yuna participent à l’évolution de la féminité musulmane, un autre mouvement a déjà fait irruption sur la toile : les « Hijabistas ». Ces bloggeuses réinventent la mode « version hijab », en combinant tendance et respect de l’islam. Des sites comme hijabselect.com expliquent comment « être chic tout en restant pudique ». Une nouvelle génération de femmes qui dévoile l’existence d’une consommatrice d’un nouveau genre : la musulmane aisée, croyante et tendance. La chaine Youtube de YazTheSpaz89 propose des tutoriels pour installer son hijab. Ces vidéos comptent des centaines de milliers de vues et expliquent comment accommoder son voile à son look, avec des « hootd », entendez Hijabi Outfit of the Day. On trouve aujourd’hui des it girls musulmanes dans beaucoup de pays du monde. Elles ont suivi une tendance née dans les pays du Moyen-Orient, le Qatar et Dubaï, là où les femmes, très aisées, mais avec peu de droits, ont trouvé dans la mode un précieux moyen de s’exprimer.

Retour sur les Mipsterz. Ces natives américaines musulmanes ont baigné dans différentes cultures et doivent se forger une identité hybride qui peut être incomprise. Elles sont soumises aux regards négatifs liés à des pensées traditionnelles de la communauté musulmane américaine, et sont supportées par une société occidentale pour laquelle elles partagent aussi des valeurs.

Les Mipsterz : un débat tranché

Les différentes interprétations de la vidéo sur les Mipsterz ont déclenché un débat tranché sur l’image de la femme musulmane aux États-Unis. De fait, les femmes qui portent le voile sont chacune des ambassadrices de l’islam. Elles ont pu être décrites comme trop occidentales. Si la vidéo fait tant débat, c’est parce que le port du voile symbolise un tas de valeurs qui contrastent fortement avec la mode et ses diktats ; à savoir, la pudeur et la discrétion, qu’implique traditionnellement le port du voile. L’hijab permettrait de masquer les atouts physiques de la femme. Le porter répond à une manifestation de foi et de modestie, et permet un jugement détaché de l’apparence, mais centré sur l’intellect et la personnalité.

Dans un article où « une musulmane explique pourquoi elle a décidé de porter le hijab […] », de  Sultana Yusufali sur le site : islamreligion.com, on peut lire : « Une des plus tristes réalités de notre époque est le mythe de la beauté et l’image que la femme se fait d’elle-même.  Vous n’avez qu’à parcourir n’importe quel magazine pour adolescentes pour découvrir quel look est « in » ou « out ».  Et si votre corps ne correspond pas à l’image idéalisée des magazines… ». « Je me suis totalement libérée de l’emprise de l’industrie de la mode et d’autres entités qui cherchent par tous les moyens à exploiter le corps de la femme ». Les opinions au sein de la communauté musulmane divergent. Le ton des médias musulmans est plutôt critique, à l’image du site oumma.com, de theislamicmonthly.com, ou encore francemaghreb2.fr. Ils accusent les réalisateurs de la vidéo de se focaliser sur un aspect excessivement superficiel des femmes, centré sur l’apparence. Ils pensent que le foulard de la femme ne doit pas être réduit à n’importe quel autre accessoire de mode. On y voit des tenues provocantes qui porteraient préjudice à l’islam. Pour certains détracteurs, la vidéo est sexiste et surfe sur l’esthétique des femmes. La tentative de présenter une autre image de la femme voilée serait un échec car la vidéo la présente en femme-objet. Le choix de la musique fait également débat : le titre de Jay-Z fait référence à Miley Cyrus, la reine de la provoc’. Il s’agit aujourd’hui de contrer les diktats du marketing et de la publicité qui évaluent la femme en fonction de sa beauté et la présenteraient en objet de plaisir.

Alors que la mode correspond à l’affirmation de soi et la mise en valeur physique, l’hijab symbolise la pudeur et la discrétion. Les Mipsterz et les Hijabistas sont pourtant des accros du shopping. Dans ces cas, il y a fusion de la mode et du voile islamique. Ce mariage intègre le respect de la discrétion physique avec le désir d’expression, la mise en valeur par les vêtements, les détournements du turban, les maquillages ostentatoires, etc. Un mélange pour le moins paradoxal et particulièrement délicat à comprendre puisqu’il intègre des visions très subjectives de la religion.  Le débat est donc loin d’être clos.

Je suis boulimique et toxico... de l'info, passionnée et fascinée par les médias.

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