Arbor, 13 ans, est sous son lit et une rage habituelle l’anime. La tension est trop forte, l’attention fraternelle pas assez. Sur ses lattes, il frappe fort et de tout son corps, de tout son cœur. Son ami Swift lui attrape la main et fait l’effet d’un catalyseur. Comme une pichenette dans la rétine, c’est sur ces images que débute Le Géant Égoïste de Clio Barnard qui signe ici son premier long métrage de fiction. La réalisatrice nous invite à suivre ces deux garçons dans leur galère et à comprendre le courant qui les anime.
Les familles de ces deux débrouillards sont voisines de quartiers. Chez les Fenton, le père est absent, la mère est dépressive, le frangin est junkie et Arbor refuse toute autorité, qu’elle soit scolaire ou policière. La famille nombreuse de Swift dont le père est alcoolique est littéralement sur le tapis. En effet, pour que leurs dettes et comptes ne soient pas dans l’écarlate, c’est un canapé rouge qu’il revend, comme s’il se séparait de la seule couleur vive du paysage. Dans ce climat de tension, Arbor et Swift ne trouvent qu’une solution pour échapper à l’école et essayer d’aider leurs parents : revendre tout ce qu’ils peuvent trouver à Kitten, ferrailleur trentenaire et barbu habillé d’un éternel gilet fluo et pas très à cheval sur la réglementation des courses hippiques.
Un film authentique mais typique du cinéma social anglais au point où certains arriveraient à semer le doute dans une file d’attente ; non, ce n’est pas un Ken Loach.
Dans un univers où l’argent est la condition de l’existence, Arbor a le sens des affaires et Swift aime les chevaux, les monte et sait s’en occuper.
Leur sens un peu trop aigu de la justice va les laisser devant la porte de l’école, sans diplôme mais avec la joie d’être contraints d’en partir.
Ils subissent un abandon total. Celui d’une école et celui de parents dépassés par des problèmes financiers. Le film pose la question de l’absence d’évolution de l’école, génératrice de violence sociale et culturelle. Les adultes sont fantomatiques tellement le désespoir les ronge. Les deux personnages vont se confronter à ces violences, concentrées dans le personnage de Kitten. Les génitrices spectrales des protagonistes ne méritent même pas le statut de mère ; elles restent pétrifiées de peur face à l’abysse de leurs avenirs.
Si on devait définir ces pylônes sous haute tension, cette casse, ce monde qui les entoure, la taille de leurs problèmes, cette violence et ce désespoir, on trouverait une dimension qui nous dépasse, un peu comme ce Géant que le titre nous donne en mystère.
Sous la gangue d’une réalisation à la technique volatile, le fil conducteur de cette histoire parait un peu usé. Le temps d’une étincelle, on pense aux films néoréalistes de Ken Loach et le free cinéma mais plus encore à Bill Douglas (sa trilogie vient d’être éditée). Ce film est de la même veine que ses deux prédécesseurs le néoréalisme sauce britannique. Mais bon sang, pourquoi la lumière est si terne dans les films à caractère social ?
Ici, la forme contribue au fond.
De la brume aux trottoirs, des nuances de couleurs à l’ambiance, des habits aux humeurs, tout semble tirer vers une couleur : le gris. Pourtant dans cette histoire où la météo reflète le moral, les cheveux blonds d’Arbor et le sourire serein de Swift ressortent avec éclat. Dans la peau de Kitten, personnage aux multiples facettes, Sean Gilder est brillant. Conner Chapman est Arbor, Shaun Thomas est Swift : ils sont leurs propres personnages. Toute comédie est indécelable, toute simulation impensable. Il n’y a ni tête d’ange, ni maquillage. On a de la vérité, de la surprise, de l’authenticité, abrupte mais pas brutale. Malgré un cadre social un peu déjà vu, Clio Barnard dépeint une toile peu colorée mais surprenante !
Cet article a été également rédigé en co-rédaction avec Etoiny.