LITTÉRATURE

Le retour de Stephen King

C’est avec discrétion que le maître de l’horreur a posé ses valises en France en novembre dernier afin de répondre à l’appel de ses lecteurs européens et de venir parler de son dernier roman qui côtoie déjà les meilleures ventes de l’année. L’objet de ses conférences est en effet Doctor Sleep, dont vous avez sûrement déjà croisé la couverture moitié sanglante, moitié vaporeuse. Envisagées comme la suite de Shining, rendu célèbre par l’adaptation qu’en à faite Kubrick, ces 600 pages tant attendues et redoutées dévoilent ce qu’est devenu le petit Danny Torrance, en proie à des visions étranges et effrayantes après que l’hôtel hanté l’Overlook ait explosé, le laissant orphelin de père. Maze vous propose de plonger plus avant dans ce pendant de l’histoire pour découvrir si la promesse d’une belle suite a été tenue.

Stephen King au grand Rex le 16 novembre 2013

Stephen King au grand Rex le 16 novembre 2013

A la question « pourquoi avez vous choisi Danny Torrance pour raconter la suite de la vie d’un de vos personnages de fiction ? » posée par François Busnel dans le cadre d’un entretien de La Grande Librairie, Stephen King répond « parce que son histoire n’était pas terminée ». Laisser le petit Danny Torrance au pied de l’hôtel l’Overlook détruit dans l’explosion d’une chaudière mystérieuse après une course contre la folie et la possession, revenait en effet à laisser en suspens une histoire à la trame pourtant riche. Revenant sur ce manque, Doctor Sleep invite le lecteur à suivre les pérégrinations d’un Danny devenu adulte mais toujours habité par le don. Le don, pour ceux qui n’ont ni vu le film, ni lu Shining, équivaut à une connexion avec un ailleurs peuplé de présences plus ou moins favorables aux vivants. L’hôtel Overlook, berceau privilégié de ces traces dues à un passé tragique, avait permis, l’on s’en souvient, de libérer ce don déjà en germe chez Danny. Percevant les fantômes restés prisonniers des murs de cet hôtel isolé du monde, le petit garçon alors âgé de 6 ans s’était révélé être le médium entre le passé et le présent, entraînant le lecteur dans la reconstitution d’un drame survenu en ce lieu 60 ans auparavant durant la morte-saison. Faisant glisser progressivement le père Torrance dans une folie profonde alimentée par l’alcool, ces résurgences du passé n’avaient semble t-il, aucunes limites et seule la destruction de l’hôtel devait pouvoir mettre fin à la chasse à l’homme qui s’était réveillée. Mais un tel happy end ne ressemblait vraiment pas à Stephen King. Kubrick lui même en aura eu la prescience, ne retirant que de justesse cette dernière mention qui devait figurer en tableau final de son adaptation « L’hôtel Overlook allait survivre à la tragédie, comme il l’avait déjà fait de si nombreuses fois. Il est toujours ouvert chaque année du 20 mai au 20 septembre. Il est fermé l’hiver. ».

Dany Torrance dans l'un des couloirs de l'Overlook

Dany Torrance dans l’un des couloirs de l’Overlook dans l’adaptation de Kubrick

Ce parfum de malédiction semble ne devoir jamais se lasser de son porteur, le petit Danny, que l’on retrouve 3 ans plus tard dans la première partie de Doctor Sleep. L’on se tient alors en présence d’un garçon devenu mutique et traqué par ses fantômes personnels. Le souvenir terrifiant de Mme Massay, cette femme à moitié nue et décomposée, revient de ce fait s’ébattre dans l’imaginaire de l’enfant qui ne connaît pas encore ses limites et le point troublant est que ce morceau du passé arrive à déchirer de nouveau la logique temporelle, jusqu’à pénétrer la réalité pour mieux terroriser les vivants. Mais loin de sombrer dans une nouvelle spirale de l’échec, la trame du roman voit s’amorcer l’évolution de la condition de Danny qui de victime passive, devient l’élève de Dick Hallorann –l’homme qui l’avait aidé lui et sa mère à s’enfuir de l’hôtel Overlook- auprès duquel il apprend à contrôler partiellement son don, et de ce fait, son imaginaire. Un cycle de maître et d’apprenti se met alors en place et au fil des ans, on observe la maturation de Dan qui sombre malgré lui dans l’alcoolisme, le même démon que côtoyait son père des années auparavant. Noyer son être ne parvient cependant pas à faire taire ce qui l’habite et c’est en s’inscrivant à un programme d’alcooliques anonymes que Dan va prendre sa vie en main et trouver enfin la voie qui lui permet de se réaliser. De l’initié il devient alors l’initiateur d’une jeune fille, Abra, qui possède elle aussi le don, de manière sur-développée.

Leur rencontre, troublante, marque un tournant dans sa vie alors qu’il est employé dans un hospice de Teenytown où il aide les personnes en fin de vie à mourir sereinement. Mettant un terme à cette vie réglée et apaisée, les dangers auxquels se retrouve très vite confrontée Abra vont le pousser à la prendre sous son aile et à l’accompagner dans une aventure où la normalité va encore être mise à rude épreuve. La finesse du style de King plonge alors le lecteur dans un mélange entre réalité et vraisemblance qui tend à faire devenir naturels les épisodes et les rencontres extraordinaires qui ponctuent le roman. Les nouveaux monstres pensés par King et que doivent combattrent Abra et Dan, entrent dans cette logique et l’on se retrouve à suivre l’intrigue tantôt du côté des humains, tantôt de celui des ces êtres appartenant à une communauté appellée le « Noeud vrai ». Ni vivants, ni morts, les membres de cette communauté se « nourrissent » d’une vapeur dégagée par ceux qui possèdent le don, ce qui évidemment promet son lot de rebondissements ! Traversant main dans la main cet enfer qui va réveiller -entre autre- les peurs de Danny, les deux élus par le don vont revenir au berceau de toute cette histoire : l’hôtel Overlook. Réussiront-ils à mettre un terme à ces abominations et surtout, à sauver leurs vies ? Nous ne vous le dirons pas pour ménager votre lecture, mais sachez d’avance que ce roman vous réserve de belles surprises !

En somme, Stephen King signe avec Doctor Sleep une belle suite de Shining, toujours prompte à accélérer le pouls de ses lecteurs. La reprise d’éléments peuplant l’imaginaire moderne comme les vampires et les revenants combinée avec la montée du suspense typique de l’auteur, offre des possibilités d’évolution de la vie de Dan, intéressantes, servies par une intrigue mêlant à la fois tragique et humour. Si vous souhaitez en savoir un peu plus sur ce roman et sur l’univers de King, voici un lien qui devrait vous intéresser : http://www.france5.fr/emissions/la-grande-librairie/videos/91828676

Maître ès lettres. Passionnée par la littérature et les arts | m.roux@mazemag.fr

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