CINÉMA

La Marche – Double Nœud

Voitures incendiées, courses-poursuites, affrontements violents entre la jeunesse des Minguettes et la police : durant l’été 1983, les tensions gangrènent ce quartier de Vénissieux dans la banlieue de Lyon. Le racisme est une maladie contagieuse à cette période ; les meurtres racistes ne se comptent plus.

Toumi Djaïdja, jeune président de l’association SOS Avenir Minguettes est blessé gravement par balle. Du sel sur les plaies. Le curé Christian Delorme porta alors le projet d’une marche revendicative. Elle démarrait le 15 Octobre 1983 et se fermait le 3 Décembre de la même année. Marseille-Paris, plus de 1000 kilomètres et plus de 100000 personnes à l’arrivée sur Paris. Un antidote à toutes formes de racisme ? 30 ans plus tard, cette marche n’est qu’un vague souvenir pour certains et une page inexistante de l’histoire pour beaucoup. Le cinéaste belge Nabil Ben Yadir, s’inspirant librement de cette histoire, réalise La Marche, en salles depuis ce 27 Novembre.

Dès la première scène, le gris et le jaune s’entremêlent, reflétant l’humeur, le quotidien et la galère de Mohamed, Sylvain, Farid et Remi. Le partage devient méfiance en bas de ces tours ; la condition à laquelle Remi peut goûter le fameux sandwich de Farid, ce sont les mains derrière le dos. La mise en scène rappelle que ces jeunes sont menottés à leur quartier, que la présence policière est un vent fort sur des braises rougeoyantes. Un chien monstrueux déboule avec pour seule intention de déchiqueter les jambes de celui qu’il pourchasse. A l’instant où Mohamed se libère des mâchoires de l’animal, un policier pointe un revolver en sa direction. Coup de feu. Le jeune homme s’écroule. La mort du personnage nous transperce comme une évidence. Spectateur d’une injustice, nous tremblons. La balle ne le tue pas, elle lui donne la force de réagir. Après une légère ellipse pour remettre sur pied le jeune homme, Nabil Ben Yadir pose alors la question de la vengeance. Tout en citant Gandhi et Martin Luther King, Mohamed élève d’abord la voix sur ses amis et répond par une idée, épaulé par Sylvain, le père Christophe Dubois et Farid : ‘La Marche pour l’égalité et contre le racisme’ . Ce n’est pas le poing levé mais la main ouverte qu’ils veulent marcher, prenant la voie de la non-violence.
Les parents convaincus, les jeunes embarquent à l’arrière du camion de René, la papi ronchon au grand cœur, direction Marseille ! Ils rejoignent Claire, la gaucho-photographe, Kheira la grande gueule, Monia l’apprentie militante et enfin Yazid, guitariste (un peu) raté. L’équipe est au complet. Sous la pluie, sous la neige sans gants ni bonnet, sous les menaces et représailles les “marcheurs permanents” hurlent de rire et de douleur et s’engagent dans cette épopée. Chaque pas est une étincelle. Dans le silence et sans étiquette politique, ils avancent vers Paris.
Mettre les pieds dans une paire de chaussures puis nouer les lacets entre la gauche et la droite, c’est risquer d’être déséquilibré et de ne plus avancer, voire de tomber. Le cinéaste fait à la fois un devoir de mémoire et une romance : les deux dimensions sont liées par la marche elle-même, rendant instable chacune d’entre elles.

A travers le film, les montées en tension sont nombreuses, telles des péripéties de romans essayant de garder son lecteur éveillé. L’impression de voir que des anecdotes soutiennent le récit fait l’effet d’un glaçon sur la nuque ; le cinéaste préfère l’émotion brute au discours. Les scènes violentes sont présentes parfois sans lien entre elles, sans utilité propre au récit.
Nabil Ben Yadir appuie sur les difficultés que rencontrent les marcheurs, il ne peint pas cette aventure comme on l’aurait attendue ; humaine et solidaire.
Les scènes de rassemblement, comme à Lyon où mille personnes attendent nos héros pacifiques ou à Paris le 3 Décembre avec cent fois plus de monde, se révèlent être pourtant de beaux frissons passagers.
Il filme des personnages, il capte essentiellement les individus entre eux et face à face, mais pas ensemble ; il nous montre une jeunesse ressemblant à ce qu’elle combat. Cette marche fait l’effet d’un miroir et en cela, rejoint la pensée de Gandhi dont les leaders s’inspirent ; “C’est en vous que doit se faire le changement que vous désirez voir dans le monde”.

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Le réalisateur traite l’aspect historique de la même façon que ses personnages : il isole les marcheurs face à la population. Cette marche suscitait des réactions, des polémiques, une réelle présence dans les médias. Seule la présence des Renseignements Généraux lie la marche à l’extérieur ; le cinéaste choisi de prendre seulement des archives en ce qui concerne les journaux télévisés, ce qui limite considérablement ce point de vue là. Si Nabil Ben Yadir souhaitait faire un film de personnages, il ne réussit pas : il fait semblant d’appuyer le trait sur certains personnages pour masquer les contours hésitants des autres. Si Mohamed est le leader du groupe, alors il n’est pas le personnage principal du film. Si le curé Christophe Dubois est loin des clichés, on ne sait rien de lui. Ils ne se réduisent qu’à deux ou trois traits de caractères.

En dehors de tout aspect d’écriture et de réalisation, c’est une histoire qui nous touche. La sincérité des regards et du jeu d’Olivier Gourmet dans le rôle de Christophe Dubois, de Lubna Azabal dans la peau de Kheira et de Hafsia Herzi en interprète de Monia bouleversent. La voix de Gourmet, la gueule de Vincent Rottiers jouant Sylvain, la verve de Tewfik Jallab dans le rôle de Mohamed, sont des détails qui marquent et résonnent dans nos pensées à la suite de la projection. Une telle finesse de casting pour des personnages qui battent de l’aile, j’appellerais ça du gâchis. Ils sauvent quand même nos pupilles et nos tympans par leur présence. Jamel Debouzze, celui que nous croisons sur plusieurs plateaux télés en ce moment, même en zappant, n’a qu’un petit rôle d’emmerdeur de service dans l’histoire de La Marche ; il est au centre des affiches commerciales, s’occupe de la promo avec Olivier Gourmet, nous fait (quand même) un peu rire dans le film mais sinon, ne sert pas à grand-chose.

Sur ces aspects, on a le sentiment de se faire avoir. Énervement et frustration ne sont pas loin.

Il nous touche aussi car les idées des marcheurs sont d’actualité ; combattre toute forme de racisme, ça ne se fait pas en claquant des doigts, comme le formule si bien Lubna Azabal dans le film, il faut passer le flambeau. En cela, l’oeuvre est utile à voir, à montrer. Ce film est à la fois un pansement grossier qu’on arrache sur des brûlures oubliées et une étreinte chaleureuse entre notre passé et notre présent.

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