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Tour Paris 13 – Le Street Art en paradoxe

563, c’est le nombre de minutes que nous avons passé dans la queue pour visiter la Tour Paris 13, la plus grande exposition de Street Art au monde jamais pensée. Une centaine d’artistes issus du monde entier, 10 étages pour eux et quelques mois pour les transformer. Pour voir ce temple de l’art éphémère, il a fallu le vouloir. En effet, 9h23 d’attente, cela valait-il vraiment le coup ?

Il est 8h45 à notre arrivée. Il y a environ 350 personnes devant nous. On apprend que certains sont là depuis 5h30. 49 personnes toutes les heures et une ouverture aux coups de 10h, les approximations sont vites faites, vites démoralisantes. Après avoir eu le temps de perdre le courage de rester debout, de se dire qu’on va être fort, de découvrir un peu nos “voisins”, il a fallu s’occuper. La journée s’annonce longue. Alors on sort les jeux de cartes et on sacrifie nos jeans propres ; 1000 bornes and co, jeux inconnus etc. Certains rendront cette attente plus constructive en se penchant sur les cours du moment, en se décidant à finir enfin ce bouquin qui traînait sur la table de nuit depuis trop longtemps, en usant de pinceaux, crayons ou marqueurs pour immortaliser l’instant. Nous découvrons peu à peu certains graff sur les murs extérieurs ; le niveau était déjà là, avec un Gainsbourg aux traits travaillés, une fausse plaque de rue humouristique. Les phrases de ceux qui attendaient comme nous, au même endroit, les jours précédents, étaient comme une bouffée d’air ; elles ornaient les barrières comme celle-ci, qui devint la maxime du jour : “Si la patience est une vertu, alors on est blindés.” Vers 11h, un gars de la sécurité nous annonce environ 4h d’attente ; immense soulagement. Nous décidons de ne pas trop y croire quand même. Alors que les voitures, camions, motos et vélos passent à une vitesse hallucinante sous nos yeux depuis le petit matin, nous calculons notre vitesse en mètres par heure, c’est dire à quel point nous en étions. Il est 13h ; pendant que certains vont chercher à manger, les autres paniquent devant le panneau “Trop de visiteurs pour aujourd’hui. Il est inutile de patienter”. Surement un moyen de décourager les gens… un peu pluie aurait fait fuir plus de monde !
On se croit dans la dernière ligne droite jusqu’au moment où un voisin explique clairement que le panneau “2h d’attente” est à 30 mètres. En effet, la largeur double. Les premiers gros coups de fatigue arrivent, on s’affalent, on s’étalent et on chante. Pour réchauffer les coeurs, pour donner du courage. Ça fait déjà 7h que nous vivons dans le futur, à nous projeter dans cette tour, à se demander comment ce sera, à se raconter des histoires. Au fameux panneau des deux heures, nous décidons d’applaudir chaque personne qui gravit les premières marches de la tour. C’est bientôt notre tour, l’impatience nous guette. Les gens craquent, ça gueule. La sécurité nous contient et avec humour : ça fonctionne. Les paris sont lancés : rentrera-t-on avant 18h ? Visages fatigués, ceux qui sortent de l’exposition n’ont pas le sourire.
Il est 18h08 quand nous entrons. Ce supplice de Tantale avait trop duré. Nous y étions, enfin. On nous annonce : “vous avez une heure, cinq minutes par étages !”.
C’est parti !

Le rez-de-chaussée donne le ton : chaque centimètre carré est utilisé. Nous montons tout de suite au dixième étage dans l’ascenseur le plus décoré, le plus fou de cette terre. Où sommes-nous tombés ? Suivant une certaine cohérence sur l’étage, chaque appartement est un monde différent, un message différent. Jouissance absolue. On essaye de s’imprégner, on essaye de comprendre. On pourrait passer des heures dans chaque pièce, découvrir chaque murs en détail. Ils sont une centaine à s’être totalement écorchés à coups de bombes, de collage, de pochoirs… Le parquet ? ils en font du relief, des symboles, de la sciure. Les sanitaires ? Une baignoire qui parait remplie de sang, des toilettes repeints et alignés dans une pièce. Les portes ? Ils les déplacent, les coupent en deux, les décorent ou les enlèvent. Les papiers peints ? Ils les découpent, les déchirent, les calcinent. De l’ultra-violence, on passe à l’onirique. D’une salle sombre, on passe à une jouant dans les fluos. Sentiment d’extase ou de déchirement, la tour jouent avec nos émotions. A-t-on envie d’y retourner ? Oui et non.

Le Chili, l’Arabie Saoudite, La France, les Etats-Unis, le Brésil, la Tunisie et j’en passe ; le monde est représenté, le monde du street art est reconnu ouvertement à Paris, sur les quais de Seine, près de Bercy. Cette reconnaissance se doit d’être comme le street art : éphémère. L’exposition a accueilli environ 15000 visiteurs de tous horizons et de tout âge en un mois : la tour est pourtant vouée à la destruction. Chose que l’on peut avoir du mal à comprendre…

Des graffeurs qui s’organisent et se respectent, une expo encadrée : c’est tout le contraire de ce qu’on a l’habitude de voir ! La découverte, parfois périlleuse, de friches industrielles redécorées : c’est aussi ça, la magie du Street Art et cette tour ne le transmet pas vraiment.

En sortant, nous sommes bouleversés. Certaines idées nous ont vraiment marquées. Les images reviennent, les larmes ne sont pas loin. La peur d’avoir rater quelques chose nous hante ; on aimerait y retourner. On préfère pourtant garder le souvenir d’une journée magique, d’un grand moment de vie, d’un bonheur éphémère.

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