Bien que ce film n’ait pas eu une promotion fulgurante, les cinéphiles n’ont pas pu s’empêcher de remarquer le nom inscrit en petit en bas de l’affiche : Jean-Pierre Jeunet. Ce dernier est le réalisateur d’un Long dimanche de fiançailles ou encore du Fabuleux Destin d’Amélie Poulain. Hormis les titres à rallonge c’est tout un univers que ce réalisateur emmène avec lui dans ses films et le parallèle entre T.S. et Amélie Poulain est ici particulièrement frappant. Au niveau de l’époque c’est un halo de mystère qui flotte toujours, c’est actuel et pourtant il y a toujours ce petit air rétro, ce petit doute.
Le fabuleux destin d’un petit génie
T.S. Spivet est un petit garçon différent dont le nom complet rappelle un oiseau. Alors que son faux jumeau Layton dessine en dépassant toute les lignes comme un enfant normal de moins de six ans, T.S., lui, calcule les proportions des membres des personnages à colorier. Passionné de science, il a du haut de ses 10 ans un talent incroyable pour l’observation, les dessins et toutes les théories mathématiques, chimique en passant même par les théories de la relativité d’Einstein. Sa famille habite dans un ranch où son père vit et agit comme les cow-boys des vieux westerns, où sa mère passe son temps à étudier les insectes et où Gracie sa sœur à des préoccupations d’adolescente normale. Étrange famille, mais l’ambiance est conviviale et à l’aide de la 3D nous aussi nous nous invitons à la table du ranch au fin fond du Montana.
Entre drame et aventure l’Extravagant voyage du jeune et prodigieux T.S Spivet saura aussi nous faire rire. T.S développe l’angoisse enfantine que son père ne l’aime pas. Layton ressemble tellement à son père, autant dans le vêtement que dans leurs centres d’intérêt. T.S. se sent alors rejeté et inférieur à son frère. Heureusement pour lui, Layton reste son fidèle acolyte et ils sont inséparables. Mais un jour arrive un drame, le drame de perdre un frère, un enfant, un ami, et pire encore ce sentiment de culpabilité qui peut vous envahir. T.S. semble donc dans une période difficile où il est incompris.
Il met alors tout son cœur à l’ouvrage pour ses expériences. Il publie deux ou trois schémas dans des magazines de science tranquillement. Mais un jour, une grande agence scientifique l’appelle et lui annonce qu’il est en train de révolutionner le monde technologique et scientifique avec sa machine à mouvement perpétuel et qu’il doit donc venir recevoir son prix à Washington DC. Voilà l’histoire lancée et T.S. envolé !
Un long dimanche de travail visuel
D’autre part, il y a de quoi rester bouclé à son siège en voyant comment le réalisateur s’est démené pour avoir une telle qualité d’image. D’abord, la 3D est ici le résultat d’une avancée technologique flagrante. Rien à voir en effet avec les retouches post-réalisation pour donner une intuition de 3D qu’on a pu observer dans le dernier Harry Potter (en autres évidement). Ici, ce n’est pas non plus un élément de temps à autre qui sort de l’écran pour pouvoir justifier le coût du film ou encore de la place de cinéma. Non, il s’agit ici de réels effets spéciaux tout le long du film, parfois touchants, parfois juste magnifiques pour une flaque ou un décor. Si ce film peut vous secouer autant c’est que vous n’êtes pas spectateur mais vous y êtes, là, avec T.S, à travers les montagnes et les plaines du Montana.
La 3D permet aussi d’un point de vue stratégique d’insérer des images dans un plan. En effet il y a différents niveaux, on peut donc sans que ça pose de problème de compréhension voir le personnage et voir se dresser à côté de sa tête ce qu’il voit ou ce qu’il dessine comme s’il s’agissait d’un zoom. D’ailleurs c’est ainsi qu’est exploité et renforcé tout le discours scientifique du film. Puisque de manière très éducative et drôle il arrive au réalisateur de nous insérer des schémas en mouvement pour que nous puissions suivre sans souci les dires du petit T.S. De la même manière le film est structuré en chapitres comme si Jean-Pierre Jeunet avait peur de nous égarer. Cela correspond tout à fait au caractère de son personnage principal mais aussi à son âge, tout est donc dans la continuité.
L’image en elle-même est postérisée pour cette idée « vieillot », mais elle est aussi tout particulièrement travaillée. Dans chaque scène (ou presque) se trouve du rouge. Jean-Pierre Jeunet a semble-t-il voulu donner à ce film un ton chaleureux, mais le rouge c’est aussi dans un sens la couleur du tragique, du sang et de l’accident. On retrouve aussi ce jeu de couleur notamment avec le vert dans le film d’Amélie Poulain.
Une évasion extraordinaire
Quelle surprise de voir la formidable Helena Bonham Carter se transformer littéralement sous nos yeux. Après tous les rôles un peu fous, sauvages ou méchants qu’elle a dû et su interpréter la voilà mère de famille. Pour vous rafraîchir la mémoire : rappelez-vous Marla Singer dans Fight Club. Heureusement pour nous elle sait garder ce petit air de folie, qui la rend aussi touchante. C’est ce qui la rend si singulière. En tout cas jolie surprise de la retrouver changée et cependant toujours aussi douée. Le reste du casting est sans éclat particulier mais se débrouille bien. Le jeune Kyle Catlett est vraiment bouleversant mais cela tient plus à son rôle qu’à son charisme personnel semble-t-il.
Enfin peu importe ce qui vous transporte habituellement, vous aurez de fortes chances de vous retrouver touchés à un moment donné par ce film. Pour les âmes sensibles et délicates, les lunettes 3D seront un camouflage à vos larmes pour certaines scènes. Pour les plus ouverts au comique et les gens rieurs, beaucoup de scènes piochent dans le registre des blagues populaires, ou dans les répliques saugrenues et inattendues. Pour l’humour il y a en effet un mélange entre l’innocence de l’enfance et la lucidité et le pragmatisme inopportun de T.S dans plusieurs plans.
Ainsi c’est aussi l’histoire d’un voyage comme l’annonce le titre. Ce sont des rencontres par exemple. Ou encore c’est une quête où l’enfant va vers l’âge adulte, vers le deuil etc. C’est une progression, et là encore il ne s’agit pas de T.S uniquement, ni à l’inverse de leçon de morale universelle, mais plutôt de réflexion que tout le monde peut utiliser à son gré. En somme entre le graphisme, la technique, l’histoire, le script presque littéraire, les acteurs et le panel d’émotion : c’est à ne pas manquer.