De Wati B à Unkut en passant par House of Déreon, lancée par Beyoncé, on ne compte plus marques de vêtements issues du monde de la musique. Elles tendent à appuyer et prolonger la notoriété de leurs initiateurs. Seulement aujourd’hui, faire de la musique ne coûte pas cher, et il est devenu très difficile pour certains labels indépendants de continuer à vivre de la musique, touchée de plein fouet par la crise du disque. Les musiciens doivent trouver d’autres sources de revenus. Certaines maisons de disques mettent en place des stratégies de diversification pour pouvoir continuer à faire leur métier. Pour ces labels indépendants qui subissent plus ou moins sévèrement les effets du téléchargement, la mode se présente comme une véritable issue de secours. Au moins, les vêtements ne peuvent pas être téléchargés illégalement, jusqu’à présent.
« Si ton polo c’est pas du Unkut, négro ne le met pas » Booba.
Proposer des vêtements présente plusieurs avantages pour les artistes. L’apport est inévitablement financier mais la clé du succès réside ailleurs : en proposant à leur fans d’acheter des vêtements affichant distinctivement le nom du label, les fans deviennent de véritables « supports publicitaires », et en plus, ils payent pour le devenir ! Certains labels consacrent une partie très importante à la vente de vêtements, tels que Kitsuné ou Ed Banger, tandis que pour d’autres labels vendeurs de fringues, comme Marble ou Sound Pellegrino, leurs activités musicales restent prioritaires. Arrêtons-nous le temps de quelques lignes sur ces labels qui ont décidé d’allier notes et mailles.
Kitsuné, la maison de disque « tête chercheuse » est créée en 2001 par Gildas Loaëc et le japonais Masaya Kuroki. 4 ans plus tard, le label se lance dans le textile, et la première collection voit le jour. En 2008, la première boutique est ouverte à Paris. Et depuis, la mode fait partie intégrante de l’économie de Kitsuné. D’ailleurs, leur site internet est divisé en deux, une partie musique et une partie mode. L’espace dédié au shopping se présente comme un véritable site de vente en ligne de vêtements. Avec 4 collections par an, Kitsuné diffuse du prêt-à-porter homme et femme et propose également des sous-vêtements et des accessoires.
Équilibre entre passé et présent…
La marque puise son inspiration dans un constat initial : le manque de produits et de marques casual de qualité. La plupart des basiques proposés sur le marché sont souvent ringards, figés dans le temps et mal taillés. L’idée est donc de réinventer les classiques, de faire du « new classic » selon Masaya Kuroki. Leurs produits, tous fabriqués en Europe sont sobres et bien coupés. Les matières sont nobles et bien choisies. Rien d’excentrique donc : polos en coton, chemises impeccables… Des basiques qui pourraient parfaire la garde-robe d’un étudiant de l’Ivy League. Le concept central de la marque est de proposer des vêtements qui durent. La ligne directrice est simple, Masaya ne cherche pas à créer du neuf, il vise la maîtrise des standards. Il ne s’agit pas pour Kitsuné de révolutionner les codes traditionnels, mais de les actualiser. Leurs vêtements s’ancrent dans la vie de tous les jours, avec un souci constant de qualité.

Le modèle de snapback réalisé par Kitsuné et New Era
Pour accroitre sa notoriété, Kitsuné sait s’associer et choisir des collaborations avec des marques en vogue. En 2013, le label lance une collaboration avec les casquettes New Era, une 5-panel avec « Parisien » écrit sur le devant. L’esprit de la marque, loin d’un matraquage boulimique de la mode, séduit et attire de nombreuses griffes qui se reconnaissent dans cette démarche créative, s’opposant à la surproduction actuelle. Entre autres, on trouve le créateur Pierre Hardy, Colette, Petit Bateau… Mais également Le Bon Marché pour qui Kitsuné a imaginé une chemise à 360€ pour les 160 ans de l’enseigne, ou encore des marques comme BWGH avec le fameux sweat « Kistuné parle Français ». Un succès fulgurant qui leur a permis de se développer au-delà des frontières françaises, et même européennes, avec l’ouverture d’une boutique dans une des villes les plus dynamiques en matière de mode : New York.
La griffe au renard ne lésine pas sur les moyens quand il s’agit du choix des matériaux. Les matières utilisées sont luxueuses et gage d’une haute qualité. Cousues à la main et généralement en France, les matériaux viennent des quatre coins du monde : coton d’Oxford, cachemire d’Écosse, jeans du Japon… Masaya Kuroki mise sur la pérennité et l’excellence de ses produits. Tout cela a évidemment un coût : comptez un peu moins de 100 euros pour un tee-shirt, 800€ par exemple pour une veste, 250€ la chemise…
Chez Kitsuné, qui connait une croissance importante, le vêtement est, de toute évidence, plus rentable que le CD. Même si les quantités de vêtements écoulées ne sont pas faramineuses, les marges sont beaucoup plus fortes. Tandis que la musique est devenue gratuite presque partout, les investissements restent les mêmes. La musique est moins source de profits qu’avant. D’où l’importance de faire de la mode, pour continuer à faire de la musique.
Les chats cools : l’autre cas d’école

Lacoste et les Cool Cats
Cool Cats est née en 2009 et rassemble les créations croisées des équipes de Michael Dupouy, Pedro Winter, de la maison de disque Ed Banger fondée en 2003, et du graphiste So Me. Dérivée du label, la marque Cool Cats proposait des t-shirts, casquettes, blousons, chaussures, sacs, gilets… Tout comme Kitsuné, les prix sont élevés, et les collaborations fructueuses. Cool Cats s’est associé à la marque de skateboard Etnies pour la création de sneakers intitulées “Ednies”, en édition limitée. Busy P a eu l’opportunité, tout comme Booba, de créer sa propre chaussure Air Force One chez Nike. La liste des collaborations est longue… On trouve aussi des noms comme Eastpak, New Balance, Stussy, Monsieur Lacenaire… Mais également des artistes internationalement connu comme Todd Jame, la dessinatrice Française Fafi ou le graffeur “Neckface”.
Leur association avec Lacoste reste une des plus emblématiques. La marque au crocodile a tenté de rajeunir sa cible en s’associant à Cool Cats. La marque Lacoste a longtemps souffert de son image : une marque qui avait du succès principalement dans les banlieues. Cette image de marque leur a fait perdre un segment de marché considérable. La marque a donc entrepris d’importantes mesures pour changer sa communication et opérer une montée de gamme. La première collection qui réuni les deux marques s’intitule Lacoste L!ve x Cool Cats. Les concepts sont décalés, inspirés de la culture pop : le chat Cool Cats mange le crocodile Lacoste. Le logo se fait maltraiter par Cool Cats, ce qui a pu déranger les fans les plus conservateurs de la marque au crocodile. On déplore que Cool Cats ait presque réussi à engloutir et à ridiculiser Lacoste. En 2011, Busy P et So Me ont remis le couvert avec Lacoste, avec la collection Lacoste Live x Cool Cats « Black Line », en proposant des articles en édition limitée (150 pièces) et uniquement disponibles sur le site Cool Cats.
Cool Cats s’est régulièrement associée à la marque Sebago pour créer des versions originales du modèle de chaussures Docksides. En 2011, ils sortent la Black Remix, une paire de bateaux qui s’avère être la réédition de la Sebago Dockside CC de 2009. Elle est limitée à 200 paires, et disponible uniquement chez Colette et Cool Cats pour 165€. Le succès de leur collaboration a poussé les deux marques à rééditer plus tard une nouvelle version avec une petite modification. Une autre paire sort en 2011 : la Docksides « Club 75 Sebago », en référence au groupe formé par DJ Medhi, Busy P, Justice et Cassius à l’occasion du festival Coachella en 2010. Cette collection est limitée à 300 exemplaires.
En Mars 2013, la marque Cool Cats est remplacée par Club75, qui reprend les mêmes codes graphiques et inspirations visuelles que sa maman Cool Cats.
De manière moins intensive que chez Kistuné et Ed Banger, d’autres labels proposent des vêtements et accessoires pour leurs fans. Le label Bromance, fondé par Brodinski en 2011, propose sur son site internet des t-shirts, casquettes, sweats à l’effigie du label. Brodinski s’affiche lui-même avec les habits de sa marque, arborant régulièrement des casquettes « BCM ». Il devient ambassadeur de son label, tel que Sound Pellegrino, un label crée en 2011, qui propose sur son site des écharpes, tote bags, nœuds papillons, t-shirts, de quoi ravir les fans de Teki Latex ou encore Maelstrom. Le label de Surkin, Para One et Bobmo, Marble, propose aussi des vêtements affichant leur logo, et les signatures visuelles d’artistes qu’ils produisent tel que Canblaster. Le fantasque Sébastien Tellier propose également quelques vêtements sur le site de Records Makers. Or, la vente de vêtements est marginale par rapport à la place prise par la musique.
Pourquoi porter un vêtement signé d’un label ? Question de goûts, certes. Mais il est difficile de penser que la beauté de la pièce soit toujours l’argument principal, car en général, les t-shirts sont simplement couvert d’un logo. Les fans qui décident de porter ostentatoirement des vêtements à l’effigie de la musique qu’ils écoutent se placent dans une communauté de goûts et dans un groupe d’appartenance lié à la musique. Ils peuvent afficher clairement la musique qu’ils aiment et l’univers allant avec. En plus d’énoncer leur appartenance à un style musical, ils semblent parfois renfermer leur sociabilité sur un groupe d’initiés qui comme eux, connaissent et apprécient la même musique. L’union de la musique et de la mode soulèverait-elle un autre aspect d’ordre social ?