CINÉMA

Festival Lumière 2013 – Because we love watching movies !

Le Festival Lumière avait démarré fort en 2009 en récompensant Clint Eastwood. Après avoir gravé les noms de Milos Forman, Gérard Depardieu et Ken Loach sous le fameux couvercle du cinématographe Lumière, Thierry Frémaux et l’équipe de l’Institut Lumière ont décidé de rendre hommage au metteur en scène le plus cinéphile du monde : Quentin Tarantino ! “Because we love watching movies” est devenue la phrase du festival, en clin d’œil à la phrase culte du cinéaste aux 7 films : ” Because we love making movies ! ” Ces deux phrases sont en fait dépendantes l’une de l’autre ; c’est en voyant et en aimant les films des autres qu’on a envie d’en faire … Sept jours de rêves programmés, on pourrait presque se croire dans Total Recall. Mais comme avant de rêver, il faut attendre, eh bien on attend. Mais c’est comme faire des heures de queue pour voir quelque chose de magique, on prend sur soi et souvent ça vaut le coup.

La simple annonce du Prix Lumière 2013 en conférence de presse avait déjà provoqué une véritable ébullition chez ceux qui étaient un peu à l’affut, la nouvelle se répandait vite, très vite. La soirée de remise du prix est vendue mi-septembre : 3000 places parties en une heure. Victime de son succès ? Ce n’est que le début. L’engouement provoqué pousse l’organisation à programmer une séance de clôture en sa présence. Film prévu ? Pulp Fiction -Holy Shit !- il y a 4500 places cette fois. Nous ne savions pas ce que la semaine du 14 au 20 Octobre allait nous offrir ; nous pensions que Quentin Tarantino allait rester deux ou trois jours, le temps de prendre son prix et reprendre un avion fissa. Un cinéaste aussi connu, aussi admiré, aussi vu, (rappelons le très grand succès de son dernier film Django Unchained !) un cinéaste de cette taille, (et dans tout les sens du termes, croyez-moi) ne va pas apprécier une ville comme Lyon, ça paraît inconcevable. Le matraquage publicitaire commence dans les rues de Lyon alors que la programmation est annoncée depuis déjà plusieurs mois : l’édition veut nous emmener sur les routes avec Hal Ashby, le « cinéaste oublié des années 70 », dans le cinéma suédois du légendaire Ingmar Bergman et dans un triple hommage à Jean Paul Belmondo et Françoise Arnoul à travers les films d’Henri Verneuil. Elle nous invite aussi à voyager dans le temps ; les années 30 avec le passage du muet au parlant, les 25 années de travail du Studio Ghibli en film d’animation. Une dernière grande rétrospective reste un peu mystérieuse mais se précise au fil des semaines. Maelle Arnaud, programmatrice du festival, nous explique en quelques mots que le collectionneur de bobines 35mm qu’est Tarantino souhaiterait apporter quelques copies à lui. Ce qu’il n’avait pas dit, c’est qu’il les présenterait ! Un homme qui surprendra le public toute la semaine et dès la Soirée d’Ouverture …

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La Halle Tony Garnier ouvre ses portes une heure avant le début de la séance : certains font la queue depuis déjà deux heures. Ce soir, c’est Jean Paul Belmondo à l’honneur ! Les premiers arrivés se précipitent pour prendre les meilleures places alors que les derniers ne se pressent pas forcément, drôle de paradoxe. Du public plutôt âgé qui souhaite retourner en enfance aux cinéphiles en passant par les lycéens et étudiants en cinéma, beaucoup sont là pour applaudir celui qui aura été un symbole de la Nouvelle Vague en France, un des plus grands acteurs français de l’histoire du cinéma, une gueule, une voix, un regard. Un homme loin de ses belles années mais dont le regard est resté intact. Les applaudissements n’en finissaient plus.
Et là, sur l’écran géant, apparaît un autre homme. Il voulait être là pour rendre hommage à Jean Paul Belmondo. Il lui fait une déclaration d’amour. Deux géants du cinéma, face à face. Son arrivée était prévue pour mercredi, mais Quentin Tarantino ne rate pas une soirée dédiée à celui qu’il nommera « Le roi de la supercoolerie ».
La tradition du festival est de rappeler que l’on doit le cinéma aux frères Lumière : la projection des trois versions du premier film « La sortie des usines Lumière » dont le remake est prévu pour samedi, afin de marquer les trente ans de l’Institut Lumière, avec à la mise en scène Michael Cimino et Quentin Tarantino, rien que ça. Des “vues Lumière” comme les Crémos, film hilarant sur de jeunes acrobates, sont aussi au programme. Cette première soirée est dédiée aussi au 35mm, format de pellicule remplacé par le numérique dans pratiquement toutes les salles françaises, au grand désespoir de certains. Le cadeau du soir fera en tout cas des heureux ; des morceaux de pellicule du film A bout de Souffle de Jean Luc Godard sont distribués. De belles idées et la projection d’Un Singe en Hiver d’Henri Verneuil enflammeront déjà festivaliers et festivalières, la semaine promet.

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La soirée de remise du Prix Lumière, LA SOIREE de la semaine d’après beaucoup : la couverture médiatique est grande, le nombre de vedettes aussi. Les actrices fétiches de Tarantino sont là, Uma Thurman pour remettre le prix, Mélanie Laurent pour accorder une danse et chanter un ‘Bang Bang’ en clin d’oeil au cinéaste. Les producteurs légendaires Lawrence Bender et Harvey Weinstein monteront sur scène pour acclamer le réalisateur le plus transgressif de notre siècle. Harvey Keitel bouleversera par ses mots, Tim Roth aura la grande classe et Thierry Frémaux mènera la soirée avec maestria sous les yeux de notre ministre de la culture Aurélie Filippetti ! Ces soirées sont bien belles, pleines d’émotions, de classe et de discours sensationnels mais le charme de ce festival n’est pas là, ni dans les flash des photographes ni sur les tapis rouges.

Deux cent cinquante séances et plus d’une centaine de films ont été proposés dans les salles de Lyon et de son agglomération : le Festival de Cannes montre des films qui n’ont pas encore été distribués, le Festival Lumière à l’exception de cinq avant-premières dans la semaine, nous offre la possibilité de découvrir ou de re-découvrir à la fois des grands classiques du septième art, des raretés ou des restaurations de films de patrimoine. L’importance d’un festival comme celui-ci, Serge Toubiana la résume en quelques phrases lors d’une master class passionnante. Après avoir expliqué que “le temps de la mémoire va devenir de plus en plus important” au cinéma, il soulève quelque chose d’important sur notre rapport au temps et aux films. “Tout se joue dans le temps de la projection, le cinéma c’est du présent” ; l’œuvre cinématographique deviendrait alors intemporelle et cette semaine nous l’a fait comprendre en partie. Tarantino aime bien dire que la vraie magie du cinéma, c’est le 35mm, Toubiana ajoute qu’il faut découvrir un film sur grand écran, dans une salle de cinéma et qu’il faut oublier tout ce qu’on a entendu, lu ou vu sur le film. La critique s’arrête là, trop remplie de préjugés d’après cet homme qui a écrit longtemps dans les Cahiers du Cinéma. L’important c’est votre “relation” avec l’œuvre, nous dit encore le directeur d’une cinémathèque considérée comme “la maison des cinéastes du monde entier” pour Scorcese. Le long témoignage de cet amoureux du cinéma est un écho de cette semaine de découverte et de surprises.
Dès le mardi matin, un hommage à Dominique Sanda était donné ; finalement Richard Berry, Jean-François Stevenin et Mathieu Demy accompagnait l’actrice pour présenter la version restaurée d’Une Chambre en Ville (1982) de Jacques Demy, film musical dont l’originalité ne plait pas forcément. Ils nous expliquent que la synchronisation son avait été un calvaire, qu’une scène d’émeute dans le début du film avait vraiment fini en bagarre. Mathieu Demy, fils du réalisateur et superviseur de la restauration des films de son père, notera quand même que la salle est certainement plus remplie qu’à la sortie du film, qui fut un échec commercial : L’as des as avec Belmondo était sorti la même semaine … ! Dominique Sanda ne dira malheureusement que quelques mots. Un format de séance qu’on trouvera toute la semaine : une présentation de quinze ou trente minutes et la projection, avec une salle archi-pleine. Il y aura les bavards comme Bertrand Tavernier ou James B. Harris à la présentation de Some Call It Loving (1973) qui nous expliquera longuement que son film est très sexuel, que le fantasme est maître-mot dans l’œuvre. Il ne nous préviendra pas que Zalman King est peut-être la source d’inspiration de Ryan Gosling tant son jeu est silencieux à l’instar du célèbre acteur de Drive … Il y aura les présentations efficaces comme celle de Thierry Frémaux avant la projection du nouveau documentaire satirique de James Toback Séduits et abandonnés sur la difficulté à trouver un financement pour un film aujourd’hui. Mené par James Toback en personne et accompagné d’un Alec Baldwin très en forme, ce documentaire au montage (trop) dynamique nous emmène au coeur du festival de Cannes, devenu un festival-marché où parfois des millions se négocient ; maîtrise de la lumière, mise en scène et cinéma-vérité se mêlent pour donner du relief à ce visage du cinéma. Un autre bijou ornait la sélection de documentaire : Anne Andreu est venue présenté les 53 minutes de bonheur de Eternelle Jean Seberg. Elle nous montre là le seul hommage existant sur la vie de cette actrice à la beauté aussi grande que son mystère, qui brillera en Cléopatre dans le film éponyme d’Otto Preminger, qui sera un symbole de la Nouvelle Vague grâce à François Truffaut qui l’encensera et à Jean Luc Godard qui la filmera. On ne peut que remercier la réalisatrice d’avoir fait ce travail de mémoire difficile.

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Il y eu aussi le léger pessimisme de Philippe Garnier, grand journaliste, à la présentation d’un film du cycle Art Of Noir : The Hunted (1948). Après la déclaration d’amour du spécialiste des Films Noir Eddie Muller à Belita, un des personnages féminins du film, Garnier donne son point de vue en deux phrases : “Si le film avait eu une autre fin, il aurait été un grand film. Mais là, c’est juste un film intéressant.” Voir ce film où l’intrigue se répond toujours avec humour pour se faire un jugement paraît être la chose la plus sage à faire, tout en se rappelant de ses mots.
La magie de ce festival, c’est aussi de passer d’une séance à une autre en traversant l’histoire du cinéma, sans bouger de son siège. Imaginez faire un saut des années 50 à la fin des années 20 en l’espace de quelques minutes. On plonge alors dans une œuvre muette mais pas silencieuse : le piano devient un pont entre l’image et les émotions comme dans le magnifique Solitude de Paul Fejos (1928). D’un des derniers films muets de Charles Vanel Dans la nuit (1929) au premier film sonore Le Chanteur de Jazz d’Alan Crosland (1927) en passant par la double version parlante et muette de Blackmail (1929) d’Hitchcock (“le gros malin”, disait Frémaux), nous avions une mine d’or à notre disposition et pas assez de temps pour tout voir.

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Outre le fait de sentir que le festival prend de l’ampleur, de petites choses évoluent dans le bon sens : un village du festival mieux agencé, une Bourse Cinéma et Photo qui, malgré un manque de visibilité, s’agrandit, un studio radio spécial festival de plus en plus sympa, c’est aussi une semaine qui vous retourne, vous fout des baffes. Le coup de fouet de Deer Hunter (ou Voyage au bout de l’Enfer) du grand Michael Cimino en sa présence et en compagnie de grands acteurs et actrices comme Emmanuelle Devos ou Tahar Rahim, la fameuse séance Le Voyou de Claude Lelouch présenté par le réalisateur et Tarantino qui fait crier “Merci Simca” à toute la salle, se retrouver à la gauche de Nicolas Saada et discuter si simplement avec ce grand critique et réalisateur d’Espion(s), passer trois heures avec les personnages de Scarface dans une gigantesque salle de cinéma. Ça n’a pas de prix, ce sont de grands moments du cinéma, de grands moments de la vie. Et la Séance de Clôture fut un bouquet final immense.

Dimanche 20 Octobre 2013, 15h. Hystérie totale à la Halle Tony Garnier. Nous sommes derrière la scène, nous ne voyons rien. Thierry Frémaux va bientôt nous appeler. La tension monte, le morceau “I Love You Baby”, que nous avons tous dans la tête depuis le début de la semaine, commence. Nous étions 403 bénévoles sur le festival ; une grande partie de l’équipe était présente cet après-midi, on se bousculait presque pour monter sur la scène. Toute l’organisation rejoint les rangs. Applaudir, encore et encore. Tarantino, Tim Roth et Harvey Keitel nous rejoignent. Frissons. Ils prennent le temps de serrer les mains.

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Après de longs remerciements, il demande qui a vu Pulp Fiction ; au moins 90 % de la salle se lève d’un seul geste, d’un seul cri. Deux fois ? Le résultat est le même. Ce n’est qu’après la troisième fois que les tarantinophages sont démasqués. Il demande si la salle veut le revoir… La Halle entre en ébullition.

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Étrange sensation d’être remercié par l’homme qui avait transformé ce festival en étant de partout à présenter les films des autres cinéastes. C’est lui qu’on voudrait remercier pour sa cinéphilie et son cinéma. Il faudra attendre deux heures du matin sur la péniche du festival pour le voir et le remercier personnellement autour de coupes de champagnes et autres vodka pomme … Un homme impressionnant par sa carrure et par sa gentillesse. Avant la projection de Pulp Fiction, il avait crié “You ain’t seen nothing yet “[Vous n’avez encore rien vu !]. Lui faire confiance pour la suite n’est certainement pas un pari risqué ! En revanche, après cette édition de folie, il va falloir que la suite soit à la hauteur. Certains iront se coucher, d’autres miseront double. Ne pensons pas à l’année prochaine, Le Festival Lumière 2013 c’était du présent ! Merci Quentin.

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