CINÉMA

Tirez la langue mademoiselle

Dans le 13ème arrondissement de Paris, la nuit, deux frères médecins sont appelés au domicile d’une petite malade, elle est seule, mais où peut être la mère ?  Cette femme, ils vont la découvrir : Judith. Elle est belle et travaille de nuit comme barmaid …

tirez la langue mademoiselleLe début réaliste du film Tirez la langue mademoiselle semble être centré autour du quotidien morose de frères exerçant tout deux ensemble la profession de médecins, mais d’emblée l’idée d’une association aussi étrange (ils se tiennent côte à côte dans leur bureau) nous met la puce à l’oreille : un tendre décalage semble bien être en train de s’installer. L’apparente monotonie de leurs vies va être transformée par la rencontre de Judith, magnifique Louise Bourgoin, qui souffle le romanesque sans le vouloir, à la fois discrète et étincelante. Le lien fraternel en pâtira, car les deux médecins en tombent amoureux, comme d’une princesse de conte, au premier regard.

Ce récit sur les liens sentimentaux, qui se font et se défont, tient son intérêt dans la poésie qu’il dégage, à la fois triste et lumineuse, et qui parcourt le film comme les personnages parcourent les rues, dans leur univers sentimental, qui prendra la forme d’une romance. Judith crève l’écran enveloppée de son manteau rouge, perce le cœur des frères de son élégance fragile. Une beauté un peu éthérée irradie le film, les néons rouges et verts des clubs et des boutiques asiatiques accentuant cet effet, créant une féerie, une atmosphère. La figure de la lune, revenant tour à tour sur un papier peint et dans un magasin, nous indique clairement le caractère des personnages et de la nuit, faits de romance, d’une touche de rêve autorisée dans l’impersonnalité de la ville. Les personnalités très différentes vont ouvrir leurs yeux soudain sur l’autre, et sur eux-mêmes, et vont se découvrir, pour le meilleur ou pour le pire. Mais ce qui fait que le film ne devient pas une simple histoire romantique, c’est cette capacité qu’a Axelle Ropert, la réalisatrice, à capter la retenue de l’émotion, en la personne de Judith, car ici, les élans sont rares et précieux. Les hommes déclament à l’héroïne leur amour d’une manière presque brusque, elle reste dans l’intériorité, manière peut-être étonnante dans le cinéma de concevoir un personnage féminin. Cette idée marque la singularité du film, comme pour dire “vous n’êtes pas à Hollywood”, les grands épanchements n’existent pas, on aime mais c’est dans un geste simple qu’on le montre, dans un baiser volé, un regard.

Le conte nocturne n’est pas manichéen et c’est ce qui nous touche : l’un des deux frères  se retrouvant face à une Judith qui ne veut pas de lui, le lien fraternel se brise, la romance n’est pas une bluette. On pense en cela un peu à Truffaut en voyant Tirez la langue mademoiselle, la romance n’étant pas déconnectée de la vraie vie, il y a surtout cette franchise singulière, cette poésie réaliste, des éclats sensuels, puis la fatalité qui s’empare du frère. Le film tient dans cette contradiction du rêve et de ses limites, ce qui paraît agaçant mais qui est en réalité juste, drôle parfois, décalé, inclassable et tout ceci forme une sorte d’équilibre. La mise en scène fait l’enchantement, la caméra se centre sur les personnages et nous en dit long sur eux, sur leur distance, leur pudeur, leur beauté. Dans un plan sobre, Judith au téléphone avec sa fille qu’elle laisse seule la nuit, l’émotion nous gagne, par la simplicité du jeu de Louise Bourgoin, tout en délicatesse. Pas d’esbroufe dans cette mise en scène, mais de la tendresse, et finalement, le charme opère. Restent quelques ratages, dans les dialogues parfois trop écrits, mais le tout est d’une grande qualité, lyrique et originale.

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