SOCIÉTÉ

Quel usage politique de la guerre ?

Ce fut long et tortueux. Mais depuis le Jeudi 26  Septembre, le Conseil de Sécurité de l’ONU est enfin parvenu à un accord, il a statué sur une résolution claire, qui engage totalement Bachar el-Assad. Il en allait de la vocation première de l’Assemblée des Nations Unies, qui se doit depuis le 24 octobre 1945, d’être la garante de la paix et de la sécurité internationales. Cette résolution impose au régime syrien la destruction intégrale de son arsenal chimique d’ici à un an. Une pluie d’auto-congratulations, de la part de toutes les puissances politiques siégeant au Conseil de Sécurité, s’est aussitôt déversée. Certes, cette résolution est un grand pas en avant : la Russie, et de ce fait, la Chine ont accepté de plier dans le sens d’une décision supranationale. Cependant, elle est bien moindre comparée à l’ambition de la résolution française. Les quinze membres du Conseil ont dû composer avec l’ « Accord de Genève », arraché fin juin entre les États-Unis et le binôme Russie-Chine ; cet accord, bien qu’étant fortement incomplet en ne précisant pas quelle place sera accordée à Bachar el-Assad dans l’avenir syrien, statue sur une transition gouvernementale à multiples acteurs. Pour l’heure, la résolution du 26 Septembre semble trouver un consensus. Cependant, si Bachar el-Assad ne la respecte pas, les choses devraient se compliquer. En effet, une réponse militaire automatique n’est nullement imposée dans le texte. Dans le cas de preuves avérées de manquement syrien à la résolution, le Conseil de Sécurité devrait à nouveau se fixer par le biais d’un autre texte, impliquant une intervention armée. La Russie a donc toujours les mains libres, quand il s’agit d’utiliser son véto pour protéger son allié syrien.

L’honneur de l’Organisation des Nations Unies est, pour l’heure, sauve. La diplomatie internationale savoure cette petite victoire, mais pour combien de temps ? Les politiques se frottent les mains : n’ont-ils pas réussi à éviter une guerre d’ampleur considérable, où les plus gros arsenaux chimiques auraient pu être déployés ? C’est une façon de voir comment la guerre peut être utilisée à des fins politiques. Nous avons comparé les usages de la guerre par les deux derniers Présidents, à l’heure du bilan de la situation malienne.

Sarkozy et La Libye

La posture d’agité de Nicolas Sarkozy dans le champ diplomatique international lui a valu bien des critiques. L’intervention en Libye tombait à pic pour certains : Sarkozy était tout près du taux record de popularité le plus bas (20 %). D’aucuns ont pointé du doigt la primauté d’entrer en guerre sur les justifications exactes de la guerre. Il est vrai qu’après avoir laissé passer les premiers mouvements de révolte annonciateurs du printemps arabe, amorcés en Tunisie, en Algérie, au Yémen et en Mauritanie, la France se devait de réagir. La Libye s’embrase le 13 février 2011, lors d’émeutes armées entre des insurgés opposants à Mouammar Kadhafi et le régime, juste après la démission de Moubarak en Égypte et le renvoi du gouvernement  jordanien par le roi Abdallah II. Courant février, les insurgés s’emparent de Benghazi et lancent un appel à l’aide. Le CNT, ou Conseil National de Transition, à la différence de la situation actuelle en Syrie, était tout désigné pour prendre la suite du processus. La France a été le premier pays à reconnaître le 10 mars 2011, en les recevant à l’Élysée, les dirigeants du CNT comme les seuls représentants politiques du pays. Bernard Henri-Lévy, philosophe engagé, qui a fortement poussé Nicolas Sarkozy à entrer en guerre, parle d’une « guerre préemptive », quand le massacre de populations civiles est avéré ; et c’était le cas. Mais la volonté française de lancer une offensive est mal vue de l’Otan et crée des tensions. L’engagement du Président Sarkozy a fortement refroidi les relations avec l’Allemagne, Angela Merkel s’étant fortement opposée à une quelconque intervention. Un mandat de l’Onu est obtenu à l’arrachée le 17 mars 2011, après revirement de Barack Obama, sans lequel Sarkozy aurait pu être comparé à Georges W. Bush. L’Otan restait partagée, sans toutefois apposer un véto, afin de ne pas rompre un précaire équilibre. Forte d’une coalition de six pays, les forces alliées, main dans la main avec les rebelles, progressent vite contre le régime libyen et achèvent Mouammar Al-Kadhafi le 20 octobre 2011.

Depuis, après des réformes de grande ampleur, le CNT a dû faire face à une crise politique, entre anciens rebelles délaissés et exercice du pouvoir. Le premier président de la République parlementaire à être élu le 9 août 2012 est Mohammed Youssef el-Megaryef, un islamiste modéré, sans trop de contestations, mais le processus démocratique est loin d’être terminé.

Avec 56 % des Français favorables à une intervention en Libye début 2011, la fierté devant le leadership français était incontestable mais le bilan de cette guerre est, lui, contesté. On parle d’une victoire du droit d’ingérence, qui tend à devenir une justification de la guerre, pour un État qui se retrouve déresponsabilisé par des forces lourdement armées qui s’en prennent aux civils. La protection des civils semble être la principale motivation à « faire la guerre », en vertu des droits de l’homme et avec comme valeur suprême la démocratie. Mais le retour du pouvoir au peuple doit aussi s’accompagner. Une intervention par à-coups, démonstrative de la force militaire et stratégique d’un pays, se transcrit peut-être dans les sondages et les urnes du pays intervenant, mais pas nécessairement comme une reconnaissance à la longue des populations concernées.

Hollande et le Mali

Le bilan français de l’intervention au Mali, ou opération Serval, vient d’être tiré. Jeudi 19 Septembre, François Hollande a atterri sur le tarmac de l’aéroport de Bamako, afin de suivre la cérémonie d’investiture du nouveau président malien, Ibrahim Boubacar Keita. D’après le corps diplomatique français, le Mali est une réussite en tout point. Dans son discours, un peu écrasé entre ceux des autres chefs d’États, dont l’aide militaire fut nettement plus importante que celle apportée par la France, François Hollande se targue, d’après le Monde, d’avoir fait du Mali « un exemple ». Ses propos, qui confèrent à la France le rôle de sentinelle couvrant les États africains, trahissent un ton que l’on connaît bien, à travers nos manuels d’histoire. Au sortir de l’action Serval, les observateurs et les conseillers à l’Élysée semblaient confiants quant au redressement de la côte de popularité du Président. Le Mali, c’était le dossier français où la France pouvait enfin s’affirmer. François Hollande, qui cultivait une image de mollesse voir d’inaction, s’est vu érigé la stature de « Chef de guerre », associée à une démonstration de force et d’autorité, contraste dont s’étonnaient journalistes et diplomates. A l’image de sa visite triomphale au Mali, début février, après avoir répondu à l’appel au secours du président Traoré, les populations africaines étaient majoritairement satisfaites de l’intervention et saluaient un « sauveur  ». La France n’était pas associée à une puissance colonisatrice ; l’opération Serval résultait d’une réflexion intense à propos d’un conflit inévitable. Les courbes des sondages étaient donc tout proches de se redresser. Cependant, ce soubresaut tant attendu n’est jamais arrivé. Le discours de François Hollande, lors de l’investiture de Mr Ibrahim Boubacar Keita, présentait des accents de gendarme sur les pays africains. De nouveau aux journalistes du Monde, le Président a parlé d’une France ayant une « vocation », d’un « pays qui a un message à délivrer au monde, des valeurs, des principes et une influence internationales ». Cela rentre en résonance avec les discours d’un certain George W.Bush, comme si la France, qui a dû reculer devant les difficultés du dossier syrien, se voulait elle aussi une puissance militaire étendue, agissant lorsque ses intérêts sont menacés, défendant des valeurs de solidarité et d’action, mais surtout de démocratie, encore une fois la valeur suprême.

Au tout dernier sondage Ifop/Le Journal du Dimanche, du 21 Septembre, 43 % des Français auraient une opinion négative du chef de l’État et de son action. Sa chute de popularité s’accélère. Dans le cas du Mali, l’usage politique de la guerre peut permettre une réaffirmation de la puissance diplomatique d’un pays sur la scène internationale, sans que cela se traduise nécessairement dans les sondages et l’opinion nationale. La guerre au Mali a permis à François Hollande de faire entendre sa voix.

À travers ces deux guerres, de nombreuses analyses ont pointé une amertume française de longue date envers le leadership américain. La popularité d’un chef d’État passe par une volonté de reconquête de la puissance diplomatique, à défaut d’être économique. Le Figaro annonce le chiffre de 64 % d’opinions opposées à une intervention en Syrie, opposition qui serait due aux difficultés éprouvées par la diplomatie française, entre recul américain et tergiversions russes.

Sudiste exilée à Paris, Mazienne #fromthebeginning. Droguée à l'actu, le plus souvent par seringue radiophonique.

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