SOCIÉTÉ

Front National : dédiabolisation, acte II

Le FN se prépare aux échéances électorales de 2014 : les municipales et les européennes. Pour cela, le parti de Marine Le Pen a rénové la vitrine et a plus que jamais la volonté de proposer une image jeune et loin des dérives du passé.

Le contexte est favorable et la vague bleue marine surfe sur un état de crise de confiance envers les partis du gouvernement pour remonter dans les sondages. Alors que le chef de l’État, François Hollande, n’est plus très loin du record d’impopularité détenu par François Mitterand, le parti frontiste est au centre de toutes les attentions, lui qui pourrait prétendre concrétiser l’essai en accédant à la mairie de certaines villes de l’Hexagone. Le FN affole les partis politiques traditionnels ; on l’a bien vu à travers les dernières déclarations du déjà en campagne François Fillon, remettant en cause ses propres déclarations ainsi que la règle du « ni PS-ni FN » jusque là de mise. Des propos qui ont crée la discorde au sein des rangs de la droite, mais qui correspondent bien à un état de fait : plus de la moitié des militants UMP ne s’opposeraient pas à d’éventuelles alliances ponctuelles avec le Front National. En « droitisant » son discours, François Fillon réalise un pari risqué, mais mise sur la réalité qu’il trouve devant lui : les idées du FN font leur chemin et séduisent de plus en plus les militants de la droite du gouvernement.

Ainsi, le ton est à l’optimisme du côté du FN. Comme l’a évoqué Steeve Briois, un des bras droits de Marine Le Pen, l’objectif est de dépasser « les 1 000 conseillers municipaux », tout en conquérant des mairies. Pour cela, le FN a sorti l’artillerie lourde en investissant pour le moment 624 têtes de liste, alors qu’en 2008 ce nombre ne dépassait pas les 120. La victoire est à portée de main en particulier dans trois villes : Hénin-Beaumont (Nord), Carpentras et Saint-Gilles (Vaucluse). L’idée est de créer unmaillage territorial pour avoir une assise locale qui nous manque actuellement pour conquérir le pouvoircomme l’a déclaré Nicolas Bay, le directeur de la campagne au sein du FN durant l’université d’été du parti, qui a eu lieu à Marseille le week-end du 14 septembre.

Au premier abord, on peut considérer que la menace est limitée, par le fait que le mode de scrutin n’est pas favorable au FN. En effet, en cas de triangulaire (ce qui est souvent le cas quand un des partis non traditionnels se maintient au second tour), il lui est difficile de passer devant ses deux rivaux. En réalité, l’idée est surtout de constituer un véritable poil à gratter pour le PS et l’UMP. L’exemple le plus clair se situe à Marseille. Le FN est en effet, selon certains sondages, en mesure d’y réaliser un score qui lui permettra d’obtenir une minorité capable de bloquer le conseil municipal. Il faudra alors jouer au jeu des alliances et c’est là où réside la menace pour l’UMP. S’il s’allie à l’extrême-droite dans la troisième ville de France, le parti pourrait s’exposer à une grave crise interne ; alors que s’il s’associe au PS, cela alimentera le fameux « UMPS » dénoncé par le FN.

L’impératif d’une image propre…

La préparation opérée par le FN est donc proportionnelle à la chance que constitue ce scrutin. Pour séduire les électeurs, le parti joue la carte jeune. En effet, 40 % des candidats auront moins de 40 ans. Ainsi, en proposant de nouvelles têtes, le FN peut facilement attaquer des élus sortants qui auraient tendance à s’accrocher à leur mandat. C’est le cas par exemple avec le jeune Etienne Bousquet Cassagne, qui s’était fait connaître en étant candidat aux législatives partielles à Villeneuve-sur-Lôt, ville où était élu jusqu’alors un certain… Jérôme Cahuzac ! À 22 ans à peine, il s’était retrouvé au second tour, en serinant l’argument du « tous pourris » face à l’UMP et avait réalisé un score prometteur de 46 %. Un an plus tard, il remet le couvert.

Une carte jeune qui constitue une arme à double détente, car elle permet aussi de faire oublier les errements frontistes, notamment quand le parti avait été amené à diriger des municipalités comme Orange, où le maire, Jacques Bompard, élu en 1995, s’était retrouvé mis en examen fin 2010, accusé de prise illégale d’intérêts. On reconnaît avoir fait des erreurs. Comme vouloir faire de ces villes des laboratoires du programme présidentiel du FN“, a reconnu Marine Le Pen. Dès lors, pour éviter de reproduire les erreurs du passé, il faut donc former ces bizuts de la politique sur le tas. L’université d’été du parti y a contribué, par le biais d’ateliers organisés pour les novices, où l’on est passé des idées à développer lors de la campagne à des points bien plus techniques, comme le grammage des bulletins de vote…

… Mais le discours reste identique.

Officiellement, cette vague de nouveaux arrivants, aussitôt investis candidats du fait du peu de cadres dirigeants au sein du parti, a été rendue possible par un infléchissement des positions du FN sur certains points. En somme, c’est la fin des dérapages verbaux du fondateur, Jean-Marie Le Pen. Il en est ainsi de Pierre Ducarne, candidat à la mairie de Nancy de 22 ans, passé récemment par le mouvement de Dominique de Villepin, République Solidaire, qui a affirmé au Nouvel Observateur qu’il « ne se serait pas engagé sous Jean-Marie Le Pen » en raison « des outrances et des petites phrases  ». Pourtant, dans la pratique, il ne faut pas gratter beaucoup pour continuer à entendre les saillies du fondateur. Ainsi, lors de son discours durant l’université d’été de son parti, il a fustigé ce pays “où les étrangers sont privilégiés par rapport aux nationaux“, “le fléau de l’islamisme“, et ces immigrés “qui demain entreront par centaines de milliers” en France, durant un discours très applaudi par les militants.

Il en est de même dans les documents édités par le FN. C’est le cas de la charte rendue publique le 10 septembre dernier qui doit servir de base aux listes de rassemblement soutenues par le parti. Au milieu de promesses assez consensuelles telles que «  favoriser l’attractivité économique de la commune » ou « défendre les services publics et les commerces de proximité  », on trouve des idées bien plus conformes aux vieilles rengaines du Front National. Par exemple, il énonce comme principe la défense rigoureuse de « la laïcité républicaine dans tous les secteurs de la vie municipale (cantines scolaires, piscines municipales…) ». Le diable se cache dans les détails, car quel intérêt de citer ces exemples ? Les cantines scolaires rappellent l’épisode de la controverse sur les repas hallal, alors que celle sur les piscines fait remonter à la surface la polémique sur les créneaux que Martine Aubry aurait fait ouvrir pour que les femmes musulmanes puissent pratiquer la natation – ce qui s’est révélé totalement infondé. Encore une fois, on retrouve la même dénonciation d’une religion et d’une communauté. Même chose quand cette charte promet « d’engager fermement et rapidement toutes les actions possibles visant à mettre fin aux installations sauvages de nomades ». Derrière le mot « nomade » se cache un bel amalgame entre gens du voyage et Roms. Deuxièmement, les gens du voyage s’installent le plus souvent sur des aires d’accueil qui la plupart du temps leur sont spécialement dédiées. Troisièmement, les Roms ne sont pas les membres d’un peuple nomade, mais en errance, car rejetés de leur région natale. Dernièrement, accoler « sauvages  » et « nomades  » n’est pas innocent ; cela renvoie au processus de déshumanisation de l’autre, de l’étranger, ce qui dénote de la forte xénophobie qui parcours toujours la pensée du Front National.

Malgré un rajeunissement sensible, les vieux démons sont encore là. Les visages changent, les idées restent.

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