SOCIÉTÉ

La drogue, une nécessité économique

Personne ne souhaite se retrouver à la rue, sans argent, sans travail et sans abri. Alors, quand on ne trouve pas de travail, ni d’aide de la part des services sociaux, que fait-on ? Rester dans la rue ? Essayer encore et encore pendant des années de s’en sortir ? Mendier ? Cet univers pauvre, lugubre et dangereux est suffisant pour pousser beaucoup à franchir la barrière du légal et à plonger dans la criminalité. Mais peut-on leur reprocher de vouloir s’en sortir ?

Parlons des délaissés de la mondialisation, ceux qui, silencieusement, nous permettent à nous, riches, de mener notre train de vie sans encombre. Prenons pour exemple Détroit, Michigan, aux États-Unis. Avec la crise financière de 2008, cette ville, qui pourtant incarnait le développement industriel dans les années 1950, vit son niveau de vie ainsi que sa population baisser radicalement, les usines se délocalisant les unes après les autres. Ainsi, la consommation de drogue a explosé, tout en s’accompagnant d’une violence inouïe. En 2007, à son plus bas, 70 % des homicides commis étaient reliés au trafic de drogue, et en 2013 Détroit est devenue la première ville étasunienne à déclarer faillite. Peut-on réellement condamner cette violence qui fait désormais partie intégrante de la ville ? N’est-elle pas plutôt une réaction face à l’inefficacité du système financier américain et à l’inaction des autorités fédérales ? De fait, la drogue utilisée (cocaïne, cannabis…) n’est-elle pas vécue comme une échappatoire par cette population exaspérée ?

Dans des cas plus extrêmes, une véritable organisation sociale s’est créée autour de la drogue. Exemple en Colombie où, profitant de la corruption du gouvernement et de la pauvreté des régions reculées, de véritables villages régis par les « Grands frères » se sont petit à petit développés. L’État n’a pas été capable de remplir son rôle de garant de la sécurité (physique et économique) ; puisque des « sub-États » se sont constitués, faisant régner la terreur, l’esclavage et le trafic de drogue illégal.
Il est toutefois important de préciser que personne ne met les pieds dans ce commerce de plein gré : le marché mondial de la drogue est souvent la seule échappatoire possible à la misère et à la solitude.
Tout comme il y a une mondialisation dite « officielle », « légale », « blanche », il y a une mondialisation « illégale, « noire ». Dès que l’on déclare une chose illégale, celle-ci continue d’exister, sous les tables, discrètement. Cette situation est une règle, elle va de soi. Cela ne veut pas dire pour autant qu’il faudrait tout autoriser, au péril de la société. Dès lors, que faire ? Quelles solutions apporter à ce problème mondial ?
La première solution, soutenue par beaucoup, est de contrôler le marché par la légalisation. Mais que légaliser ? C’est là que la morale prend une grande part dans le débat : si on légalise l’utilisation de la drogue dans un cadre récréatif et commercial, il faut faire une distinction entre les drogues douces (cannabis…) et les drogues dures (ecstasy…). Les Pays-Bas ont suivi cette solution en légalisant la consommation des drogues douces et en la limitant aux « coffee shop » ; toute utilisation en dehors de ces cafés est interdite (à part bien sûr dans un cadre médical).

Une autre solution avancée au problème que pose ce marché est la répression. Traquer les trafiquants, les emprisonner et détruire les plantations. Toutefois, cette solution radicale ne prend pas en compte la réelle source du problème : la misère. Ce n’est pas en retirant aux populations miséreuses leur seule source de revenu que l’on va améliorer leurs conditions de vie.
C’est pour cela que la solution la plus appropriée face à ce phénomène social, qui est à combiner avec les deux premières, est la réinsertion sociale. Construire des écoles, des usines, relancer l’économie réelle locale, relancer le processus d’insertion dans la mondialisation par l’implication de l’État dans la vie locale. Il est vrai que dit comme ça, tout a l’air simple. Un travail de réinsertion économique, en cas de corruption majeure et de violence, ne peut se faire sans présence policière aiguë et sans proximité. Légaliser une partie de la production, pour favoriser le développement économique, en le combinant au commerce équitable, peut aussi être avantageux pour les locaux. Les « Grands frères » profitent de la misère des gens, de la corruption des fonctionnaires ainsi que de la non-implication de l’État. Pour renverser la tendance, c’est par là qu’il faut attaquer le problème. Si l’on propose des alternatives économiques à la drogue, des alternatives réelles, viables sur le long terme, alors les populations pauvres se désintéresseront du commerce de la drogue. Bien sûr, sous la pression, beaucoup n’oseront parler en défaveur des exploitants. C’est pour ça que le travail de la police, voire de l’armée, pour sécuriser le territoire est primordial. C’est ce qu’a fait très récemment le Brésil. En 2011, sous le gouvernement de Dilma Rousseff, 17 000 militaires ont été déployés vers les frontières avec la Bolivie, le Paraguay, l’Uruguay et l’Argentine pour stopper net l’arrivée de drogue dans le pays. Six tonnes de stupéfiants ont été saisies ainsi que 31 personnes arrêtées. Cette année-là, 24 tonnes de stupéfiants ont été récoltées par les autorités, ce qui est moins qu’en 2010, où le nombre s’élevait à 27 tonnes. Cette offensive menée par le gouvernement brésilien peut être fortement critiquée, étant donné qu’elle n’est pas accompagnée de réel programme d’insertion social.

La réelle solution viable sur le long terme serait donc la réinsertion économique qui passe par le travail. Toutefois, cette réinsertion est régie par l’économie, elle-même réglée par le marché mondial, la bourse. Or, cette bourse est souvent sujette aux faillites (1929, les années 1980, 2008). Pour pouvoir effectivement mettre en place une réinsertion économique, il faudrait donc avoir une économie florissante ou du moins stable.
Mais le système financier mondial est majoritairement libéral, c’est-à-dire sans réelles réglementations, ce qui profite alors au court terme plutôt qu’au long terme. L’organisation qui serait assez puissante pour changer la donne est l’ONU (Organisation des Nations Unies). Or, celle-ci est plus ou moins « contrôlée » par une poignée de pays, les plus influents : États-Unis, Chine, Russie, Europe de l’ouest. Étant donné que ceux-ci souhaitent garder ce système capitaliste libéral, rien n’est prêt de changer, ce à quoi s’ajoutent les lobbies financiers (banques telles JPMorgan Chase, Bank of America…). La situation est ainsi arrivée à un point mort. Tout le monde reconnaît qu’il faut changer, mais personne (en tous cas les puissances mondiales majeures) ne le veut réellement.

Le débat sur la légalisation de la drogue est erroné, le problème n’est pas pris à sa véritable source : le fonctionnement financier mondial. Le problème n’est pas de savoir s’il faut légaliser les drogues douces ou non, mais de savoir comment offrir à ces populations défavorisées des alternatives. Lorsque l’on aura trouvé une réponse, qui passera forcément par une réglementation du marché financier international, on pourra alors résoudre d’autres problèmes sociaux, comme la prostitution forcée, le trafic d’enfant et de femmes ou encore de médicaments.  L’illégal n’est jamais un choix, c’est une nécessité pour survivre.

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