CINÉMA

Jeune et Jolie – Ozon joue au funambule

La salle retient son souffle. Pas après pas, un homme s’avance sous les projecteurs sur une corde tendue au dessus du vide. Lui ne retient pas sa respiration, il la maîtrise. Intense concentration et connaissance parfaite du corps s’entremêlent dans un silence absolu. Le véritable équilibre. Le funambulisme, ce sont des journées, des mois, des années d’entrainement.

Tendresse et fermeté, vices et vertus, finesses et grossièretés, mensonges et vérités, un seul homme pour jouer au funambule entre ces mots avec sa caméra, une seule femme pour incarner ceux-là : François Ozon et Marine Vacth.

Oui, la corde de l’ambiguïté est tendue dans Jeune et Jolie, le 14eme film du réalisateur. Il décide une nouvelle fois de capter la jeunesse avec sa caméra, après Dans la maison où un jeune garçon se rapproche de son professeur de français par le biais de l’écriture. Jeune et Jolie introduit le propos en nous mettant dans la peau du voyeur observant dans ses jumelles. Ce n’est finalement que le petit frère qui cherche sa grande sœur. François Ozon veut peut-être nous prévenir de cette façon : il ne faut pas tomber dans la fausse piste d’un voyeurisme vulgaire. Lors d’une nuit, Isabelle, le personnage principal, perd sa virginité sur une plage avec Félix, un amour de vacances. Ozon peint cet instant comme si elle avait un regard extérieur sur la situation, en se voyant elle-même, comme si elle laissait une partie de sa vie derrière elle. Le lendemain, elle fête ses dix-sept ans, entourée d’une mère attentive interprétée par Géraldine Pailhas (la ressemblance est étonnante) et un beau-père compréhensif mais un peu maladroit campé par Frédéric Pierrot. Le petit frère est là aussi, d’une complicité exquise, joué par le jeune et doué Fantin Ravat. La narration est chronologique, le film est découpé en saisons.

L’automne arrive. Contre un pull gris trop grand, un jean et des baskets, elle enfile un tailleur noir et des chaussures à talons. Elle entre dans un hôtel. Chacun de ses déplacements est montré, les couloirs sont déserts. Elle frappe à la porte, une voix rauque répond. On ne veut pas comprendre, parce que la scène tombe presque dans le glauque, presque dans le cliché. Je dis bien presque mais Ozon ne perd pas l’équilibre. Il joue juste avec la corde. Et il sait ce qu’il fait. Georges, joué par Johan Leysen, acteur belge à la présence fascinante, l’accueille. Il a menti sur son âge, on s’inquiète. Il remarque sa jeunesse. Elle devient Léa, 20 ans, elle a laissé la lycéenne qu’elle est sur le seuil de la porte 3095. Le mensonge est là comme une nécessité, la tension est palpable. Le non-dit calme pourtant la danse : Ozon nous laisse à notre imagination, déjà captée par ce récit hors des sentiers battus. Telle une joueuse compulsive à la Jeanne Moreau dans la Baie des Anges de Jacques Demy mais sans la mauvaise conscience exprimée, Isabelle continuera à se prostituer jusqu’au drame. Dans la suite du récit, on retrouve l’actrice fétiche du cinéaste : Charlotte Rampling. Pour lui, chez cette femme et la jeune Marine Vacth,” il se passe quelque chose derrière leur apparence”. C’est sûrement cela aussi, la magie du film.

Le propos du long métrage paraissait être la prostitution étudiante à première vue mais il n’en est rien. Même si ce point de la fiction en fait son entière singularité, elle englobe une grande quantité de questions sur l’adolescence, le rapport au corps, à l’argent, aux autres mais surtout à soi-même. Rythmée par quatre chansons de Françoise Hardy, c’est une découverte par le risque, une échappatoire, un secret sulfureux, un pied hors des limites, que le film peint. La société, elle, y est représentée par le grand lycée Henri IV situé dans le quartier latin à Paris ou étudie Isabelle. De plus, une scène est tournée dans une des classes de l’établissement. Le metteur en scène choisit de faire lire le poème Roman, de Rimbaud, aux jeunes acteurs et vrais lycéens de la classe.

Un casting et une mise en scène de qualité dont on retirerait peu de défauts, un découpage précis, un rythme prenant, François Ozon réussit à poser des questions et offre des pistes de réflexions en gardant une grande fraîcheur de regard. Il nous propose un film abouti, un léger scandale à Cannes et certainement un succès proche. Jeune et Jolie est une œuvre provocante qui saura, tout en vous troublant, vous éblouir sans vous aveugler. Il a osé : Merci !

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