SOCIÉTÉ

Ce que la loi ESR va changer dans les universités

Adoptée le 9 juillet dernier par l’Assemblée Nationale, la loi portant sur l’Enseignement Supérieur et la Recherche (ESR) a pour buts principaux affichés une meilleure réussite étudiante et une réorganisation en profondeur des universités françaises. Au-delà de tout ce qui sera modifié dans la gouvernance universitaire et à quelques jours de la rentrée dans les facultés, focalisons-nous sur ce qui changera concrètement dans le quotidien des étudiants. 

Le débat a été âpre, mais finalement, sans grande surprise, la loi ESR a été votée définitivement en seconde lecture à l’Assemblée Nationale, le 9 juillet dernier. C’est son passage au Sénat qui s’est révélé le plus problématique – 174 pour, 169 contre -, ce qui s’explique par le refus des Écologistes et du Front de Gauche de voter le texte. Les deux partis ont jugé ce texte trop suiviste par rapport à la loi précédente, mise en place sous le mandat de Nicolas Sarkozy, par la ministre d’alors, Valérie Pécresse, qui avait suscité à l’époque la fronde du milieu universitaire. Les écologistes ont signifié leur opposition au texte, malgré les améliorations qu’ils sont parvenus à arracher durant la procédure législative, en s’abstenant. L’UMP a récusé elle aussi la loi ESR, qui à ses yeux, remet en cause l’autonomie des universités instituée durant la dernière mandature.

Au-delà des évolutions dans la gouvernance des universités qui sont assez obscures et ne changent rien dans les cursus universitaires, intéressons-nous à ce que cette loi va changer concrètement pour les étudiants français dans les prochaines années.

L’exception au principe de la langue française dans l’enseignement.

C’est la disposition qui avait le plus créé la polémique dans ce projet de loi, s’attirant les foudres des défenseurs de la langue de Molière. En effet, l’article 2 de la loi ESR prévoit une extension au contournement du principe affirmant que le français doit rester la langue des enseignements. Il sera maintenant possible d’organiser un cursus majoritairement en langue étrangère dans le cadre d’un accord avec une institution ou un programme européen ou international. Mais il faudra qu’une part des cours reste en français et que le niveau de langue française subsiste comme un des facteurs de notation pour l’obtention des diplômes concernés. Cette dernière disposition a été insérée dans le texte suite à la levée de boucliers suscitée. L’Académie Française a milité pour défendre « la vocation mondiale de notre langue » dans une tribune publiée dans l’hebdomadaire Le Point. Certains syndicats leur avaient emboîté le pas, comme le SNESUP, qui craignait pêle-mêle un appauvrissement culturel, une difficulté supplémentaire pour les étudiants français et un facteur à la base d’une ségrégation sociale accrue. En face, la CGE (Conférence des Grandes Écoles) a défendu cette mesure, que la plupart d’entre elles applique déjà dans de nombreux cursus, par souci d’attractivité de la France dans un contexte de concurrence accrue sur le marché de l’enseignement supérieur.

Priorité aux bacs professionnels et technologiques en DUT et en BTS

Cette priorité se matérialise par l’instauration de quotas. Un “pourcentage minimal” d’élèves venant de bacs pros ou de bacs technologiques sera fixé par le recteur, “en tenant compte de la spécialité du diplôme préparé”, avec des “critères appropriés de vérification de leurs aptitudes”, et en concertation avec le président d’université, les directeurs d’IUT et de CFA (Centres de Formation d’Apprentis). Cette mesure a pour but de juguler le flux d’élèves venant de bacs généraux dans ces formations pour éviter que les autres bacheliers n’aient, par défaut, que la solution de s’asseoir sur les bancs des universités, où leur taux d’échec est important. Mais cette mesure est elle aussi très controversée, accusée de rigidifier les parcours et de mettre les étudiants dans des cases pour la sociologue Sophie Orange, interrogée dans les colonnes de Libération, ou bien encore de provoquer une désaffection envers ces filières. En effet, le véritable souci que rencontrent les DUT et les BTS tient au fait que les candidatures venant des bacs pro et techno sont trop peu nombreuses. D’où l’intérêt de « campagnes de prévention dans ces lycées pour inciter ces bacheliers » comme le préconise de nombreux directeurs d’IUT.

Des places en filières sélectives pour les élèves méritants.

Cette mesure n’a pas eu le même retentissement que les deux précédentes mais sa valeur est hautement symbolique. Elle permettra, sur la foi des résultats au Bac, à de brillants élèves de se voir proposer une place dans des filières sélectives que sont les DUT, les classes prépa ou les IEP. Le but de ce dispositif est d’harmoniser à l’échelle nationale les procédures mises en place dans quelques lycées français. Le pourcentage des élèves bénéficiant de cet accès sera fixé chaque année par décret. Le but est de permettre à des élèves de lycées peu favorisés d’accéder à des filières d’excellence dont ils pensent que les portes leur sont fermées, pratiquant une forme d’autocensure, tout en comblant les places non pourvues dans certaines filières. Par exemple, les classes prépa ne font pas le plein : 4 000 places restent vacantes à chaque rentrée.

Les conventions classes prépas/universités et la double inscription.

Chaque établissement ayant une classe prépa devra passer une convention avec l’université de son académie la plus proche « afin de prévoir des rapprochements dans les domaines pédagogiques et de la recherche » mais aussi pour « faciliter le parcours de formation des étudiants ». A terme, cela pourra éventuellement déboucher sur la mise en place d’enseignements communs. Mais cette mesure concerne aussi les étudiants en ce qu’elle institue la double inscription pour les élèves de CPGE. Ainsi, tout étudiant devra s’inscrire dans l’université partenaire et acquitter les droits d’inscription universitaires.

Une spécialisation progressive en licence.

Une question simple à la base de cette mesure : comment mettre fin à l’indescriptible bazar que représente les diverses mentions de licence ? Avec 300 mentions différentes, difficile de s’y retrouver. L’exemple le plus concret pour illustrer cet invraisemblable pataquès : la physique. Un lycéen qui veut s’orienter dans ce domaine a le choix actuellement entre pas moins d’une trentaine de mentions sur les bancs de l’université : du génie physique à la physique appliquée en passant par physique et ingénieries. Désormais, il n’aura plus à se questionner : seule la mention « physique » subsiste. La diversification des parcours s’opérera dans tous les domaines au niveau des spécialisations et des options choisies. Le coup de rabot est important : de 300, on passe à 36 mentions de licence. Une simplification des intitulés indispensable pour donner plus de lisibilité aux élèves cherchant à s’orienter au sortir du lycée. Au-delà de cette simplification sémantique, l’enjeu est surtout d’harmoniser les contenus des mentions, avec l’idée d’un cadrage national, permettant une spécialisation progressive dans un domaine précis.

Un renforcement de l’encadrement des stages.

La loi devient très claire et insiste sur ce point : le stagiaire ne doit pas occuper un emploi déguisé : « Les stages ne peuvent avoir pour objet l’exécution d’une tâche régulière correspondant à un poste de travail permanent. » Les protections des stagiaires sont accrues ; ils bénéficieront des mêmes dispositions que les salariés et l’obligation de rémunération au-delà de deux mois de stage est étendue au secteur public et aux associations.

Des expérimentations dans la filière santé.

Le constat est simple : l’échec en PACES (Première Année Commune aux Études de Santé) est de 80 %. Ce qui est beaucoup trop élevé pour amener le plus vite possible les étudiants au niveau master. Cela s’explique par l’isolement de la filière santé, qui ne favorise pas les réorientations et pousse les étudiants à repiquer leur première année, deux voire trois fois, souvent en vain. L’idée est donc de laisser les universités expérimenter. C’est le cas du Pôle de Recherche et d’Enseignement Supérieur (PRES) Paris Cité regroupant les facs scientifiques de Paris Descartes, Paris Diderot et Paris XIII. Y est en projet un dispositif passerelle qui permettrait de rejoindre des études médicales sans forcément passer par la PACES. Ainsi, les étudiants seraient assurés s’ils travaillent de valider un niveau licence, même s’ils échouent au concours de médecine.

Les statistiques de réussite et d’insertion.

Les établissements scolaires dispensant une formation d’enseignement supérieur devront rendre publiques des statistiques sur la réussite de leurs étudiants dans cette filière et sur la poursuite d’études et l’insertion professionnelle à la sortie. De leur côté, les BAIP (bureaux d’aide à l’insertion professionnelle) des universités devront publier  les taux d’insertion professionnelle des étudiants un et deux ans après l’obtention du diplôme.

En somme, la loi ESR apporte des modifications dans l’enseignement supérieur, vers plus de lisibilité de l’offre de formation proposée ainsi que d’une réussite accrue des étudiants dans leurs études. Elle ne tranche pas fondamentalement avec la loi LRU, mise en place par Valérie Pécresse, et ne remet pas en cause le principe d’autonomie des universités. Ce qui a motivé le refus de voter le texte de la part de l’extrême-gauche et des écologistes. Toutes les dispositions seront appliquées d’ici la rentrée 2014. Il reste à voir d’ici là si ces évolutions bénéficieront bel et bien aux étudiants.

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