A l’heure où il ne fait pas bon d’être une créature aux quenottes acérées, par risque de finir un pieux dans le cœur, d’être falsifiée par des écrivains ou cinéastes de pacotilles ou simplement de terminer écrabouillée par des groupies en furie, nos quatre vampires de fin de semaine signent élégamment leur retour. Vampire Weekend a changé et ça se sent dès le premier coup d’œil. Ils ont troqué les pochettes colorées qu’ils affichaient dans leurs précédents opus pour un paysage citadin black & white. La photo datant du 24 novembre 1966, jour où un nuage de pollution tua à New York, présage une ambiance glaciale, presque tendue . Le décors est planté. L’album ne sera ni tout fringant, ni tout candide.
Vampire Weekend revient donc avec un troisième album qui clôt leur trilogie. Après deux opus, objets de culte et de renouveau musical, Modern Vampires Of The City apporte un nouveau souffle. Puisant toujours dans l’Upper West Side Soweto, ils fusionnent de nouveau une pop sophistiquée avec des claviers baroques et des rythmiques africaines. Mais ces sonorités qui les caractérisent tant sont ici moins exploitées et les new-yorkais donnent dans ce nouvel opus plus occidental davantage de place aux claviers (piano, orgue, clavecin), tout en maintenant cette spécificité afro-pop.
Nos quatre crocs dosent dans ce nouvel opus toute leur folie pour offrir un album certes moins sauvage et pétulant mais mieux produit et peut-être plus adulte. On a pourtant l’énergique Unbelievers, bijou pop-lyrique à la Arcade Fire ou encore les riffs accrocheurs de Diane Young qui flirtent avec le rockabilly et les rythmes cadencés. Mais Vampire Weekend développe aussi dans cet opus des textes parfois plus graves, tout en restant dans la continuité des deux autres. On reprend les mêmes personnages, leurs mêmes aventures, leurs mêmes doutes, les mêmes explorations de la vie pour s’interroger sur le sens et la finitude de la vie, sur le sentiment amoureux, sur les émotions humaines. La trilogie se clôt à la perfection. Avec leur premier album, éponyme, on avait le temps de l’enfance, de l’innocence, de la gaieté naïve et enfantine. Contra arpentait davantage l’épanouissement d’une jeunesse exploratrice et libertaire. Ce dernier opus marque selon eux un retour à la maison avec tous les doutes et toutes les réflexions que cela entraîne. Les douces harmonies vocales du nostalgique Obvious Bicycle, agrémentées de touches de piano suaves et électroniques, ou même Step (empruntant au morceau Step To My Girl du groupe de rap Souls Of Mischief) qui mêle claviers élégants, chœurs d’enfants et sons hip-hop, révèlent avec brio et calme cette nostalgie latente presque religieuse. Cette accalmie spleenétique se mêle parfois à un certain effroi comme dans Hannah Hunt où s’ajoutent des sonorités légères, étranges et chimériques. Le sifflement du vent et les bruits du quotidiens qui débutent le morceau se marient rapidement au piano et à la basse pour nous offrir un instant d’alchimie cabalistique. Le sombre Hudson nous engloutit encore davantage dans cette entreprise de noirceur. Des chœurs glacials stupéfiants, une batterie marquant un rythme saccadé, presque militaire, et des guitares dissonantes concourent à la frayeur malgré l’éclat apparent. Cette étincelle radieuse est portée entre autre par la voix de Ezra, travaillée différemment dans cet opus, comme dans le très bon Ya Hey où sa voix se mêle aux chœurs africanisant mais aussi dans le moins bon Worship You où le crooner fait preuve d’un souffle impassible ou dans les morceaux Hanna Hunt et Finger Back où il décolle dans les aigus.
C’est finalement avec adultisme et maturité que Vampire Weekend arrive à séduire dans le calme, là où il reluisait dans le bouillonnement. Cet album sonne authentique et le groupe dispose du mérite de se renouveler tout en maintenant ses particularités. Plus touchant, peut-être plus noble, cet album mise sans retenue sur l’expression sincère des sentiments parfois graves et amers des bonshommes de Williamsburg. Mais cet géhenne n’empêche pas nos vampires de trouver même dans leurs doutes et tourments, des rayons de soleil (qui rappelons-le, peuvent pourtant avoir des effets nocifs sur nos créatures à crocs), maintenant une fraicheur juvénile envoutante.