A l’approche du 30ème mois de troubles et d’insurrections sur le territoire syrien, aucun acteur ne semble, à l’heure où nous écrivons ces lignes, apercevoir la sortie du tunnel. Mais avant de dresser un bref bilan de la situation et de voir quelles sont les diverses stratégies envisagées, un retour en arrière sur l’origine de la Révolution Syrienne s’impose.
L’origine de la Révolution : entre une demande croissante de libertés contre la violence du régime, malgré tout toujours soutenu
Quand nos parents se lamentent devant nos heures perdues devant le poste de télé, certains parents syriens en font un tout autre constat. C’est en effet devant les images du printemps arabe amorcé en Tunisie, Égypte et Libye, qu’une dizaine d’enfants à Deraa, au Sud de la Syrie, ont acheté pots de peinture et pinceaux après les cours pour peindre sur les murs de l’école des slogans comme « Liberté » ou « Dégage ». La République Arabe Syrienne est sous le joug de la famille Assad depuis le coup d’État d’Hafez el-Assad en 1970, s’exprimant par le Baas, parti unique. La continuité par l’accession au pouvoir de Bachar el-Assad en 2000 se retrouve ainsi contestée par des tags d’enfants en mars 2011. Ils sont vite emprisonnés et malmenés par le régime. Nourrie par les appels à manifester de plus en plus importants sur Facebook, la population de Deraa s’enflamme devant le sort de ses enfants et descend dans la rue. La suite est connue : l’armée tire à balles réelles et tout s’embrase. Malgré les premières promesses sociales concédées par Bachar el-Assad, comme la hausse des salaires, la lutte contre la corruption ou des prestations aux plus démunis, ainsi que des démissions de membres du gouvernement et des libérations de manifestants, l’escalade commence.
Le peuple syrien, ensemble de multiples communautés et confessions, comme les sunnites, les alaouites ou les kurdes, se rassemble pour demander une ouverture plus marquée à la démocratie, illustrée par exemple par le droit à la liberté d’expression et le respect des droits de l’homme. Quarante ans de répression font face à une insurrection qui se construit et s’organise autour de l’Armée Syrienne Libre, depuis août 2011. Le Conseil de Sécurité de l’ONU délivre quelques jours plus tard sa première résolution, après d’âpres négociations avec la Chine et la Russie.
Mais Bachar el-Assad n’a pas perdu tous ses alliés. La communauté musulmane alaouite dont est issue la dynastie Assad, qui s’étend de la ville de Homs jusqu’au littoral méditerranéen, reste le vivier du pouvoir. L’Iran reste fortement préoccupé par la situation de son voisin et fidèle allié arabe, de même que le Qatar et l’Arabie Saoudite, en concurrence pour imposer leur leadership sur le Moyen-Orient. Enfin les réticences affichées lors des négociations au Conseil de Sécurité par la Chine et la Russie s’expliquent différemment. Vladimir Poutine met en avant le fait que le printemps arabe a mené à l’instauration de régimes islamistes, hautement plus dangereux d’après lui que le régime autoritaire syrien. Les aspects économiques semblent de fait avoir pris le pas sur le respect des droits de l’homme : Moscou est le premier fournisseur d’armes du régime syrien. Pékin semble se conforter dans l’adoption systématique des mesures diplomatiques russes, prenant ainsi le risque de froisser la communauté internationale.
Une situation réelle difficile à établir
Avec un bilan lourd qui s’élève à au moins 93.000 décès, d’après Navi Pillay, Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme, dans son rapport du mois dernier, certains observateurs sont arrivés à cette conclusion : La Révolution Syrienne de mars 2011 a disparu.
D’un point de vue extérieur, l’identification des acteurs est de plus en plus compliquée. Si l’armement des rebelles syriens est proposé depuis février 2012 par l’Union Européenne, la multiplicité de ses diverses composantes pose problème. Après le rassemblement autour de revendications nationales et populistes, le Conseil National Syrien peine à faire consensus entre salafistes, islamistes et sunnites, dont les avis concernant l’avenir du pays divergent. L’Armée Syrienne Libre se retrouve face à des brigades armées et bien organisées qui se battent les unes contre les autres. Parfois, les conflits sanglants trouvent une fin dans un accord tangible, comme celui du 19 juin entre l’ASL et des groupes armés kurdes, au Nord de la Syrie. Parfois, les bains de sangs se propagent et deviennent de plus en plus violents. De plus, le Conseil National Syrien ne rassure pas pleinement la communauté internationale : la place prépondérante occupée par les Frères Musulmans dans le CNS n’est pas perçue d’un très bon œil, de même que l’arrivée massive de musulmans radicaux tentant de mettre en place le Djihad.
La communauté internationale doit aussi faire face à la raréfaction de sources fiables. Il en résulte des accusations croisées de la part du régime et de l’ASL. Les explosions se succèdent à Damas et rendent de fait difficile l’attribution des attaques. Entre attentats terroristes mis en scène et obus tirés par le régime, les médias ne savent plus où donner de la tête. La propagande syrienne bien ficelée a réussi plus d’une fois à induire les médias internationaux en erreur. Pour ne citer que cet exemple, le marasme médiatique autour de la mort du photoreporter français Gilles Jacquier a été fait et défait par des accusations de responsabilités, des démentis, des témoignages, rendant ce moment encore plus difficile…
Bachar el-Assad a opté pour une nouvelle stratégie : face aux déchirements de l’opposition, qui n’arrive plus à se souder vers le même objectif et aux conséquences sanglantes de la révolution, il compte sur des regrets supposés du peuple syrien afin de mettre définitivement un terme à la Révolution Syrienne. Les affrontements de plus en plus fréquents aux abords de la frontière turque inquiètent et déstabilisent le CNS, dont le siège se situe à Ankara, et bon nombre de réfugiés, surtout kurdes. Bachar el-Assad ne peut qu’encourager les clivages grandissants entre les différentes communautés syriennes qui éloignent la chute de son régime de jour en jour…
Marasme autour de l’affirmation d’utilisation de gaz salin et réponses de la communauté internationale
Le franchissement de la ligne rouge, longtemps invoqué comme menace suprême contre Bachar el-Assad, semble avoir été bel et bien dépassé. Le problème d’authentification des échantillons recueillis a été du même acabit que pour les sources journalistiques. L’usage du conditionnel a longtemps fleuri dans les discours diplomatiques, ces derniers mois, mais aujourd’hui l’utilisation du gaz sarin par le régime syrien semble établi.
Depuis août 2012, la diplomatie américaine pointe du doigt l’utilisation d’armes chimiques. Barack Obama avait prévenu le régime syrien que « le moindre mouvement ou emploi d’armes chimiques » donnerait lieu à « d’énormes conséquences ». Mais la véritable « preuve » a été fournie par le dossier choc du Monde, les travaux du reporter Jean-Phillipe Rémy et du photographe Laurent Van der Stockt ont occupé plusieurs unes. Ce témoignage choc a dépêché les réactions des hautes instances nationales : Laurent Fabius, qui précisait que le franchissement de la ligne rouge provoquerait inévitablement une « réponse immédiate et fulgurante » en août 2012, a revu ses propos devant les preuves et annonce des « discussions avec nos partenaires (…) de ce qu’il va falloir faire comme réaction éventuelle ».
Après le fiasco de la mise en place de la Conférence Genève 2, qui n’a à ce jour pas permis un travail de fond entre les belligérants et le régime dû à la situation sur le terrain, le discours tant attendu de Barack Obama à la porte de Brandebourg le 19 juin a une fois de plus montré les points de vue opposés entre les grandes puissances sur l’armement des rebelles et l’intervention en Syrie. Si Barack Obama reste dans le flou en demandant une diversification de preuves formelles avant de prendre une décision, Angela Merkel s’est montrée ferme en s’opposant à toute livraison d’armes tant que la guerre civile perdurerait en Syrie. Toute décision semble donc à ce jour verrouillée, tant que Genève 2 ne sera pas organisée. Cependant, la livraison d’armes aux rebelles syriens reste bloquée jusqu’au 1er août, date avant laquelle aucune négociation n’est envisageable.