MUSIQUE

Le rugissement du Fauve ≠

Ces cinq parisiens semblent reprendre le flambeau de ce grand poète du 19ème : Baudelaire. Frustrés par l’existence et subissant le quotidien , Fauve ≠ usent des textes comme de la catharsis. Que ce soit avec KanéLe BlizzardHaut les cœurs ou Nuits Fauves, ils osent mettre leurs sentiments à nu et déclarer leur spleenl’idéal ayant fuit.
L’ère dans laquelle nous évoluons, plutôt pluvieuse pour le moment, sans l’ombre d’un rayon chatoyant semble être l’écho d’un automne infini, qui n’est pas sans rappeler “L’Ennemi”*, et d’une immense mélancolie. Dans un tel contexte, on a envie de crier et le groupe nous offre cette possibilité. Hurler au monde, se révolter et se défouler par les mots. Si l’Espoir disparaît, que l’on s’en sent dépossédé, on peut se battre en entonnant ce chant. Fauve ≠ reste avant tout une ode à la vie, ils tentent de se rattacher à des détails qui permettent d’appréhender le monde avec un autre regard.
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D’où vient la force de ce jeune groupe ? Il est sûrement le cœur d’une génération de nouveau perdue dans un conformisme qui ne lui convient pas. Tout ce que l’on redoute et hait aujourd’hui est débité par un chanteur à la voix juvénile qui malgré les apparences ne fait pas que parler sur un fond de pop sombre, proche de la cold wave.
Haut les cœurs peut être interprété comme un hommage au Carpe Diem qui passe par l’extériorisation des doutes pour profiter du moment présent. Comme sur un autre titre, une fois fini, l’instru est mise en sourdine, pour laisser entendre quelques phrases explicatives, afin que le message soit vraiment intelligible.
Kané a probablement le refrain le plus salvateur :
“Pourtant t’es beau comme une comète,  je t’ai dans la peau,  je t’ai dans la tête, et quand bien même y aurait que moi, tu peux pas, tu peux pas t’en aller comme ça ! Parce que t’es beau comme une planète je t’ai dans la peau,  je t’ai dans la tête, j’te le répéterai tant qu’il faudra, tu peux pas, tu peux pas t’en aller comme ça ! Et puis tu feras quoi Kané dis-moi ?”  Tout pourrait être jeté à la face de quelqu’un que l’on aime et que l’on veut sauver ou du moins aider. Énumérer les défauts pour montrer que malgré tout, on s’en fout parce que ça ne compte pas, qu’il faut que la personne reste là et survive. L’ensemble révèle une beauté brute dont il est difficile de se lasser.
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Le Blizzard libère comme une bourrasque nous lavant, nous déchargeant de nos aigreurs. L’ouverture de l’EP est cohérente, à l’image du groupe, qui toujours comme le fameux poète fait des allusions au fil des titres à d’autres morceaux. Le Blizzard comme les Nuits Fauves sont des thèmes récurrents. Une voix anonyme et féminine commence, avant que l’on découvre la vraie voix de Fauve ≠. “Et puis comment je ferais sans toi ? Et comment l’univers il f’rait sans toi ?/ … / Tu nous entends l’Blizzard, tu nous entends ? Si tu nous entends va te faire enculer ! Tu pensais que t’allais nous avoir, hein ? Tu croyais qu’on avait rien vu ? Surprise connard ! ” C’est fou comme ça fait du bien, d’entendre ce rugissement plein de vigueur.
Nuits Fauves, que dire ? Difficile de trouver les mots tant ces nuits mènent à réfléchir. Un vrai coup de gueule contre le formatage de l’amour, de la baise … Ici, c’est une vraie question de rencontres réelles et d’optimisme. À écouter quand on est seul et célibataire, ou même en couple et en meute pour retrouver un peu foie en ce qui nous entoure.
Cock Music, Smart Music mérite aussi son encart. Une entrée en douceur, pour quelque chose de fort ! L’idée générale du groupe est résumée, la parole est centrale. Elle est une “[arme] contre les sales pensées“, a aussi une forme d’exutoire, permettant d’extérioriser ce qui blesse,  ou au contraire permet d’exprimer des éléments plus “romantiques”. Phrases, mots, syllabes, tout y passe, pour montrer à quel point le langage est libérateur. Ce qui est vrai sur ce fragment d’EP, l’est pour tout le reste du récit fauvesque.
Rub a Dub est une conclusion digne, voire même géniale. Elle prône le courage et pousse à le saisir à pleine main, à oser au lieu de faire trop attention au regard extérieur ! On existe enfin !
C’est sûr, Fauve ≠ c’est de la pure poésie du 21ème et sans aucun doute un des groupes français les plus prometteur, de part l’esthétique (il y a un vidéaste dans le lot) et la musique. Il ne reste plus qu’à espérer maintenant que ce ne soit pas qu’un simple buzz et que l’on puisse profiter encore longtemps de leur concept qui agit sur le moral tel un remède et qui redonne goût à la vie ou du moins à l’envie d’en faire quelque chose !

“[…] l’Espoir,
Vaincu, pleure, et l’Angoisse atroce, despotique,
Sur mon crâne incliné plante son drapeau noir.” **
Ici c’est le contraire, le dernier mot n’est pas à Baudelaire.

*Charles Baudelaire, Les Fleurs du Mal, 1857/1861
** “Spleen IV”, Les Fleurs du Mal, 1857/1861

En amour avec la diversité artistique, immergée dans les images et les sonorités, en quête d'une fameuse culture hybride, à la croisée des idées. Sur la route et sur les rails, entre la France et les festivals.

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