SOCIÉTÉ

Le photojournalisme à l’heure des nouvelles technologies : quelle éthique pour la profession ?

Depuis février, le Prix World Press Photo, Pulitzer du photojournalisme, fait débat concernant l’authenticité du cliché gagnant de Paul Hansen, accusé par certains spécialistes d’avoir modifié l’image initiale à l’aide d’outils informatiques. Ce nouveau scandale est l’occasion de revenir sur la place du photojournalisme au sein de la profession journaliste et de voir quelles perspectives s’offrent à elle dans un contexte de prolifération des nouvelles technologies.

En février, le prix World Press Photo était remis à un cliché saisissant, pris le 20 novembre 2012 par Paul Hansen, qui dévoilait un enterrement à Gaza. Dès lors, cette photo ne cesse de faire débat en ce qui concerne l’essence même de l’objet photographique. Dans un premier temps critiquée pour son utilisation excessive du logiciel Photoshop dans la modification des teintes de couleurs, la photographie reçut par la suite un second vent de critiques. Un analyste judiciaire spécialisé dans les photos, Neal Krawetz, a révélé que cette photo était le résultat d’un montage de différents clichés pris successivement en rafale. Le photographe aurait ainsi fusionné différents clichés en éclaircissant certaines zones sous-exposées, donnant au cliché cette allure cinématographique. Sa théorie s’est appuyée techniquement sur l’examen de l’historique des données du fichier photographique soumis. Ainsi, l’interrogation du bloc du JPEG XMP détaillant l’historique des sauvegardes du cliché sur Photoshop, puis l’analyse des données concernant l’étude pixel démontrent une ouverture et une modification du fichier le 4 janvier 2013, quelques jours avant la date limite de soumission du fichier pour le concours et donc bien après la capture initiale.

Paul Hansen et le jury nient pourtant toute altération, même si le photographe n’a pas fourni, lors de la remise de prix, l’original numérique de la photo. Si cette polémique n’est pas encore terminée, elle s’inscrit dans une succession d’altercations qui ont entaché différents prix. En 2010, Stephan Rudik fut par exemple disqualifié pour avoir effacé un bout de pied sur sa photo originale. Dans le cadre du prix Pictures of the year, c’est Paolo Pellegrin qui en 2013 a fait polémique pour sa photo The Crescent, Rochester, NY, USA — A former US Marine corps sniper with his weapon qui serait une mise en scène. Cette nouvelle polémique est donc l’occasion de se poser la question de la limite de l’éthique du photojournalisme dans cette utilisation parfois excessive des outils informatiques.

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Réglementer le photojournalisme pour plus d’objectivité

Les abus sont pourtant limités par des instances régulatrices qui s’interrogent sur les limites des normes photographiques dans un risque de manipulation de la réalité. Réglementer le photojournalisme, tel que l’a été la presse écrite, c’était l’élever au même rang que son camarade, de légitimer sa pratique. Les exigences déontologiques et éthiques étant les mêmes, la profession en était par là reconnue. La National Press Photographers Association fondée en 1945 participe par exemple à ancrer la profession photojournalistique dans des principes éthiques fondamentaux. De cette instance sont nés des codes précis réglementant la pratique. Les interventions altérant la représentation de la réalité et la matérialité du cliché ainsi que les reconstitutions ou mises en scène sont donc bannies. On retrouve d’ailleurs ces mêmes préceptes dans les règlements des concours de photojournalisme.

Le photojournalisme redéfini à l’heure de l’afflux des NTIC

Au sein du journalisme, la photographie est apparue comme le medium idéal pouvant servir une objectivité vers laquelle la profession tendait, dans le but de transmettre des informations avérées. Mais l’arrivée des NTIC a modifié la donne. En 1991, le conseil d’administration de la NPPA réglemente l’usage de la retouche concernant les usages numériques. Il écrit ainsi : « Il est évident que les technologies numériques émergentes posent de nouveaux défis à l’intégrité des images photographiques […] à la lumière de ceci, nous […] réaffirmons les fondements de notre déontologie : la représentation fidèle est la base de notre profession. » . Ainsi, ces nouvelles technologies menacent la crédibilité de la pratique photojournalistique tout d’abord sur le plan de la production de l’image. Est ainsi réaffirmé que les critères de retouche se calent sur le modèle de la photographie analogique, acceptant seulement les manipulations informatiques qui pourraient être effectuées en chambre noire telles que la correction des nuances de teintes et de couleurs, l’élimination de la poussière ou encore le recadrage. Mais ce problème des nouvelles technologies ne se pose pas qu’en terme de production mais aussi de diffusion et de consommation de l’image. Le contexte de mondialisation des moyens de communication signe la fin du règne du photojournalisme. Les nouvelles technologies ont fait de chaque citoyen en possession d’un téléphone un photographe, comme en témoigne le réseau social Instagram. Chacun est témoin d’une réalité et devient ce photojournaliste d’un instant. Il se pose dès lors de nouveaux enjeux en terme de production, qui peuvent expliquer finalement ce besoin de l’altération pour pouvoir s’affirmer et redéfinir les règles de la pratique.

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Le photojournalisme tiraillé entre art et témoignage d’une réalité

Le photojournalisme manie donc les nouvelles technologies en vue de redéfinir son rôle. L’esthétisation informatique devient une arme à brandir qui inscrit finalement la photo dans la logique d’une vulgaire publicité, excitant les sens et attirant le regard pour faire parler. Dans le cliché de Hansen par exemple, la saturation des couleurs exhibe les corps à la lumière, pour révéler une photo presque cinématographique, en pointant sous les projecteurs la victimisation du conflit israélo-palestinien. Le photographe finit donc par jouer sur les émotions des spectateurs par le biais de la manipulation du réel. Cette photo si particulière se trouve alors relayée au rang d’objet d’art dans cette (dé)construction visuelle. Le travail de composition l’emporte sur celui de la capture. Pourtant, les fondements du photojournalisme, comme pour le journalisme, requièrent honnêteté, responsabilité morale et exactitude et sans cela la désinformation et la manipulation anéantiraient toute investigation, conduisant finalement à une société du spectacle. Alors entre perfection morale ou esthétique, il faut choisir et se souvenir que la force des clichés de grands photographes comme Henri Cartier-Bresson, Raymond Depardon ou Robert Capa découlait d’abord d’une capture humaniste.

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