CINÉMA

L’Écume des jours, Gondry sublime Vian

Adapter Boris Vian n’est pas chose aisée, c’est du moins ce que scandaient les nombreux adeptes de l’écrivain qui attendaient de pied ferme cette nouvelle adaptation cinématographique de L’Écume des Jours. Mais Michel Gondry ne parvient pas seulement à porter Vian à l’écran, il va encore plus loin. 

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Omar Sy, Romain Duris, Audrey Tautou et Michel Gondry sur le tournage de L’Ecume des jours

Michel Gondry, un réalisateur hors pair. Beaucoup attendaient l’adaptation de Vian, pour ma part j’avais hâte de découvrir le dernier Gondry. Cette nuance me permet de souligner la hauteur de son travail. Ce cinéaste s’essaye à tout, du vidéo-clip à la bande dessinée en passant par la publicité. Il a su entre autres imposer son style insolite dans les clips de Björk (cf. Crystalline en 2011), une collaboration de longue date (depuis 1993) qui annonce le style de ce génie de l’image. On lui doit la célèbre publicité Nespresso mais aussi et surtout, celle d’Air France, en 1999, qui a marqué les esprits par sa beauté et son ingéniosité. Cette “orientation” révèle bien son sens de l’esthétisme, une qualité qui lui est propre. Vous l’aurez donc compris, ce n’est pas un hasard si le projet de L’Ecume des jours a été confié à ce Méliès des temps modernes.

L’histoire. Pour ceux qui n’auraient pas eu la chance de lire la version originale de Boris Vian publiée en 1947, L’Ecume des jours nous conte la rencontre entre Colin, un jeune homme riche et inventif, et Chloé, une jeune femme à l’image d’un blues de Duke Ellington. Leur mariage semblant idéal tourne vite au drame lorsque cette dernière apprend qu’elle est atteinte d’une grave maladie : un nénuphar grandit dans son poumon. Entouré de ses amis, Nicolas son cuisinier et Chick, adepte inconditionnel de Jean-Sol Partre, Colin doit travailler dans des conditions de plus en plus difficiles afin de payer les soins de Chloé. A priori banale, l’histoire évolue dans un univers complètement absurde entre rêve et réalité, dans lequel les contradictions et jeux de mots sont omniprésents. Il s’agit donc d’une œuvre très visuelle dont la modernité est stupéfiante. Une histoire jugée difficile à adapter puisque l’idée que l’on s’en fait est propre à chacun. Le réalisateur a d’ailleurs avoué s’être basé principalement sur les images qu’il avait eues lors de sa première lecture du livre.

Colin (Romain Duris) et Chick (Gad Elmaleh) jouant au pianocktail

Colin (Romain Duris) et Chick (Gad Elmaleh) jouant au pianocktail

Michel Gondry ne choisit pas la facilité. Le cinéma actuel tend à employer une utilisation excessive d’effets spéciaux et L’Ecume des jours aurait pu en souffrir. Bon nombre de séquences pouvaient être réalisées en studio sur fond vert tandis que les effets spéciaux auraient pu foisonner à travers cette histoire délirante. Cependant, il a privilégié ses inventions de génie, en utilisant notamment le light painting, le stop motion (animation image par image) ainsi qu’un panel d’objets délirants conçus spécialement pour le film. Les décors sont réels et on le remarque aisément dans le jeu des acteurs. Ils évoluent donc naturellement dans ce foutoir imposé par Gondry, nous offrant ainsi une toute nouvelle facette de leur jeu habituel. Romain Duris, qui interprète l’idéaliste Colin, parvient ainsi à se détacher de ses mimiques si caractéristiques tandis qu’Audrey Tautou, campant le rôle de la délicate Chloé, excelle une nouvelle fois par son expressivité qui fait que l’on s’attache tant à son personnage. Le choix des acteurs, considérés comme “bankable” à juste titre par certains, n’enlève d’ailleurs rien à la magie de l’histoire, bien au contraire : chacun parvient à s’illustrer parfaitement dans cet univers décalé.

Une fidélité surprenante. On reproche souvent aux films de ne pas être assez fidèles aux livres originaux. Ici, en plus d’entièrement respecter l’histoire d’origine, Michel Gondry parvient à ajouter sa touche personnelle. Il nous montre dès les premières images que l’histoire ne peut être changée, on découvre ainsi une écriture “à la chaîne” de L’Ecume des Jours, un processus continu qui ne semble pouvoir s’arrêter. Il l’illustre avec humour lors de la course entre Colin, Chloé, Alise et Chick dans l’église afin de déterminer quel couple va se marier. Alise annonce alors vouloir gagner pour devenir le personnage principal de l’histoire, un clin d’œil qui a sans nul doute inquiété les grands protecteurs de Vian. Lorsque Chloé tombe malade, Colin tente lui aussi de changer le cours de l’histoire sur le manuscrit du livre mais ne peut y parvenir face à cette violente machination des mots.

Vous l’avez saisi, ce film est unique par sa réalisation, qui est bien loin des schémas habituels. Michel Gondry nous offre un spectacle époustouflant éclairé par une explosion visuelle de deux heures qui défilent à toute vitesse. Un film qu’il faut donc aller voir et sans doute revoir afin de découvrir toutes les subtilités qui nous auraient échappé dans cet océan d’images.

Chick et Alise en pleine course pour changer l'histoire

Chick (Gad Elmaleh) et Alise (AÏssa MaÏga) en pleine course pour changer l’histoire

 

 

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