Le clip College Boy d’Indochine, réalisé par le jeune réalisateur québécois Xavier Dolan a été mis en ligne il y a quelques jours.
J’ai été tellement mortifiée suite à son visionnage, que je me suis donnée la tâche d’expliquer pourquoi, à mon sens, ce clip est un désastre à la subtilité proche du néant total.
Se donnant le rôle de dénoncer, Xavier Dolan nous offre du grand n’importe quoi, une leçon de morale grossière et limpide.
On part du principe que ce clip, par sa violence exagérée, va faire bouger les mentalités.
D’une durée de 6 mn, en format 1:1, filmé avec un filtre noir et blanc, il nous installe au cœur d’une vieille école riche, de pierre et de casiers de bois, où les élèves portent l’uniforme et écrivent à la craie sur des tableaux d’ardoise ; univers qui n’est pas sans rappeler les écoliers de Doisneau. Le premier personnage identifié, rieur, est celui qui s’avérera être le leader et l’initiateur des brimades à l’encontre du second personnage. Le second personnage étant le héros mais également la victime, nous posant ainsi les bases d’une vision archaïquement manichéenne.
Le personnage central, dans un murmure, se fait jeter des boulettes de papier, puis un stylo, dans l’ignorance superbe du professeur. La musique démarre à 01:12, après la sonnerie. Commence alors une escalade, lourde et maladroite au possible, de dégradations sur l’enfant-victime et de représentations de sa solitude. On lui vole ses chaussures, on lui abîme son casier, ses parents rient dans l’insouciance la plus totale ; il rêve d’être ce beau sportif qui attise les foules et gagne le cœur des pom-pom girl (du bon stéréotype pur et dur), puis à mi-chemin de la vidéo, vers 3:20, les garçons qui le harcèlent passent aux choses sérieuses. Ils l’attrapent et le jettent du haut d’un escalier, commencent à le battre, à lui pisser dessus, le tout en contre plongée afin de tenter d’immerger le spectateur à la place du brimé. A côté, les élèves, les yeux bandés continuent de jouer, mine de rien, se chuchotant parfois à l’oreille, montrant que leur cécité n’est pas absolue, peut-être.
Si ici le message est : “Quelle est la limite à la violence pour que vous fassiez enfin quelque chose ?“, la question que je pose est “Où est la finesse ?“
Par la suite notre pauvre personnage, déjà bien abimé, se fait crucifier sous le regard bandé de ses camarades et professeurs, puis enrouler dans des guirlandes de lumières comme un sapin de Noël glauque. Cette volonté de faire du poétique est tellement marquée, qu’elle donne finalement quelque chose de fade, voir d’abject et méprisable. Si ces bandeaux sont là pour montrer que tout le monde est aveugle devant la violence, c’est d’une cruelle transparence. Et pourquoi ces références christiques ? Jésus meurt pour expier les péchés des êtres humains, nous tous, les fautifs. Dolan tenterait-il par là de nous faire la plus grande leçon de morale de notre existence entière ?
Comme ce n’est pas suffisant pour Dolan, pendant que son héros se noie dans sa bave et son hémoglobine, il lui fait exploser le poitrail à l’arme à feu, puis taser par des flics sortis d’on ne sait où.
Beau tableau. L’obscénité est complète.
Si l’on veut ici montrer la destruction psychologique d’un enfant harcelé en la représentant de manière physique, on fait, là encore, face à un gros manque de subtilité.
La mise en scène est tellement importante qu’elle finit par rejeter la réalité présente et vécue qu’elle prétendait dénoncer au départ. Le réel se meurt. La violence exacerbée, pleine de symboles, d’allégories, de références, perd de vue son engagement premier. On mélange ici l’esthétisme et les choses qu’on doit à priori appréhender avec crainte et délicatesse sans quoi on passe rapidement pour un imposteur.
Après un demi-sourire du tyran, le Mal rejoint l’école sans souffrir d’aucunes conséquences sur ses actes. Le clip se termine par cette scène finale, en contre-plongée encore, nous plaçant, comme aux pieds de la victime, le regardant incliner la nuque vers nous, et crachoter un “Merci.” (ou peut-être “Mercy”, soit “Pitié” en anglais.)
Très attendu par les fans du réalisateur comme ceux du groupe, les réactions ne se sont pas fait attendre. La twittosphère se soulève d’enthousiasme, y voyant du génie, de la magnificence, une belle dénonciation du harcèlement scolaire, du réalisme, de la profondeur, de l’émotion. De l’autre côté les médias scandalisés se demandent “Xavier Dolan va-t-il trop loin ? Peut-on montrer une telle violence ?“
Le cinéma a des exigences morales. Et ce clip est dénué d’enjeux moraux.
Il expose des faits, sans exprimer ni causes, ni conséquences, ni explications, ni espoir, mais en revanche, il prétend à un statut artistique, à recadrer ces faits, à la subjectivité.
Comment se sentir touché ?
Un enfant victime d’harcèlement, que voit-il ? Un autre enfant, martyr, qui en meurt.
Jacques Rivette dit “Le cinéaste juge ce qu’il montre et est jugé par la façon dont il le montre.” En effet, le cinéma est une expérience narrative, qui par conséquent se place d’un point de vue, qui sera lui-même observé depuis un autre point de vue. Godard voyait dans les travelling une affaire de morale.
Le problème n’est pas Indochine ou Xavier Dolan, ou le souci de savoir si l’on peut faire ça. Le problème est de savoir si l’on aurait dû le faire comme ça.
Ca n’a aucun sens, ça ne montre rien. C’est de l’exhibitionnisme, de la poudre aux yeux. Ca n’a strictement aucun enjeu. C’est simpliste, vide et limpide au possible, et les tentatives de lyrisme et de poésie terminent de faire tourner le tout au ridicule. On peut parler ici, en reprenant l’expression de Serge Daney, de pornographie artistique. C’est à dire de monstration exacerbée du harcèlement scolaire, par le biais de l’art, lui aussi exacerbé dans ses moyens, sa mise et en place et ses signes visibles.
Un réalisateur que l’on qualifierait d’auteur a une responsabilité vis à vis de ce qu’il montre. Il ne peut pas se permettre de faire n’importe quoi avec du vrai et du cru, sous couvert de l’art. Nous avons là affaire à quelque chose de clairement idiot et grossier. La volonté artistique est tellement soulignée et exagérée, que le résultat est d’une médiocrité à en tirer des larmes. Et que l’intention première est bafouée.