L’Institut Lumière, à Lyon, c’est l’endroit des premiers cris, des prémices du 7ème art. Depuis un certain temps, pour préserver cette tradition, il participe à la renaissance de certaines copies précieuses mais abîmées. L’étonnant Propriété Interdite de Sydney Pollack et le célèbre Chinatown de Polanski sont de celles-la. Laissons-les de côté pour le moment et attaquons-nous au brouillon d’une filmographie de génie, qu’il aurait voulu faire disparaître : Fear and Desire.
Sorti en 1953, c’est bel et bien le premier long métrage (1h08) mais aussi la honte de Stanley Kubrick. Lorsque ce nom est évoqué, plusieurs choses peuvent nous venir en tête. L’incompréhension d’un 2001, l’odyssée de l’espace pour certains, les jumelles de Shining (qui ont suivi les cinéphiles jusqu’aux portes de l’ascenseur de la Cinémathèque Française lors de l’exposition !) pour d’autres. Eh bien dans ce petit film, tourné avec environ 100 000 dollars, le reflet de sa folie est déjà présent. Tout d’abord dans sa mise en scène, où ses talents de photographe et sa science du cadre épate déjà. Ensuite par l’intrigue, très abstraite, introduite en voix off pour nous expliquer qu’ “il y a une guerre dans cette forêt. Pas une guerre qui a eu lieu, ni une guerre qui aura lieu, seulement une guerre. Et les ennemis qui luttent ici n’existent que si nous leur donnons un caractère humain. Cette forêt, et tout ce qui s’y passe maintenant est donc en dehors de l’Histoire. (…) Ces soldats que vous voyez parlent notre langue et sont de notre temps mais n’ont d’autre patrie que l’esprit.” On peut se demander si ce futur maître du cinéma mondial va extrapoler pendant une heure sur la conscience … petit regard dans la salle, personne ne s’enfuit en courant. On découvre enfin les personnages : Lieutenant Corby, Mac, Sydney et Fletcher. Leur avion s’est écrasé, ils cherchent à retrouver leur camp : sur leur chemin, ils vont massacrer des soldats ennemis, rencontrer une rivière, kidnapper une jeune fille. De peur qu’elle les dénonce à l’opposition, ils l’attachent à un arbre et la laissent à Sydney, le plus fragile d’entre eux. Il essaye de la séduire, en vain. Après l’avoir abattue froidement, il s’enfuit dans un éclat de rire. La suite est un peu comme un écho sinistre et schizophrènique de ce rire.
La violence est très présente, parfois gratuite, mais peinte avec sensibilité et talent. Dans un noir et blanc splendide, les visages crasseux, les tenues de camouflages de ces soldats et les dégâts de l’absurdité de la guerre sur les hommes sont des éléments que l’on retrouvera plus tard dans son œuvre : nos pensées vont naturellement vers Full Metal Jacket, le douzième film du réalisateur ou trente plus tôt avec Les Sentiers de la Gloire.
Les Kubrickolâtres comprendrons pourquoi ce film a été renié par son créateur mais certains jeunes réalisateurs adoreraient ne serait-ce que lui arriver à la cheville !