CINÉMA

Tout sur ma mère

Le monde du cinéma est un océan où il fait bon se baigner, mais où les vagues remuent en emportant trop vite les pépites cinématographiques dans les profondeurs. Dorénavant, enfilez vos combinaisons de plongée une fois par mois avec Maze Mag, on remonte à la surface les films qui le méritent !

Pour bien commencer ce premier rendez-vous,  immersion en région méditerranéenne, nous débarquons en Espagne à Barcelone ! Ne sortez pas trop vite votre attirail  de fêtards, on fait dans le social. Bienvenue chez Pedro Almodóvar, dans Tout sur ma mère,  nous sommes en 1999 et suivons Manuela. Cette mère qui vivait avec son fils de 17 ans, Estéban, à Madrid, se retrouve du jour au lendemain seule et sans repères quand celui-ci meurt renversé par une voiture. Quand on touche à ces liens, on met n’importe qui dans sa poche direz-vous, mais ne pensez pas qu’Almodóvar verse dans le pathos. Les dix premières minutes du film sont écoulées, il vous faut maintenant savoir que le seul homme du film vient d’être éliminé, amateurs de testostérone repassez. Manuela quitte sa vie madrilène et repart sur les traces de son passé à Barcelone afin de retrouver le père d’Estéban.

Manuela - Tout sur ma mère

Manuela – Tout sur ma mère

Et l’hommage du réalisateur aux femmes commence ici. On y dépeint Agrado, une vieille amie prostituée travestie, Rosa, une bonne sœur enceinte et séropositive, Huma, une célèbre actrice et Nina, sa maîtresse et partenaire de jeu droguée. Avec au milieu de ces femmes, Manuela, qui a perdu son fils on peut penser à un tableau très noir de la situation. Malgré toutes ces histoires tourmentées, on rit beaucoup et l’on admire ces femmes. Elles sont indépendantes, elles sont fortes, elles sont seules même si elles ne s’en plaignent pas. L’un des plus beaux moments du film est certainement le monologue d’Agrado devant un public des plus attentifs, évoquant toutes les opérations qui l’ont fait devenir une femme, et une femme authentique selon ses propres dires. Une femme serait authentique quand elle est « conforme à l’image qu’elle a rêvé d’elle-même ». Voilà de quoi comprendre que rien n’est immuable, mis en face de ce monde si noir … mais si tendre.

 

Ce qui nous accroche aussi vite dans ce film est certainement la sobriété et la distance avec laquelle il est tourné. Qui dit travestis, acteurs et célébrité dit paillettes, luxures, et tous ces clichés ? Pas ici. Almodóvar ne prend pas le parti de trop en faire et ça marche. Le monde du théâtre dans son essence la plus artistique est sans cesse présent, avec « Un tramway nommé désir », pièce préférée d’Esteban, qui est finalement un fil conducteur  du film. Manuela l’avait jouée dans le passé,  perd son fils juste après une représentation à Madrid, retrouve la pièce à Barcelone, a l’occasion d’y jouer une nouvelle fois… La boucle est bouclée, et elle l’est aussi quand Manuela récupère l’enfant de Rosa, qui s’appellera Estéban. Ce dernier a d’ailleurs le  même père que feu Estéban et ce père s’appelle maintenant Lola. « Allô Lola comme un garçon, j’ai le cœur qui fait  boum et les cheveux longs … ». A en croire que Jennifer Ayache a écrit Lola en hommage a ce film. Ce père devenu(e) travesti qui apparaît tout de même avant la fin du film est sublimé, bien loin de toute caricature, “son coeur fait boum”, nous faisons face à une personne au destin tragique qui respire l’amour. Almodóvar capture donc un instant de la boucle, où chacun tient son petit rôle, mais où il est évident que tout et tout le monde est de passage. C’est paradoxalement en partant à la rencontre de ces personnages issus de milieux minoritaires que se dessine une belle métaphore de la vie en général.

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Almodóvar nous parle des femmes comme personne, nous enseigne la tolérance de manière incroyable, alors vous comprenez bien que ce film est et restera longtemps d’actualité. Parce qu’en 2013 il n’est toujours pas évident que nous sommes tous des êtres humains pleins de sentiments et de génie, homme ou femme, gay ou hétéro, transsexuel ou non, que l’égalité, le respect et l’amour doivent être à la portée de tous, regardons Tout sur ma mère. Et ce terrible sentiment de mélancolie qui vient nous habiter dès la fin du générique de trompe pas : en voilà une œuvre d’art.

Co-créateur et rédacteur en chef de MazeMag, musicocinéphile. Animateur radio à ses heures perdues.

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