CINÉMA

Rencontre avec Valérie Donzelli et Jérémie Elkaïm – Main dans la Main

A l’occasion de la sortie de Main dans la Main le 19 décembre 2012 ,

Maze a eu le grand plaisir, un soir, une semaine avant Noël, de rencontrer pour vous sa réalisatrice, Valérie Donzelli ( La Reine des Pommes, La Guerre est Déclarée ) et Jérémie Elkaïm ( Qui a tué Bambi ?, Polisse, La Guerre est déclarée ) interprète du personnage de Joachim Fox, afin de décrypter leur nouveau long métrage et nous confier quelques anecdotes de tournage.

 

(Attention, l’interview qui suit contient du spoil)

 

Bonsoir Valérie Donzelli. Bonsoir Jérémie Elkaïm.

 

Valérie Lemercier a-t-elle dû se plier à une préparation physique avant d’endosser le rôle ?

V.D. : Dés le début, on lui avait dit, “Voilà, Valérie, bon tu sais, nous on est des branquignoles du cinéma…”

J.E. : C’est comme si elle venait à la maison, dans la cuisine, et qu’on lui préparait un plat de pâtes. (rires)

V.D. : En elle, elle avait déjà ce sens de la discipline, de la danse classique, et puis elle connait bien l’opéra, elle y va souvent, tout ça, donc je crois que c’était quelque chose qui lui était déjà quand même assez familier.

Vous la connaissiez avant de que Main dans la Main soit écrit ou vous l’avez écrit pour elle ?

V.D. J’ai écris le rôle pour elle. Au début je n’avais pas envie de jouer dans ce film. On a donc cherché quelqu’un et c’est arrivé comme ça. On la connaissait effectivement un peu avant, enfin surtout Joachim, depuis plusieurs années, et par rapport à la différence d’âge, ça nous amusait de rejouer avec les codes de la comédie romantique. Et puis elle a cette rigueur et cette élégance naturelle qui nous plaisait beaucoup.

A-t-elle intervenu concrètement dans le film ?

V.D. Non. Elle n’a rien modifié dans le scénario, il a été écrit seulement par moi, Jérémie et Gilles Marchand.

J.E. Mais elle était consciente que ce serait un film bricolé, quelque chose de très artisanal. On aurait pas à notre disposition 8 camions de lumière pour cacher ses rides, la rendre plus belle. Elle serait telle qu’elle est, avec l’âge qu’elle a. Les plateaux sont truffés de personnes qui ont envie… ou pas envie…. Les acteurs sont narcissiques, ils ont un problème avec eux même, et tout tourne autour d’eux, et c’est la vérité, c’est comme ça. Mais à ce niveau là, Valérie Lemercier a été formidable.

V.D. Oui, très patiente, docile, et elle disait l’autre fois qu’elle avait pris un plaisir fou à faire ce film. Même si c’était un petit budget et que l’argent est principalement allé dans les décors.

J.E. Et puis ce qui nous amusait, pour en revenir un peu au film, c’était de nous dire qu’il y a un truc qu’on ressent et qu’on pense… Et dont on a parlé pendant l’écriture, le vedettariat, où l’argent tel qu’on peut l’imaginer, enfin, c’est pas notre cas ni pour l’un ni pour l’autre, mais on se dit que c’est un frein autant qu’un truc qui nous booste. On sent bien que ça peut créer un monde, comme si il y avait des bouées sur les murs, pour pas qu’on se cogne. Enfin se déplacer comme un chauffeur comme le fait ce personnage, on sent bien que ça rend plus compliqué les rencontres qu’on pourrait faire. Ou en gros se cogner à la vie, mais aussi pour ce qu’elle a de merveilleux. Autant pour les choses qui nous font peur et qui nous inquiètent, que pour ce qu’elle a de merveilleux. C’est un peu une prison en fait. Et nous ça nous touchait d’avoir deux personnages, très antagonistes, très différents. Lui le jeune miroitier, et elle la directrice de l’Opéra Garnier. On trouvait ça drôle, au fond, si ils ont des empêchements, les deux ; parce qu’on a tous des empêchements, des empêchements sentimentaux, affectifs, des tas de choses qui font qu’on est heureux ou pas dans une vie de couple, où qu’on a pas de vie de couple, où que sentimentalement on soit accomplis ou pas. On a besoin d’être consolés, tous autant qu’on est, je pense… (rires) Mais il y avait cette vérité qui les unissait, au delà de la géographie, des contingences sociales, enfin de plein de trucs. Et on se disait, c’est beau d’avoir deux personnages un peu boiteux, un peu claudicants, empêchés sentimentalement.

Mais, il est plutôt libre non ?

J.E. Non en fait, c’est en ça qu’il est plutôt spécial, je pense qu’il est pas si libre que ça. C’est un cœur intact, il a quelque chose d’assez pur par rapport à elle. Mais. Il vit chez sa sœur. Elle lui fait des bisous sur la bouche ! (rires) C’est un truc un peu bizarre quoi ! Bon, les américains reprennent souvent les pères qui embrassent leurs filles sur la bouche. On fait “Beeeh”, nous les français. (rires) C’est la vérité ! Non, je crois que lui est aussi empêché affectivement. Il est dans un confort qui le protège, mais il est empêché affectivement, il est aussi boiteux qu’elle. Au fond, ils deviennent un peu la béquille l’un de l’autre, comme si avoir un alter-égo, et quelqu’un qui se met à compter dans notre vie, c’est aussi quelqu’un qui nous fait du bien et nous aide à avancer.

D’où ça vous est venu ce thème de colle, de danse à deux ?

V.D. Au départ le désir c’était de traiter de la dépendance affective, de la fusion, et en même temps de faire un film qui serait dans le mouvement et qui serait un film comme une chorégraphie, comme ça. Et de revisiter un peu l’idée de la danse, parce qu’il était question de l’Opéra, d’une professeur de danse, de ce concours de Monaco, de la danse de salon, de toutes ces formes de danse. Et après mes études d’architectures, je suis allée à la faculté de Nanterre, peu de temps d’ailleurs, mais j’ai assisté à une conférence qui expliquait que quand on levait le bras, c’était un geste, quand on le répétait, c’était de la danse et que si tout le monde le faisait en même temps ça devenait une chorégraphie. Ca m’est resté en tête. Et lorsqu’on a cherché comment faire cette fusion, parce que l’idée à la base c’était deux couples fusionnels, un frère et une sœur, et deux amis ; on se disait, comment on va faire pour qu’ils fusionnent en se rencontrant et donc défusionnent des autres relations. Et là je me suis rappelée de cette chose, et je me suis dis que ça pourrait être quelque chose de totalement arbitraire, comme un sortilège qui ferait qu’ils ne pourraient plus se séparer physiquement et qui amènerait comme ça l’idée du mouvement.

Donc ce n’était pas une métaphore du coup de foudre ?

V.D. Au départ non. Mais après voilà, peut-être qu’inconsciemment oui, mais on ne s’est pas dis “On va faire une métaphore du coup de foudre.” Après oui, il y a l’idée du conte, c’est le baiser, c’est quelque chose comme les princes qui embrassent des grenouilles qui deviennent des princesses, je sais pas quoi, donc c’était un peu reprendre ce stigmate du conte et en faire quelque chose de concret, c’est à dire que d’un coup ils ne pourraient plus se séparer, mais au départ ils n’en avaient pas du tout envie. Après on peut peut-être avoir une autre lecture, on peut se dire que c’est un coup de foudre qu’ils n’acceptent pas, mais au début c’était vraiment jouer sur le côté magique du sortilège.

J.E. Cela dit, en parlant de coup de foudre, il y a un truc assez marrant, une anecdote… Nous pendant l’écriture, il y a l’idée qui a jaillit du cerveau de Valérie, qui a un cerveau particulier (croisement de regards, rires), elle a dit ” Ah ! Ca serait super qu’ils soient synchronisés ! “, qu’ils soient collés donc, liés l’un à l’autre. Moi je lui dis, quand on est face à une règle avec un postulat comme ça, fantastique, de comédie de base, pour une comédie… On est très attentifs en tant que spectateur, à cette règle. Mais elle me disait ” Moi j’ai pas envie qu’on soit trop sérieux avec cette règle, je veux pas que ça soit aliénant. Je veux qu’ils puissent parfois se détacher si ils ont envie de se détacher. ” Et au début moi j’étais vachement résistant, je lui disait “Une règle c’est la règle, il faut respecter la règle, quand on est spectateur, quand moi je suis spectateur, je suis très attentif à la règle. ” Sur le plateau elle nous demandait presque de nous décaler par moment, parce que elle voulait qu’on sente que c’est une règle, mais qu’elle était aussi particulière. Après c’est son choix hein, c’est son choix à elle, il y a des choix qu’on fait qui produisent des films, bon. Et après, je me suis dis, c’est fou, parce que, (s’adressant à Valérie) toi qui parlait plus tôt de double lecture ou d’une autre lecture, ça amène une  lecture possible du film possible. On se dit, au fond, peut-être qu’ils sont en train de nous mystifier ces deux personnages. C’est… Voilà, je n’intellectualise pas hein, mais, ce petit décalage, cette chose, c’est peut-être juste le reflet que le sortilège n’est pas tant un sortilège que ça, et que au fond, ils ont peut-être envie que ça existe, que ça continue, que c’est le truc qui leur appartient. Voilà, je suis un drôle de spectateur ! (rires)

Où trouvez-vous vos sources d’inspiration pour les musiques du film ? Parce que comme dans La Guerre est Déclarée, je trouve qu’il y a des musiques qui sont relativement décalées, des ovnis… Et je trouve que ça sert beaucoup la forme du film, donc, où trouvez-vous tout ça ? Quel est le processus ?

V.D. Moi j’aime bien travailler avec la musique, parce que je trouve que c’est quelque chose de très inspirant. Et, pour Main dans la Main, avec cette histoire de sortilège, et de corps synchronisés, je sentais qu’on aurait besoin à un moment donné, d’avoir de la vraie musique écrite pour le film, pour pouvoir accompagner certaines scènes et tout. Et ça c’est Peter Von Poehl qui s’en est chargé, qui a fait quelques musiques dans le film qui sont des morceaux originaux. Et sinon après c’est des morceaux qui sont glanés à droite à gauche, c’est Pascal Mayer, je lui avait raconté l’histoire du film, et je lui avais demandé comme ça, de mettre plein de morceaux qui l’inspirait.

J.E. C’est le superviseur musical.

V.D. Et donc, par exemple de cette liste là il restait plein de choses, OMD, La Vie Parisienne ect, et c’est vraiment un travail qui se fait au montage, et voilà, par exemple Domenica, c’est une chanson que Jérémie adore, c’est des choses comme ça que je lui pique, sinon, moi dans mon ordi j’ai des trucs, mais c’est plus de la musique que j’écoute, qui m’inspire et que je colle sur les images. Avec ma monteuse d’ailleurs, on adore mettre la musique sur les images.

J.E. Elles disent ça : “Je crois que le Dieu de la Musique va être avec nous.” et l’idée c’est que la musique tombe pile sur les images qu’on a tourné. Et en fait ça leur arrive souvent, et donc elles sont persuadées …

V.D. Qu’il y a un Dieu de la Musique avec nous ! (rires)

J.E. Oui ! (rires) Qu’il y a une divinité, quelque part, avec elles. Valérie a vraiment le sens du montage, c’est un truc très étrange, même quand on parle des films et tout, elle …, moi je le pense sincèrement, sa monteuse aussi le pense d’ailleurs ?

V.D. Ouais. Mais en même temps je sais pas du tout me servir des boutons.

J.E. Elle appuie pas sur les touches, mais elle a vraiment le sens du montage, du rythme, de la temporalité des films, qu’est ce qu’on pourrait inventer, se permettre de faire… Un niveau d’autorisation de liberté qui est assez fou. On écrit des trucs et ça se pulvérise au montage.

V.D. Mais le truc c’est que je suis aussi assez impatiente, je me rends compte de ça et j’aime bien quand les choses prennent une forme concrète tout de suite et tout ça et je pense que la musique ça participe à ces choses-là. Enfin, un film sans musique et un film avec musique, ça n’a rien à voir… Les scènes n’ont pas la même durée etc.

J. E. : Le processus par lequel on en arrive à aimer une musique, a ressentir une émotion, passe par un chemin épidermique, absolument pas intellectuel. J’avais l’idée pendant un moment, d’installer des caméras dans des bars, ou dans la rue, et c’est dingue hein, mais de filmer les gens à leur insu quand ils écoutent de la musique. Je veux dire, avant il y avait les walkmans, maintenant c’est les Ipod, mais on pourrait presque deviner ce que quelqu’un écoute, rien qu’en regardant son visage, son allure. C’est dingue, par exemple, quelqu’un qui écoute de la musique et qui marche comme ça (imite une démarche allongée et sautillante), on sait qu’il écoute de la musique entrainante, alors que quelqu’un qui marche comme ça (imite une démarche lourde et lasse, la mine sombre), on sait qu’il écoute quelque chose de triste. Et je trouve que c’est quelque chose qui correspond vraiment à la démarche artistique de Valérie, ce côté épidermique.

Avez-vous tourné en milieu entièrement “naturels” ou dans des décors reconstitués, comme les scènes des loges par exemple… ?

V.D. : Absolument, tout a été tourné à l’Opéra. On avait 3 semaines, et on a tout fait en situation. C’est quelque chose que j’aime, les décors réels. Il y a eu un travail d’approche important en amont, on avait des contraintes d’horaires, mais c’était faisable. On leur a dit :  ” Pour La Guerre est Déclarée, on a tourné dans les hôpitaux, on était une petite équipe de 12, on s’est adapté, ils continuaient à travailler, on a pris soin de ne pas être contraignants… ” Et ce qui était génial, c’est qu’on a découvert l’Opéra.

J.E. C’est vraiment immense, ça fait je crois… 98 000 mètres carrés ? C’était comme des bâtiments dans des bâtiments.

V.D. Valérie Lemercier disait “Nous sommes de petites souris au milieu des petits rats.”

J.E. On peut dire que les scènes dans les loges étaient très disparates. Ah oui, c’était vraiment impressionnant. C’était une ville dans la ville. A l’extérieur c’est très chou à la crème, les décors fastueux, les dorures, voilà, ils se sont amusés, mais de l’autre côté, c’est diffèrent, c’est très… Haussmannien. C’est particulier.

Pourriez vous nous parler sur la scène délicieusement insolente où Valérie Lemercier se déshabille devant le ministre avant de quitter les lieux vêtue royalement d’un rideau ?

V.D. Oh oui, cette scène-là ! Et bien nous avons tourné dans le vrai bureau de Malraux. Nous ne pouvions pas prendre un vrai rideau… (rires)

J.E. Vous voyez où va notre argent ! (rires)

V.D. Il y a eu un facteur chance énorme. Nous avons pris les références du fournisseur du ministère de la Culture pour faire faire un rideau identique dans la même tissu. Si nous ne pouvions pas avoir le même rideau, nous aurions dû tous les faire refaire, ce qui aurait coûté beaucoup, beaucoup plus cher. Et il restait juste de quoi faire un seul rideau ! L’habilleuse l’a ajusté sur Valérie Lemercier, de manière à lui faire une robe de princesse. Quand j’étais petite, je me faisais des robes pareilles avec les draps.

Pourquoi Commercy ?

V.D. Et bien en fait, c’est la ville de mon enfance. Mes grands-parents y habitaient, j’ai donc passé beaucoup de temps là-bas quand j’étais petite, et puis j’aime beaucoup la Loraine, et j’avais envie de faire découvrir cette région là, d’une autre manière.

Parlez nous de La Reine des Pommes.

V.D. J’avais déjà réalisé mon premier court-métrage “Il fait beau dans la plus belle ville du monde”. On était 4 dans l’équipe et on l’a tourné en Super 8 mais une fois réalisé, aucun festival n’en a voulu alors on était un peu tristes. Un long métrage c’est comme un court métrage, seulement plus long, alors je me suis dis “pourquoi pas” et je suis partie à New-York avec une caméra à moitié cassée. Et une fois là-bas, j’ai filmé la fin de la Reine des Pommes. L’idée qui prenait tout la place pendant le tournage c’était ” Comment faire un film pas cher ? “. Alors on a tourné dehors, dans les apparts des uns et des autres… Ce qui était amusant c’était de faire un film comme ça, en dehors du système mais qui au final le rejoins. Vous n’imaginez pas à quel point on a été heureux quand il est sortis. C’était une sortie confidentielle, dans seulement quelques salles à Paris, mais pour nous c’était déjà énorme !

J.E. Comme aller dans une fête où on a pas le droit d’aller, et c’est super.

Pourquoi amener le sujet du trouple ?

V.D. Ah ! Elle, c’est définitivement une scène complexe. En fait, la situation de ce trouple fait écho à la situation de Joachim. Elle fait probablement écho à quelque chose que chacun de nous avons pu vivre, à un moment où un autre. Il y a là dedans une certaine blessure narcissique, de la folie. C’est peut-être une manière d’apprendre à se quitter avant d’être ensemble. Parfois on reçoit une injonction intime, et quelque chose traverse de part en part les règles normales de l’amour. Ca nous dépasse et on peut être amené à vivre des choses complètement inattendues.

J.E. On ne dit pas par là ” Vivez heureux, vivez en trouple ! ” attention ! (rires) Mais c’est une scène qui ne donne aucune leçon. On ne sait pas… Et si c’était idéal ? Est-ce triste ? C’est ambigüe. On se dit ” Pourquoi pas ? ” et puis “Mais c’est dur… ” Ce n’est pas comme Intouchables, ce n’est pas quelque chose qui, hop, colle tout de suite, sans problèmes. C’est plus compliqué que ça.

C’est plus compliqué que ça. Sur ces derniers mots, qui pourraient bien définir en elle même cette comédie empreinte de douceur et d’un cachet de vérité habillé d’un rideau de poésie, nous ne pouvons que lui souhaiter d’être comblée de réussite.

 

Le cinéma français se porte bien, Valérie Donzelli est là.

héhéhé... (⁰ ◡ ⁰ ✿)

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