LITTÉRATURE

Plongée dans Les Fleurs du Mal

Comment échapper à l’incontournable ? Avis aux amis lecteurs qui n’auraient pas encore découvert les œuvres grandioses du poète français Charles Baudelaire (1821-1867).

Commençons par son recueil le plus célèbre intitulé Les Fleurs du Mal, que peut-être certains d’entre vous étudieront dans l’année.

Sachez concernant le titre du recueil que l’auteur avait auparavant hésité avec les titres suivants : Les Lesbiennes et Les Limbes (lieu où les âmes des enfants qui n’ont pas été baptisés errent ), ce qui déjà vous indique la « couleur » des poèmes qu’il renferme.

Qu’est-ce qui fait le génie de cette œuvre ?

Cet ouvrage composé de plus de 120 poèmes d’une grande beauté a révolutionné la poésie depuis sa parution en 1857 en lui apportant un « frisson nouveau » et a inspiré par la suite de nombreux poètes tels que Mallarmé et Rimbaud.

Victor Hugo lui-même écrivit à Baudelaire « Vos Fleurs du Mal rayonnent et éblouissent comme des étoiles ».

Cependant, comme l’a montré à maintes reprises l’Histoire, le génie est dans un premier temps rarement compris, et l’œuvre de Baudelaire ne fut pas épargnée par la critique.

Ainsi dans Le Figaro, Gustave Bourdin dénonça l’immoralité de l’œuvre ; et déclara que « ce livre est un hôpital ouvert à toutes les démences de l’esprit, à toutes les putridités du cœur. »

Baudelaire a en effet crée une esthétique nouvelle : usant des formes conventionnelles (sonnets, alexandrins), il a allié le « sublime » à la « laideur » ; « J’ai pétri de la boue et j’en ai fais de l’or » dixit l’auteur. Pour se faire, le poète puise dans les tréfonds de l’âme humaine, en extirpe la pourriture, le mal, pour en faire des poèmes magnifiques.

On le voit aux thèmes abordés dans les poèmes qui sont pour certains d’une trivialité cruelle. On comprend donc que loin d’être d’un romantisme larmoyant, Baudelaire préfère la sensualité dans sa forme la plus terrible.

La violence, les vices, les péchés ou même l’homosexualité y sont dépeints de manière très crue, choquant le bon goût. On trouve de nombreuses références à la bestialité (avec la présence de chauve-souris, d’araignée dans « Spleen » par exemple.) ; tandis que les allusions érotiques sont à peine voilées.. (cf. « Le Léthé »).

Il convient de rappeler que Charles Baudelaire vit sous le Second Empire qui régit une société bourgeoise, prétendue morale, dont le souci est davantage celui de l’argent et de la rentabilité que celui du « beau ».

C’est la raison pour laquelle dès sa sortie le recueil fut condamné pour « outrage à la morale publique et aux bonnes mœurs » et l’on somma au poète de supprimer 6 de ses pièces ; et ce malgré une critique élogieuse publiée dans Le Moniteur et l’intervention de Mme Sabatier auprès des juges. (Elle fut l’une des trois femmes (avec Jeanne Duval et Marie Daubrun) qui inspirèrent à Baudelaire certains de ses poèmes.)

Ce procès inattendu désespéra le poète qui vit la structure tout entière de son recueil remise en cause et sa situation financière se détériorer. Néanmoins, loin de se laisser abattre, il augmenta de 35 nouveaux poèmes Les Fleurs du Mal  dont la seconde édition parût en 1861, soit 6 ans avant la mort du poète.

En résumé, Les Fleurs du Mal  est avant tout un voyage dans les tréfonds de notre être.

La composition du recueil (bien que ne sachant pas réellement la forme finale des Fleurs du Mal ) reflète d’ailleurs cette notion de voyage, de progression à laquelle nous, lecteur sommes invités à entrer comme l’indique clairement le poète liminaire « Au lecteur ». Ainsi élevé au rang de « frère » du poète, nous suivons ce dernier au grès des différentes sections qui composent le recueil. Celui-ci s’ouvre sur « Spleen et Idéal » où le poète décrit la double postulation de son être, déchiré entre sa soif d’une idéalité perdue et son enlisement dans un quotidien ennuyeux, qu’il nomme « spleen ». Ce terme anglais qui désigne à l’origine « la rate », la mauvaise humeur, est défini par Baudelaire lui-même comme étant «  un immense découragement, une sensation d’isolement insupportable, une peur perpétuelle d’un malheur vague, une défiance complète de [s]es forces, une absence totale de désirs, une impossibilité de trouver un amusement quelconque. » Cette première section décrit donc une chute douloureuse, l’Idéal inaccessible laissant place au désespoir. Ainsi en proie au spleen, le poète cherche à se détourner de son malheur de plusieurs manières, qui seront toutes vaines : il se plonge d’abord dans la contemplation de la ville (« Tableaux parisiens ») qui se révèle n’être rien d’autre qu’un mirage, un lieu fantasmatique, un miroir qui renvoie au créateur sa propre laideur, le mal qui le compose. Il tente alors de trouver du réconfort dans l’alcool (« Le Vin »), sans succès, puis dans les plaisirs de la chair (« Fleurs du Mal »). De là s’ensuit un mouvement de révolte contre Dieu (« Révolte »), où il lui préfère Satan, qui tout comme le poète, est un être marginal, un exilé. La mort semble ainsi être la seule solution aux tourments du poète, le seul voyage qui ne puisse décevoir et qui fasse entrevoir au poète la possibilité d’une réconciliation et d’un salut :

« C’est la Mort qui console, hélas ! Et qui fait vivre ; » (« La mort des pauvres »)

En bref, on ne ressort pas indemne des Fleurs du Mal.. Des bribes de vers, ou parfois des poèmes entiers, continueront à vous hanter même après la fermeture du recueil.. 

« Quand le ciel bas et lourd pèse comme un couvercle.. » (« Spleen »)

« Là, tout n’est qu’ordre et beauté,

luxe, calme et volupté » (« L’invitation au voyage »)

Découvrez aussi :

  • Petites poèmes en prose, parfois désigné par son sous-titre Le Spleen de Paris. Il s’agit d’un recueil posthume de poèmes en prose publié pour la première fois en 1869. Baudelaire y met en scène les oubliés de cette ville nouvelle qu’est Paris, alors transformée en une cité moderne par les travaux d’Haussmann, et leur donne la parole. Le poète qui flâne dans Paris est tantôt le narrateur des anecdotes qui se déroulent dans la capitale, tantôt l’acteur ou le témoin des drames qui s’y jouent.

  • Les Paradis artificiels. Dans cet essai l’auteur traite du lien entre les drogues et la création poétique. Bien qu’il ait consommé de l’opium, le poète affirme qu’un véritable poète n’a pas besoin de drogues pour trouver l’inspiration. L’homme admirable c’est en effet celui qui « s’étant livré longtemps à l’opium ou au hachisch, a pu trouver, affaibli comme il l’était par l’habitude de son sevrage, l’énergie nécessaire pour se délivrer. »

La musicalité des poèmes de Baudelaire ont aussi donné naissance à de nombreuses créations/ adaptations musicales très intéressantes. Des artistes tels que Léo Ferré ou Saez ont ainsi mis en musique certains des poèmes des Fleurs du Mal montrant à quel point l’œuvre du poète français demeure d’une richesse atemporelle.

Je vous invite à vous montrer curieux afin de découvrir le monde fascinant de ce sombre poète

Bonne lecture !

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