LITTÉRATURE

Les Chemins de la Bête – Andrea Japp

Agnès de Souarcy est veuve. Clément, son fidèle serviteur de 10 ans dont l’origine soulève le doute, demeure à ses côtés, ainsi que sa jeune fille Mathilde, qui rêve résolument de grandeur. Vivant de modestes revenus, Agnès supporte tant bien que mal les visites, trop flatteuses de son frère Eudes de Larnay ; la fausse courtoisie masquant mal le rejet de la misogynie d’un côté et un vil désir de vengeance de l’autre.

Mais l’enjeu démoniaque se situe à une échelle bien plus grande…

La France est pour l’heure en proie à une succession de luttes d’influence, que ce soit le conflit opposant le roi Philippe Le Bel qui souhaite s’affranchir de la tutelle de l’Eglise toute-puissante, et le Pape, au centre de toutes les machinations. Et les Ordres, du Temple ou de l’Hôpital, que tous veulent voir la puissance contenue et en convoitent les richesses.

Ces sombres desseins justifient les manigances multiples, dont la mise en place a requis une préparation sur le long terme. Il semble alors dès les premières lignes que les mâchoires de cette ‘bête’ vont se refermer sur les proies. Les crimes s’enchaînent et le rythme palpitant de l’oeuvre s’accélère.

Dans le premier tome, Les Chemins de la Bête, de cette saga de polar en quatre volumes (La Dame Sans Terre), la confrontation fraternelle frise de peu le manichéisme, la rivalité opposant un homme relativement puissant et sa vassale de sœur. Le topos de la femme émancipée peut surprendre, surtout au Moyen- Âge, mais on ne peut qu’être touché par la détermination et la grandeur d’esprit d’Agnès. Lucide, se voulant indépendante, elle luttera face aux multiples péripéties qui surviendront… Cependant, les personnages se révèlent un peu stéréotypés et s’approchent parfois dangereusement des romans à l’eau de rose.

Pas de remise en cause de ce qu’on peut qualifier de prémices des catégories sociales et donc de la hiérarchie médiévale, mais une réflexion sur les places respectives des maillons de cette chaîne. Inégalités liées à la fortune pécuniaire (qui trace le destin), au pouvoir (la descendance y jouant un rôle non négligeable), mais aussi les injustices entre hommes et femmes. Ces dernières restent confinées au domicile, dévalorisées ; leur mission demeure de fournir un hoir à l’époux. En revanche, certains hommes d’Eglise bafouent leur dignité. Ici, la diatribe est perceptible contre ces « impies déguisés en docteur de la foi », face à la prostitution et aux abus sexuels en particulier. La corruption est largement mise en exergue. La définition de l’argent donnée est explicite : « si simple : il tient, retient et soumet ». Celui-ci légitime les carnages et quiconque en possédant suffisamment est en mesure d’ôter la vie ou de forger l’avenir.

‘Hoc quicumque stolam sanguine proluit, absergit maculas’ Quiconque se lave dans le sang divin nettoie ses souillures

Un autre point intéressant soulevé : les dogmes religieux. Ces ‘vérités’ rabâchées sont balayées dès l’accès à la connaissance : preuve de la main-mise de la religion sur les esprits et de l’obscurantisme omniprésent. L’Inquisition médiévale se voit amplement dévalorisée, à juste titre d’après les descriptions de tortures et atrocités perpétrées dans le but de recueillir un aveu, souvent factice ; certains Inquisiteurs font en outre preuve d’une jouissance malsaine !

L’auteure emploie un langage d’époque évidemment utilisé dans les dialogues, qui imprègne la narration, d’où transparaît la “lourdeur” du protocole en vigueur. Le récit jouit ainsi de la connaissance pointue de la part de l’écrivaine concernant l’époque moyenâgeuse. Toutefois, les termes techniques et les précisions historiques ne doivent pas tendre vers le pur épanchement de connaissances ; les détails portant sur les lignées de nobles, entre autres, foisonnent et risqueraient (j’utilise bien le conditionnel) d’égarer le lecteur néophyte, voire de le lasser.

Andrea H. Japp

À ce propos, on peut saluer l’ajout en fin d’ouvrage d’une brève annexe historique très pratique. Au fil du roman, on vous signale les termes qui y sont explicités. Ces références culturelles peuvent aussi bien fourbir les connaissances de chacun, c’est selon !

Un Moyen-Âge romanesque, une trame de fond ingénieuse au service d’une plume puissante et efficace : le style est impeccable.
Le recours fréquent au discours indirect libre est un moyen ingénieux de révéler les émotions de chacun des protagonistes. Un autre domaine dans lequel Japp excelle est la médecine médiévale, où regorgent décoctions et poisons, et pour cause : elle est toxicologue de formation !

Les histoires, à priori indépendantes, ainsi que les points de vue, alternent. Ces trames mystérieusement imbriquées vont converger dans l’apothéose du dénouement à venir… Tout bascule en cette année 1304. Les revirements de situation dominent entre Alençon, Paris et le Vatican, que de mystiques intermédiaires opèrent …

 

 

La silhouette se leva.  […]

Derrière, dans cette salle sombre et bruissante de conversations débonnaires, demeurait le passé.
Il n’avait plus aucun lien avec l’avenir.
Le passé avait été imposé. L’avenir serait choisi.
Il restait à modeler.”

Un second tome annonçant une bataille haletante contre le Mal, quelque soit sa forme. Le chemin d’une saga grisante en somme.

De quoi frissonner de plaisir sous le soleil cet été !

Un peu tôt pour faire une biographie, mais j'y songerai.

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