SOCIÉTÉ

Réforme des lycées, et en réalité ?

Martin Vidberg www.vidberg.blog.lemonde.fr

2ndes 2010, 1ères 2011, et l’an prochain Terminales 2012… Voici la première génération à qui le ministère a décidé d’appliquer une énième réforme des lycées.
Cette réforme est basée sur 3 slogans :
« Mieux orienter : mieux se préparer à sa voie, pouvoir changer de parcours, mieux se préparer à l’enseignement supérieur.
Mieux accompagner : être mieux soutenu.
Mieux préparer : langues vivantes, responsabilité et vie culturelle. »
Des mots, des projets, c’est joli. Mais concrètement, qu’en est-il ? C’est ce que nous allons vous faire découvrir, et vous pourrez constater l’hypocrisie que cache une telle réforme.

Commençons donc par la 2nde. La grande nouveauté, dont le gouvernement est bien fier, c’est les enseignements d’exploration. Qu’est-ce ? D’un côté 1h30 d’un enseignement ludique au choix : Littérature & Société ou Mesures & Pratiques Scientifiques pour la plupart des lycées, et aussi LV3, Arts du spectacle et Sciences et Laboratoires. De l’autre, un enseignement économique à choisir entre Principes Fondamentaux de l’Economie et de la Gestion ou Sciences Economiques et Sociales. Commençons bien sûr par le positif. Cet encouragement à l’économie — aux SES, choisies par la plupart des élèves — c’est une bonne chose pour le choix des filières en fin d’année. L’élève moyen se dira en fin 2nde « j’aime le français je vais en L » ou «  j’aime les maths et la physique-chimie je vais en S » (en caricaturant bien sûr). Là, il peut découvrir qu’une autre filière peut l’intéresser et répondre à ses goûts et capacités. La partie “d’exploration”, paraît bien intéressante aussi. Mais sachant que des enseignements de détermination étaient déjà présents avant, tout cela n’a rien de révolutionnaire, c’est faire du neuf avec du vieux.

Regardons les modifications du reste des matières. De nombreuses demi-heures sont perdues dans différentes matières, cela parait peu, mais additionné cela commence à avoir du poids. On passe de 4h30 à 4h de Français, de 3h30 à 3h d’Histoire-Géographie (la demi-heure de méthodologie dédoublée est supprimée), de 3h30 à 3h de Physique-Chimie, et de 2h à 1h30 d’SVT. Additionné, cela fait 2 heures dans les matières générales en moins. Soit environ 72 heures par an. Le « mieux se préparer à sa voie », quelle que soit la filière choisie, est déjà à rayer.

Par quoi sont compensées ces heures d’enseignement général perdues ? Par l’autre fierté du gouvernement : l’aide personnalisée. Avec un grand A, et un grand P, parce qu’à elle seule, elle semble être une résolution à toutes les difficultés des élèves. Tout le slogan « Mieux  accompagner » est basé sur elle. Mieux accompagner les élèves, c’est facile à dire. L’aide personnalisée, c’est 2 heures par semaines passées avec un ou deux professeurs, parfois le professeur principal. On y parle un peu de l’orientation, mais sinon, les sujets étudiés diffèrent totalement du professeur encadrant. Un professeur peut venir vous apprendre à gérer votre temps : préparer son sac le soir et ne pas se coucher trop tard. Utile ? En 2nde, moins de 3 ans avant le bac, peut-être pas. Un autre rattrapera le retard perdu dans son cours, ou un autre encore essaiera de vous intéresser à sa matière par des films, des activités. En fait, l’aide personnalisée est tellement différente en fonction des enseignants qu’elle en devient inégalitaire, et surtout, quel que soit la façon dont elle est exploitée, elle est inutile. Les élèves se voient donc remplacés deux heures de cours, qui étaient majoritairement des heures en demi-groupe, par une aide « personnalisée » sans but précis et en général en classe entière (notez le paradoxe, elle est si personnalisée qu’elle peut se faire à 35).

Nous pourrions dire qu’il n’y a cependant pas suppression d’heures. Or, avant la réforme, cette idée d’aide personnalisée était déjà présente : 28h par an devaient être ajoutées pour les heures de vie de classe et d’informatique. Ainsi, 72 heures d’aide-personnalisée annuelles remplacent 72 heures d’enseignement général et 28h d’aide-personnalisée.

Inutile d’être un grand matheux pour voir la différence.

Les choses se compliquent en 1ère avec les différentes filières…

Le plus choquant tout d’abord, l’inexplicable quand la réforme est censée équilibrer les filières et rendre possible les changements de parcours, c’est la suppression totale des maths en L. Oui, en 1ère L, vous n’avez maintenant  plus la moindre heure de cette matière. Vous ne la passerez même pas au bac. Je ne sais pas si vous vous rendez compte de ce que ça veut dire, les maths cela reste la matière de base, depuis que l’on est tout petit c’est Français/Maths. Maintenant, vous vous contenterez de l’enseignement scientifique. Peut être qu’un jour, en S, on supprimera le Français et l’Histoire-Géographie et que l’on mettra enseignement culturel. A l’heure actuelle en tout cas, cela  témoigne d’une grande hypocrisie quand on parle de passerelles entre les filières. Oui les maths sont encore en option, oui. Mais des élèves littéraires ayant la possibilité de prendre langue vivante renforcée, arts ou LV3 ne se dirigeront pas massivement vers les mathématiques, c’est logique. A la place ? Une matière “littérature étrangère en langue étrangère” est ouverte. Au rythme de deux heures par semaine, cette matière peut être intéressante. Mais les langues en elles-mêmes perdent 1 heure et passent à 4h30 pour l’ensemble LV1 + LV2. Leur “maîtrise renforcée des langues vivantes” est un peu faible quand même… Et ainsi, on perd une heure de langues et une matière pour 2h de littérature étrangère. Voilà pour la série L, qui devait être mise en valeur par la réforme.

Série Scientifique maintenant, ce qui a fait couler beaucoup d’encre c’est bien sûr le passage de l’Histoire-Géographie au bac S en 1ère. Et il y a de quoi. On va mettre de côté le fait qu’une épreuve aussi dure que celle des “anciens S” avec un an de moins pour s’y entraîner c’est délicat, et plutôt regarder le programme. Pour pouvoir rentrer ce que l’on faisait en 2 ans en un an, on a inventé l’organisation thématique. Finies les dates et les repères chronologiques, il n’y a plus de périodes mais des thèmes. Ainsi, on traitera entres autres de “Croissance, mondialisation et mutations depuis 1850”, “La guerre au XXe siècle” en Histoire et “Les territoires de proximité”, “La France dans le monde” en Géographie. Autre originalité, le timing. Les professeurs sont censés passer environ 3 heures sur la Première Guerre mondiale, et 3 heures sur la Seconde. Le programme de Géographie, lui, va des territoires de proximité à l’Europe, en passant par les régions et la France, mais ne s’étend pas au-delà. Avec ça, les scientifiques seront parés pour avoir vision critique et complète du monde, cela ne fait aucun doute… Les séries ES et L pâtissent d’ailleurs aussi de ce changement, comme ils ont le même programme. Niveau heures, au lieu de 2h30 en 1ère et 2h30 en Terminale ils auront 4h en 1ère. Cela fait donc 1 heure de perdue par rapport à l’ancienne génération.
Dans les autres matières, la chute du nombre d’heures est aussi remarquable en sciences. Les maths et l’SVT (ou SI) perdent 1h, la Physique-Chimie 1h30. Tout ça pour quoi ? Une demi-heure dans les langues vivantes, soit 1/4 d’heure dans chacune d’entre elles. Faible encore, quand ils sont si fiers de nous rendre pros en langues.

Pour finir, la 1ère ES a été un peu moins touchée par la réforme, mais il y a eu un changement majeur : l’apparition de la Physique-Chimie, potentiellement une bonne chose, si ce n’était au grand détriment de l’SVT : par 1h30 de chaque toutes les deux semaines. Ainsi, alors qu’ils avaient des connaissances très solides en SVT auparavant, les ES se contentent maintenant de connaissances très limitées dans les deux matières. Une heure d’SES a été ôtée au passage, mais aussi les deux heures d’options qui sont désormais réservées aux Terminales. En échange de quoi ils connaissent la même augmentation minable des heures de langues que les S car la spécialité anglais leur permettait d’avoir 2h en plus pour ceux qui la choisissait.

Ces heures de perdues sont elles compensées quelque part ? Oui, partiellement avec l’aide personnalisée (encore elle !) qui demeure toujours aussi inégalitaire et inutile. Elle n’est pas forcément négative (méthodologie, approfondissements, initiation à la philosophie en L) mais ne peut remplacer de vraies matières.

Une grande simplification des programmes est observable, particulièrement en mathématiques, en sciences, en SES et en Histoire-Géographie. Les élèves sont donc condamnés à demeurer plus ignorants que les générations précédentes. Ceci profite au moins aux maisons d’éditions, de nouveaux livres ayant été conçus dans toutes les matières.

Les langues ont peut-être été mises légèrement en avant, mais en plus de la disparition de la spécialité langues en ES, les options européennes ont tendances à être de plus en plus supprimées… Peut-on vraiment parler d’ouverture linguistique ?

Se pose enfin le problème des redoublements : quelle est leur utilité, sachant que toute une génération d’élèves qui redoublent se trouveront avec un programme grandement différent ?

Qu’attendre pour l’an prochain ? Une perte d’heures moins importante dans les matières spécifiques des séries (SES, sciences…) dans un but de ré-équilibrage par rapport à une 1ère plus générale. Cela sera-t-il suffisant pour arriver en fin d’année avec un niveau identique ? La question est là. Le premier bac du nouveau lycée arrive en effet l’an prochain, et peut-être qu’il faudrait finalement espérer une fin du monde en décembre 2012…

Qu’en conclure ? Que de telles modifications toucheront sûrement bientôt les filières technologiques. En filière professionnelle, un an entier a déjà été supprimé pour l’obtention du bac pro. Mais surtout que ce savant remaniement du lycée cache mal une volonté de suppression d’heures et donc de postes

Jusqu’où tout cela va-t-il aller ?

Martin Vidberg www.vidberg.blog.lemonde.fr

Toulousain curieux, accro aux bouquins, à la musique, à la sauce piquante des pizzas.

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