SOCIÉTÉ

Vente en rafale entre l’Egypte et la France

La nouvelle est venue directement de François Hollande le 12 février. Un accord a été trouvé entre la France et l’Egypte pour une vente de vingt-quatre avions Rafales, une frégate FREMM ainsi que des missiles. Le contrat négocié en “seulement”  cinq mois, s’élèverait à 5,2 milliards €. Après une euphorie quasi générale, des questions se sont vite posées sur le destinataire de ces équipements militaires. Arrivé suite à un coup d’Etat en juillet 2013, le Maréchal Al-Sissi n’est pas connu pour être un symbole de respect des droits de l’Homme. La France, en équipant un régime qui s’apparente à une dictature, renie-t-elle ses valeurs démocratiques ? 

Lancée en 1976, la conception du Rafale a donné lieu dix ans plus tard au premier vol du prototype. En 2004 et 2006, la Marine et l’armée de l’Air reçoivent leurs premiers appareils. L’armée française est la seule détentrice de ce fleuron de l’industrie, souvent jugé comme un bijou technologique mais avec le prix qui va avec, c’est-à-dire souvent trop cher pour les acheteurs. L’un des nombreux atouts du Rafale est sa capacité de 14 points d’emport pour l’armement mais surtout sa charge utile de 9,5 tonnes soit 1,5 fois son poids ( contre 6000 kg de capacité d’emport pour un Mirage 2000). L’avion est à la pointe de la technologie électronique avec des écrans tactiles, la nacelle AEROS,  reconnue comme l’une des meilleures actuellement pour la reconnaissance. Le Rafale est également doté d’un radar ultra performant, placé dans le nez de l’avion, le RBE2. Sa portée est de 150 kilomètres, il peut suivre quarante cibles simultanément et réaliser des cartes 3D en temps réel. L’avion français a l’immense avantage de pouvoir réaliser tous les types de missions : de la défense aérienne à l’une des actions les plus sensibles, la dissuasion nucléaire en passant par l’attaque en mer, la reconnaissance, l’attaque au sol, le bombardement ou l’appui de troupes.

L'armement du Rafale avec la nacelle Aeros au centre ( Crédit photo: Dassault)

L’armement du Rafale avec la nacelle AEROS au centre ( Crédit photo : Dassault)

De nombreux échecs à l’export

La liste des négociations avortées est longue pour l’achat de Rafales par des pays étrangers : la Corée du Sud, les Pays-Bas (2002), Singapour (2005), le Maroc ( 2007), la Suisse (2011) et le Brésil (2013)  ont tous choisi un concurrent à l’avion de Dassault. Le prix a souvent été un frein dans les négociations, étant donné que l’avion français coûterait à l’unité… 80 millions d’euros. Le Brésil et la Suisse choisiront par exemple l’avion suédois Gripen de Saab avec un coût d’environ 45 millions €. La maintenance est également prise en compte lors des négociations. En effet, en plus d’être coûteuses, les réparations sont complexes et nécessitent un personnel très qualifié au vu des technologies très abouties dont dispose l’avion français. Sachant que la durée de vie d’un Rafale est d’environ 50 ans, le prix à l’achat n’est qu’une partie du coût total. La concurrence américaine a également régulièrement été coupable de ces échecs. Lockheed Martin a souvent profité de l’immense influence des Etats-Unis pour vendre ses avions de chasse.
Mais comment l’Egypte, en pleine crise économique, notamment avec la chute des recettes liées au tourisme, va-t-elle financer cet achat ? 50 % des 5,2 milliards € seront garantis par le Coface, un organisme d’assurance-crédit… français, mais aussi avec le soutien d’une dizaine de banques françaises dont certainement le Crédit Agricole, BNP Paris Bas ou la Société Générale. La France a donc fortement soutenu cette vente. Et pour cause : l’Etat français avait tout intérêt à vendre des avions pour voir le programme Rafale être poursuivi. Sans vente à l’international, le budget alloué à l’avion de chasse aurait été réduit pour limiter son coût astronomique ( 44,2 milliards € selon le Sénat en 2012). Sans budget conséquent, le développement de l’avion utilisé par l’armée française aurait considérablement ralenti. Le contrat avec l’Egypte était donc essentiel pour la survie de la filiale militaire de Dassault Aviation.

 L’Egypte, un carrefour stratégique

On peut se poser la question de l’utilisation de cet arsenal qui sera bientôt à disposition de l’Egypte. Depuis plusieurs mois, le pays subit la pression des djihadistes de Daesh dans le désert du Sinaï ( à l’est du pays) mais aussi près de sa frontière avec la Libye. L’armée de l’air égyptienne a d’ailleurs effectué des bombardements “contre des camps et des lieux de rassemblement ou des dépôts d’armes en Libye” selon leur propre communiqué. Ces frappes sont la conséquence de la décapitation par le mouvement terroriste de 21 coptes égyptiens. Amnesty a dévoilé le chiffre de 7 victimes civiles dans ces bombardements, déplorant que le régime du Maréchal Al-Sissi n’ait “pas pris les précautions nécessaires”. Le Sinaï et la Libye étant déjà problématiques, l’Egypte doit également assurer la sécurité du Canal de Suez. En plus d’être un lieu majeur pour le commerce mondial, le Canal rapporte à l’Egypte près de 5 milliards de $ chaque année. Lorsque l’on sait que la construction d’un deuxième canal, parallèle à l’actuel, sera terminée cet été, la question de ce carrefour, entre Méditerranée et mer Rouge, est d’autant plus sensible.

Les premiers Rafales décolleront vers l'Egypte dès cette année

Les premiers Rafales décolleront vers l’Egypte dès cette année

Al-Sissi, un dictateur ?

Depuis la chute du régime du dictateur Hosni Moubarak en février 2011, la vie politique égyptienne a connu de nombreux rebondissements. Mohamed Morsi a été le premier président élu par le peuple égyptien en 2013. Il était membre des Frères musulmans, organisation dorénavant considérée comme terroriste par plusieurs pays, dont l’Egypte, la Russie et l’Arabie Saoudite. En juillet 2013, le Maréchal Al-Sissi, Ministre de la Défense de l’époque, fait intervenir l’armée pour “empêcher l’Égypte de plonger dans un tunnel de conflits”. En mai 2014, il est élu à la présidence avec “un score à la soviétique” : 96 % des suffrages. Cette élection peut  toutefois être relativisée : le taux de participation était seulement de 47 % environ et le régime a éliminé l’opposition que représentaient les Frères musulmans mais aussi l’opposition libérale et laïque. Depuis, les libertés fondamentales ne semblent toujours pas être un objectif pour Al-Sissi : “la police tue toujours” des manifestants rappelle l’ONG Human Right Watch. Depuis 2013, 1 400 partisans de l’ancien président Morsi ont été assassinés par la police égyptienne. Plus de 15 000 “pro-morsi” ont été placés en détention et les condamnations à mort expéditives par centaines s’enchaînent. Sur ce sujet, l’ONU a qualifié ces procès de “sans précédent dans l’histoire récente” du monde. La liberté d’expression est également en danger, tout comme la presse. Des journalistes, notamment de la chaine Al-Jazeera, sont emprisonnés depuis près de 2 ans pour avoir interrogé des membres des Frères musulmans.

Les Etat-Unis mis de côté, la France en profite

Depuis la répression policière lors du Printemps arabe, les Etats-Unis ont cessé de vendre à l’Egypte des armes “sophistiquées” comme des avions, des chars ou des missiles. Dassault a donc profité de la mise à l’écart de son principal concurrent, Lockheed, pour finaliser son premier contrat avec un pays étranger. Reste à savoir si ce premier contrat en amènera d’autres, créant un “effet boule de neige” selon les mots de Eric Trappier, PDG de Dassault Aviation. Actuellement,  des négociations sont à un stade avancé avec l’Inde (pour 126 avions) et les Emirats Arabes Unis (pour 60 appareils). D’autres pays comme le Qatar, le Canada, la Malaisie, la Belgique ou la Pologne, seraient des acheteurs potentiels du Rafale.

Ne pouvant refuser un tel contrat et s’assurant une sécurité relative au Moyen-Orient, la France a tout mis en oeuvre pour vendre pour la première fois à l’international le fleuron de l’industrie aéronautique française. Le Maréchal Al-Sissi tient le pays d’une main de fer mais, dans certains cas, la démocratie semble secondaire…

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