MUSIQUE

Quand Sufjan rencontre Carrie

Dites au revoir aux envolées lyriques, aux solos de trombone, aux chansons de huit minutes, et aux choeurs féminins envoûtants. Tout ça c’est du passé, place maintenant au retour aux sources dont nous avions tous besoin. Sufjan Stevens, maître incontesté de la folk américaine, a mis son orchestre de coté pour nous livrer un treizième opus.

Pour ceux qui ne le connaîtraient pas, sachez d’abord que c’est un tort de ne pas posséder une part de Sufjan dans une vie. Il est à la croisée des mondes, entre le christianisme conservateur et la débauche sexuelle, entre le calme des sons minimalistes et la bruit assourdissant que peut produire un homme orchestre. Il est son propre ying, il s’accorde parfaitement avec son yang. Nous avons tous besoin d’un équilibre dans nos existences, Sufjan Stevens est probablement ce qui se rapproche le plus de l’harmonie à laquelle nous aspirons tous.

Apres The Adge of Ad, album grandiloquent aux sonorités trop électro pour sa personnalité, l’auteur-compositeur-interprète américain a fait une petite pause. Petite pause… Les fans ont attendu cinq longues années dans la léthargie la plus totale. Mais qu’est-ce donc que cinq ans quand l’attente en vaut la peine ? La dernière perle du chanteur s’intitule Carrie & Lowell, et elle apporte bien des explications quant aux multiples interrogations que soulèvent chaque chanson des précédents albums.

Qui sont les deux personnages que l’on voit sur cette pochette vieillotte et abîmée ? Il s’agit d’une photo de la mère du chanteur, Carrie, et de son beau-père, Lowell.  Quoi de plus émouvant que d’écrire un album entier pour les deux personnes qui ont le plus compté dans sa vie ? Cet homme avec qui il a fondé son propre label, à qui il doit toute sa carrière. Et cette femme dont on a si longtemps entendu parler sans jamais réellement comprendre ses attitudes. Déjà, il y a douze ans, dans son album thématique Michigan, une chanson nous dévoilait quelques petites choses sur sa mère énigmatique. Il parlait vaguement d’une maman avec qui il ne vivait pas, par qui il était intimidé, une femme qui faisait tout pour ne pas voir ses enfants quand ceux-ci mettaient tout en œuvre pour qu’elle reste auprès d’eux. Maintenant, nous avons le droit de tout savoir sur elle. Dans Carrie & Lowell, on apprend les tendances dépressives, bipolaires et dérangées d’une mère qui n’a pas pu élever ses enfants sans avoir recours à l’ingestion de calmants et d’antidépresseurs.

Dans un écrin de sensibilité, Sufjan nous livre une part de son cœur meurtri par son enfance à moitié vécue. Comme à son habitude, ses paroles sont si alambiquées que l’on ne peut pas tout saisir directement. Ce qui est déjà confirmé est qu’il aimait profondément cette femme et l’homme avec qui elle partageait sa vie. Il leur est dévoué et tient à interpréter ses onze titres dans la joie et l’amour. C’est une forme de deuil artistique, une sorte de thérapie de scène. Pour pallier au manque de sa mère emportée par un cancer de l’estomac il y a peu, le chanteur nous raconte tout ce dont il se souvient. Tous ces jours où il a profité de sa présence, tous ces moments qu’il a passé à réfléchir sur la nature de leur relation, toutes ses interrogations face à un comportement dépressif. Accompagné d’une guitare folk et parfois d’un banjo et d’un piano discret, il nous raconte les derniers moments de sa mère. Cette journée du 4 juillet, censée symboliser l’euphorie en Amérique, a été pour lui une des dernières fois où il pouvait encore voir celle qui l’a mis au monde. Sur son lit de mort, elle se souvient de ses erreurs, elle tente de se faire pardonner. Mais comment pardonner alors que son fils ne nourrit aucune rancœur pour elle ?

L’homme au cœur d’or qu’est Sufjan Stevens nous a livré son album le plus touchant depuis le début de sa carrière en nous contant avec simplicité tout ce que nous voulions savoir sur lui. Comment en est-il arrivé à être aussi aimant ? Comment son enfance s’est-elle déroulée ? Qui l’a mené jusqu’à sa carrière internationale ? Deux noms répondent à cette dernière question : Carrie et Lowell. Parce qu’un artiste, aussi talentueux soit-il, ne peut obtenir son succès qu’en ouvrant son cœur à son public par le biais de chansons sincères.

La manœuvre est plus que réussie ; Carrie & Lowell est un chef-d’œuvre.

Directrice de la communication, tout droit venue de Belgique pour vous servir. Passionnée de lecture, d'écriture, de photographie et de musique classique.

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