MUSIQUE

Plaidoyer pour la culture “mainstream”

Mars 2015. Si, entre le remarqué retour de Jack Latham aka Jam City chez Night Slugs, le magnifique album Glass Eye de Pearson Sound, alter ego UK Bass de Ramadanman, et une scène rap anglophone des plus hyperactives (Death Grips, Kendric Lamar, Action Bronson, etc.), la scène musicale contemporaine semble être en ébullition, elle a pourtant été victime d’une grande perte. En effet, le mercredi 25 mars dernier, deux millénaires, quinze ans, et trois mois après l’arrivée de Jésus sur Terre, c’est l’idole de nombreuses jeunes filles qui a décidé d’arrêter la musique, j’ai cité : Zain Javadd Malik, des One Direction.

C’est ainsi que le boys band anglo-irlandais devient un quatuor, après cinq ans d’existence. Cette séparation a ainsi secoué comme rarement le milieu musical et a plus forte raison internet, et c’est sans attendre qu’une pléthore de réactions est apparue, chacun usant de sa liberté d’expression pour faire part au monde de son opinion sur le sujet. Du camp des ultrafans à celui des haters de toujours, les réactions ont été toutes aussi vives. Mais cet événement, outre son côté dramatique ou comique (rayez la mention inutile selon vos goûts), permet de se questionner sur la place de la musique dite « mainstream » dans notre société. Pourquoi est-elle si décriée, et surtout : l’est-elle à juste titre ? Quelle est la légitimité des critiques à son égard ? Mais pour commencer : qui est-elle, cette « musique mainstream » ?

Si le sens du mot « mainstream » ne pose que peu de problèmes, tout le monde s’étant accordé sur sa définition («  massivement populaire, grand public, suivi et accepté par la masse  » et « conformiste, promu outrageusement, sans saveur ou originalité. » selon le Wiktionnaire), sa mise en application concrète reste une chose plus compliquée. Si Fuzati & Gesaffelstein sont probablement considérés comme mainstream par des fans de L.O.A.S. et Huerco S, le sont-ils pour autant par des personnes appréciant Black M ou Steve Aoki ? La question du «  mainstream / pas mainstream ? » est souvent déterminée par le milieu social et culturel du « juge », et le caractère ou non mainstream d’une œuvre – qu’importe sa forme – se voit également être assujetti aux médias faisant sa publicité. Mais le « mainstream » trouve également une perspective temporelle : si des labels tels qu’Ed Banger pouvaient il y a quelques années être tout ce qu’il y a de plus in, le label de Pedro Winter peine actuellement à trouver une place légitime et intéressante dans le panorama de la musique électronique contemporaine.

Mais n’est prise ici en compte que la conception «  médiatique  » de l’art, soit sa réception publique – dans une société relativement élitiste, vous en conviendrez. Mais quid alors de la qualité de l’oeuvre ? Peut-on réellement dire que la musique d’un artiste tel que Patricia (LIES Records, Opal Tapes) est meilleure que celle d’un DJ headliner de l’Ultra Festival ? Même si des éléments concrets nous pousseraient à dire « oui bien évidemment » (sets préenregistrés / live machine, originalité ou caractère subversif et novateur / platitude musicale, utilisation de ghosts producers, finesse de la production etc.) se pose la question de la hiérarchisation des cultures : l’IDM est-il un genre supérieur à l’EDM par exemple ?

Un parallélisme avec le concept d’ethnocentrisme, explicité en 1906 par W. Sumner dans son ouvrage Folkaways nous donne les premières clés de la pleine compréhension de ce phénomène. L’ethnocentrisme est ce concept qui amène – de manière naturelle et humaine – à surestimer le groupe auquel on appartient. Si Sumner parlait de groupes raciaux ou ethniques, il en est de même pour le milieu musical. Or il est indiscutable que chaque genre musical va comporter des codes, des façons d’agir, des valeurs qui ne seront pas les mêmes : ainsi, et de manière logique, le monde de la « free party » semble bien lointain de celui de Booba. Le monde de la musique est donc – et je ne vous apprendrai rien – socialement parcellaire et est ainsi composé de plusieurs microcosmes formant une société entière, les goûts culturels étant influencés par la position sociale (P. Bourdieu & J.C. Passeron, Les Héritiers, 1964). Ce que nous pourrions qualifier – étymologiquement à tort – d’« ethnocentrisme culturel » reviendrait donc à juger les genres musicaux dans lesquels nous baignons majoritairement comme les plus intéressants et les plus légitimes. Toujours dans la perspective d’un parallélisme entre cultures ethniques et cultures au sens artistique, c’est le « relativisme culturel scientifique » qui vient légitimer et donner du crédit aux mouvances dites mainstream – qui et quoi qu’elles soient.

En effet, pourquoi juger – et ceci de manière réciproque – des « produits culturels » (passez moi l’expression) dont nous ne sommes pas les cibles, et dont nous n’avons de ce fait pas les clés de compréhension ? Si par des facteurs comme la portée de sa réflexion, la qualité de sa photographie ou son caractère onirique (par exemple), un film comme La Montagne (A. Jodorowsky, 1973) peut paraitre plus intéressant qu’un teen movie ultra médiatisé, l’est-il réellement pour tous ? C’est ici en filigrane la question des nécessités et des attentes artistiques et culturelles de chacun qui se pose. Le travail d’Amel Bent pour ne citer que lui est-il plus illégitime que celui de Molière ? Il sera considéré comme moins recherché, moins littéraire, etc, mais trouvera beaucoup plus aisément écho dans les aspirations d’un public essentiellement composé de jeunes filles d’une dizaine d’années, leur offrant qui plus est un discours optimiste et positif. Nos sociétés sont, fort heureusement composées, d’une diversité certaine, et nier les qualités certaines qu’offrent cette pluralité de propositions reviendrait à ne pas comprendre que tout le monde n’a pas les mêmes inclinations et appétences artistiques. Si vous ne comprenez pas qu’on puisse apprécier le dernier album de Calvin Harris, pourquoi attendre des autres qu’ils apprécient le remix d’Oscar Mulero par SHXCXCHCXSH ? Si la qualité peut être quantifiée pour un mouvement, de manière intrinsèque et cloisonnée, on voit donc qu’il est difficile d’établir une hiérarchie des cultures, toutes ayant une utilité et un public différent (et critiquer une œuvre artistique pour son public est une idiotie ; que juge-t-on, la qualité de l’oeuvre, ou sa réception ?).

Enfin, les produits culturels de masse ont – par définition – un impact médiatique bien plus fort que d’autres œuvres underground au public intimiste. Et il arrive bien souvent que ces super productions soient porteuses d’un message vulgarisé qui n’aurait été compris s’il avait été trop intellectualisé ou pas assez explicite. En atteste le récent exemple Qu’est ce qu’on a fait au bon Dieu ? (Philippe de Chauveron, 2014). Si son humour peut être considéré comme lourd, son scénario incohérent, sa réalisation comme simpliste etc… ce film a au moins le mérite de transmettre clairement une réflexion sur le déterminisme social ainsi qu’une volonté de transmettre un message anti-raciste. Certes, d’autres films, peut-être selon certains critères plus esthétiquement poussés ou plus travaillés, ont pu transmettre le même message ; mais avec quelle réception, quelle visibilité, et surtout, quelle compréhension de la part de certaines classes sociales, peu instruites ? La musique mainstream peut également avoir beaucoup à nous apprendre, comme en attestent certains projets pop des plus novateurs. En atteste par exemple, PC Music (que nous évoquions en août dernier) quant à Sophie et une de leur dernière sortie, sous le nom de QT (projet commun à Sophie, AG Cook & Hayden Dunham), qui via le clip d’« Hey QT » est allée au bout du terme « musique commerciale » en brouillant les frontières entre art, performance, publicité & placement de produit.

Même si ces constats sont à nuancer, ne sont pas exhaustifs et qu’ils n’ont pas pour but de cautionner un nivellement créatif partant du bas, ils permettent déjà d’avoir une vision plus ouverte de la culture, sous toutes ses formes et sous toutes ses acceptations. Toutes cultures seraient alors sur un pied d’égalité, et le plus important serait que chacun de nous trouve son compte dans une mouvance (évidemment non oppresseuse) qui l’épanouirait autant que faire ce peut. Pour conclure, après tout, pourquoi se focaliser sur une instance plus de forme que de fond, quand l’art est censé prédominer ? Essayons donc d’avoir ce que Montaigne dit ne pas avoir eu : le jugement flexible.

Vous détestez m'aimer, vous aimeriez me détester. Philosophe du dimanche (mais seulement du dimanche), on m'appellera bientôt le Claude Lantier du XXI° siècle. Sinon wallah moi ça va tranquille.

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