MUSIQUE

Rencontre avec Douchka – « J’essaie de ne pas trop m’imposer de règles pour éviter de tomber dans la redite »

Jeune producteur rennais, Thomas aka Douchka, a déjà un beau parcours qui l’a mené jusqu’à Tokyo, pour la Red Bull Music Academy, ou au Pitchfork festival à Paris en 2014. À l’occasion de la sortie de son nouvel EP Together, sorti le 11 mars chez Nowadays Records, il a accepté de répondre à nos questions.

Peux-tu nous parler de tes premiers pas en musique ?

Jusque mes 14 ans, j’écoutais globalement tout ce que mon grand frère me filait. Il faisait beaucoup de skate donc je suis passé par une phase rock garage, et un peu de heavy metal aussi. La bande originale du jeu vidéo Tony Hawk Pro Skater 2 est probablement la b.o. que j’ai le plus écouté de toute ma vie. J’ai aussi découvert le rap U.S. à travers un autre jeu : NBA Street Volume 2. C’est Just Blaze qui a composé la tracklist. C’est comme ça que j’ai découvert les classiques de Lords of the Underground, Pete Rock ou encore Nate Dogg. Je faisais du basket à l’époque et tous mes potes écoutaient du rap français, j’étais pas hyper fan, je m’y suis mis vraiment très tard, il y a trois ou quatre ans. Avec l’arrivée du téléchargement et notamment de myspace, je me suis mis à écouter de tout, aussi bien des trucs hyper mainstream que des groupes plus indé. Je pouvais passer de Elephunk de Black Eyed Peas à Life Styles de 4hero. Je me souviens que je prenais souvent des disques au hasard dans la médiathèque de ma ville à Douarnenez, elle était vraiment bien fournie pour une si petite ville. Ça m’a fait découvrir pas mal de trucs.

Comment es-tu passé à la musique électronique ?

Pour moi, c’est vraiment venu par le biais du djing. Quand la vague Ed Banger/Kitsuné/ Institubes est arrivée, j’ai pris une grosse claque comme beaucoup d’artistes de ma génération.  J’hallucine parfois en me rendant compte que Waters of Nazareth de Justice est sorti il y a dix ans. On était au lycée et on s’échangeait des mp3 rippés sur Audacity avec une qualité horrible dans les salles d’informatique. Dis comme ça, ça ressemble vraiment à la préhistoire. Après avec mes potes à l’internat, on regardait les reports vidéos des soirées clubs à Paris sur YouTube, ou des dj-sets complets filmés avec des appareils photo à I Love Techno. Il y avait vraiment une énergie de dingue, quasi rock n’roll propre à cette époque « turbine ». J’ai tout de suite adhéré.

Quand j’ai eu un peu d’argent de coté, je me suis acheté une platine cd d’occasion, une AXIS 4 de Numark, un truc vraiment affreux qui marchait une fois sur deux. Le frère d’un pote qui scratchait m’avait prêté une table de mixage toute aussi moisie, et j’enchaînai les tracks avec un baladeur cd de l’autre coté. Du coup j’avais développé des petits skills techniques pour pouvoir gérer plus ou moins correctement mes enchaînements. C’était vraiment du bricolage ! Ensuite j’ai commencé à jouer de plus en plus dans les clubs et les bars de nuit autour de chez moi. J’étais mineur et c’était quand même cool d’avoir cette chance-là. Après mon bac, grâce à mes études aux Beaux Arts de Rennes, j’ai rencontré de plus en plus de monde et j’ai fais mon premier festival en tant que DJ à Astropolis à Brest en 2010. La production, c’est arrivé vraiment petit à petit, et de manière beaucoup plus sérieuse, il y a environ deux ans.

© Laurene Berchoteau

© Laurene Berchoteau

Comment se déroule ton processus de création ?

Quand je suis seul en studio, je peine un peu à composer à partir de rien. Je ne peux pas me mettre derrière les machines en mode : “go, aujourd’hui je dois finir un morceau !“. J’ai vraiment besoin d’avoir une idée directrice, des images ou des mots clefs qui me permettent d’avancer. Ensuite, je compose toujours en premier lieu la base mélodique au piano. C’est la raison pour laquelle cet instrument est présent une fois sur deux dans mes morceaux car il est à la base de tout le processus. Je n’ai aucune formation musicale au sens classique, donc ça peut me prendre dix minutes comme deux heures. Une fois que le riff me plait, je compose le beat, la partie rythmique sur quatre ou huit mesures autour de la mélodie. Puis j’attaque le fameux drop, le refrain du morceau. C’est seulement après ça que viennent l’intro, les breaks et la structure globale du track.

Même si j’ai quelques automatismes, j’essaie de ne pas trop m’imposer de règles pour éviter de tomber dans la redite. Je tente souvent de nouvelles choses, même si ça ne donne rien alors que j’y ai passé trois heures. Aussi, quand j’entend chez un autre artiste quelque chose qui me plait vraiment d’un point de vue technique, je vais souvent essayer de le reproduire pour comprendre la mécanique du truc. C’est quand tu t’affranchis de l’aspect technique que tu commences vraiment à prendre des libertés en studio et que tu te lâches beaucoup plus, quitte à alléger les couches pour trouver exactement ce que tu cherches. C’est pour ça que j’ai une vraie admiration pour des artistes comme Hudson Mohawke, Mura Masa ou encore Ta-Ku. Ils savent faire sonner leurs morceaux de manière complexe alors qu’au final, il n’y a pas tant que ça d’élément. Après j’accorde aussi une importance capitale à la place de chaque chose, à la profondeur et au rendu sonore. J’ai beaucoup de respect pour les producteurs qui savent aussi mixer leur propre son de manière ultra efficace comme Phazz ou Awir Leon chez Nowadays par exemple. J’aimerai vraiment pouvoir m’améliorer encore sur ce point car c’est un aspect artistique qui compte tout autant que la création pure à mes yeux.

Peux-tu nous parler de ton travail avec Les Gordon sur Leska ?

Avec Marc de Les Gordon, on s’est rencontré il y a un an et demi. On s’est tout de suite retrouvé sur des influences communes assez ciblées. Le courant est immédiatement passé, autant musicalement que humainement ce qui est fondamental dans un duo. Au départ, il n’était pas du tout question de fonder un groupe ensemble. Marc est juste passé chez moi un après-midi pour écouter du son, et sans trop savoir comment, on s’est retrouvé à jammer dans mon studio sur une prod’ qui est devenu par la suite le morceau Olympia. Ce qui est drôle, c’est que cet aspect hyper spontané sur notre première collaboration est toujours d’actualité dans nos sessions en studio. On rebondi vraiment sur les idées de l’un et de l’autre et ça donne une sorte de ping-pong permanent. On travaille toujours ensemble, jamais séparément. C’est toujours un échange, un partage. Et c’est ce qu’on ressent de manière globale sur les tracks. Le son de Les Gordon et celui de Douchka se discernent, mais la fusion des deux donne une texture et un mood inédit. C’est également grâce à Marc que j’ai rencontré Ugo et Vincent chez Nowadays Records. C’est donc naturellement vers eux qu’on s’est tourné pour la suite. Gaétan Naël, programmateur de l’Antipode de Rennes joue également un rôle important dans le développement du projet en nous soutenant depuis le début en parallèle de nos carrières respectives en solo. Je ne peux hélas pas trop en dire plus sur ce qui va arriver, mais ça va être le résultat d’un gros travail autour d’une belle équipe constituée ces derniers mois. On est hyper impatient de dévoiler ça, même si pour l’heure, l’actualité tourne autour de nos projets respectifs. On a aussi très hâte de défendre le projet sur scène, c’est là qu’il prendra tout son sens. Il va juste falloir attendre quelques petits mois…

https://soundcloud.com/leska-music/olympia

Comment s’est passée l’aventure et quelle expérience as-tu tiré de la RBMA à Tokyo ?

Aujourd’hui encore, je pense qu’une grande partie des choses qui se passent pour moi n’aurait pas pu arriver sans ces deux semaines passées à Tokyo. J’y ai rencontré des gens formidables venus des quatre coins du globe. Certains sont devenus des amis. Je pense à Ekali notamment qui est venu dormir à Rennes lors de son passage en France pour sa tournée européenne. J’y ai également rencontré des légendes comme Marley Marl (fondateur du Juice Crew à N.Y.), Benjamin Wright Junior (arrangeur pour Michael Jackson, Aretha Franklin…) ou encore Dave Smith (créateur de la ligne de synthétiseur Prophet). Inutile de t’expliquer en détail que ce genre de privilèges, comme pouvoir poser dans un cadre intimiste toutes sortes de questions sur leurs parcours et l’impact que ça peut avoir sur toute une vie. Ça te retourne complètement. On était sur une autre planète. J’ai aussi passé des sessions assez irréelles en studio ou on restait des nuits entières à composer entre nous, avec les participants et les artistes invités.

C’est comme ça que tu te retrouves avec Just Blaze ou Kerri Chandler avec un verre de saké à quatre heure du matin pour parler de la meilleure manière de faire sonner un kick, ou au petit déjeuner avec Richie Hawtin qui te demande si tu as vu passer Nina Kravitz… Ça paraît surréaliste dit comme ça, mais sur le coup tout était très naturel et spontané. Rajoutes à tout ça le fait que tu es dans une ville hors norme à l’autre bout du monde, que tu évolues dans une structure sur mesure qui dispose de moyens quasi-illimités, le tout avec avec une équipe de passionnés qui se met en quatre juste pour toi. Je te caches pas que le retour à la réalité a été assez brutal. Mais un mois plus tard, je quittai les Beaux-Arts pour me consacrer exclusivement à la musique, sans aucune garantie que ça fonctionne. Il fallait que je tente le truc. Trois mois plus tard, je trouvai un label et un tourneur. Le truc c’est qu’après tout ça, je ne suis toujours pas fan du RedBull pour autant …

https://soundcloud.com/douchka/from-tokyo-with-love-red-bull-studio-megamix

J’ai lu que tu essayais de travailler au maximum le live. Sur quoi travailles-tu particulièrement ?

Développer un set live est vraiment quelque chose qui me tenait à coeur depuis un moment. C’était encore au stade “rodage” il y a six mois quand j’ai fais la première partie de Fakear à l’Olympia. Quand j’ai composé ce dernier maxi, Together, je me suis vraiment appliqué à sortir du registre club pour proposer quelque chose de résolument plus pop. Ca ne me dérange pas du tout d’employer ce terme. Je pense qu’on peut faire de la musique électronique en reprenant l’essence même des codes de la musique pop. C’est pour ça que les morceaux de ce dernier opus s’apparentent plus à des “chansons” sur le format qu’à des singles taillés sur mesure pour les DJs. Je respecte énormément cette pratique car j’en suis issu, mais je voulais vraiment tester autre chose, et aussi me mettre en danger. Les dj-sets j’adore ça, mais j’ai déjà fais pas mal le tour de la question. J’ai joué plusieurs fois devant une vingtaine de personnes en warm-up comme à deux heures du matin quand l’ambiance bat son plein dans de superbes spots.

Je connais l’exercice et même si je l’apprécie toujours autant mais j’ai besoin d’exprimer ma musique autrement. C’est en discutant avec des gens comme la Fine Équipe ou encore Fakear que j’ai pu comprendre que c’était le meilleur moyen pour moi de jouer ma propre musique sur scène, chose que je fais très rarement en dj-set. L’avantage avec le live, c’est que tu as aussi une réelle part d’improvisation, de feeling sur le moment où tu joues. C’est sur ce point que je travaille le plus car je ne suis pas musicien et j’ai encore un peu de mal à me lâcher complètement, même quand le public est vraiment dedans. Je continue donc dans cette voie, et toutes les dates qui arrivent pour la tournée de printemps seront uniquement des dates lives. Ça me pousse vraiment à vouloir développer le set de plus en plus, et à composer des morceaux uniquement pour le live.

You may also like

More in MUSIQUE