MUSIQUE

Rencontre avec Odezenne

Alix me disait hier au téléphone que le groupe ne pouvait pas vraiment avancer sans lui pendant les répétitions mais en dehors de ça, en création, comment le groupe travaille ? Les textes sont posés avant les sons ? Les compos sont travaillées ensemble ?

Ecoute sur ce nouveau disque on a vraiment beaucoup travaillé tous les trois, c’est-à-dire qu’on est constamment ensemble, on vit ensemble donc plutôt qu’un pôle écriture qui va amener ses idées et ses textes, un pôle musique qui va amener ses boucles, les choses, elles se créent un peu sur le moment, c’est-à-dire quand Mattia cherche des sons (ndlr : le compositeur du groupe), on lui dit si ça nous intéresse, on commence à travailler dessus et après on va poser un texte ou deux. Et puis des fois, on va commencer à travailler sur un texte, une thématique et Mattia nous dira si ça l’intéresse du coup il va trouver une rythmique à partir d’un flow : il n’y a pas vraiment de recette établie c’est surtout un travail de recherche et sans fausse humilité, c’est souvent de la chance et du hasard ; à force de chercher tu trouves des choses, mais c’est du travail aussi.

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Et plus précisément au niveau du travail de l’écriture, comment vous travaillez ? Vous balancez des phases en impro et vous les retravaillez ensuite ?

L’écriture on va la travailler. L’impro, ça nécessite beaucoup de travail autant que bien écrire nécessite beaucoup de travail aussi, c’est vraiment deux façons différentes de composer. Pour te donner un exemple tu peux être super fort en golf classique ou super fort en street golf et du moment où l’un ou l’autre va changer de discipline, c’est là qu’on se rend compte que c’est pas du tout la même chose (rires). Pour revenir à l’impro, hormis Mattia qui en musique va travailler ses sons et ça va être de la recherche et une fois qu’il a quelque chose qui tient debout, on commence à travailler dessus nous dans les textes – déjà on les travaille à deux avec Alix – et ça va être plutôt énormément de travail pour choisir le bon mot. Aujourd’hui en plus on a changé de façon de travailler, on veut réduire au maximum le nombre de mots pour moins prendre en otage les gens dans ce qu’on dit et pour qu’il y ait une compréhension un peu plus large donc les textes ne vont jamais vraiment être de l’impro, on va vraiment être sur du travail d’écriture, de la recherche.

Tout à l’heure tu évoquais le fait que vous travailliez sur des thèmes, est-ce que vous avez des sujets de prédilections sur lesquels vous revenez ?

Souvent l’Amour, la Mort, les grandes questions existentielles quoi mais nos thématiques, c’est plus une question de ressenti ; il y a des textes qui vont pas être très explicites sur ce dont on va parler mais qui vont plus être fondés sur le ressenti. Par exemple dans Rien, ça va pas être explicitement une rupture – tu me manques ou tu ne me manques pas ­– ça va être quelque chose qui va t’amener dans le ressenti de la thématique : on essaye de s’échapper de la précision chirurgicale d’une thématique. Quand on va parler de la rupture, on va pas dire « 16h30 le lundi tu m’as dit que tu m’aimais plus tu es partie… ». On était peut-être un peu plus précis avant, sur les précédents disques. Mais en même temps on pense que l’émotion qui en ressort est beaucoup plus précise ; le résultat touche peut-être plus de gens.

Et est-ce que vos clips participent à cette volonté de toucher un plus large public, est-ce que c’est une part importante de votre création ?

Premièrement, c’est une dimension de compréhension supplémentaire parce que c’est la façon dont le réalisateur va interpréter le morceau et après faut pas oublier qu’un clip c’est un outil formidable pour communiquer sur ta musique, et puis c’est un outil important, un autre support que des affiches etc. donc on essaye de le faire le plus sérieusement possible et on fait toujours appel aux mêmes équipes donc oui. C’est comme dans les thématiques et dans la façon dont on va les traiter en texte, si on parle de la rupture dans Rien, on est clairement pas dans un clip d’amour où il y a deux êtres qui sont en train de se déchirer, à aucun moment on a quelque chose de romantique, de sensuel… mais l’interprétation que Romain Winkler (ndlr : leur réalisateur de clip) a fait du morceau et de la rupture.

Quand on cherche Odezenne sur Google, on tombe assez vite sur le clip de votre morceau Je veux te baiser, mais est-elle vraiment représentative de ce que le groupe veut faire ?

On fait de la musique avant tout, on fait ce qu’on aime faire. Tu vois là on sort de quatre jour de résidence, on met en place le live du 10 mars qu’on va faire à l’Olympia et on se rend compte que c’est assez schizophrénique y’a pas vraiment de chansons qui se ressemblent, y’a pas de thématique qui se ressemblent… Je veux te baiser c’est à partir d’un texte que j’ai écrit à ma meuf, je le pose sur un sample, je le fait écouter aux gars, ça les inspire du coup Mattia compose une instru, ensuite on le fait écouter à notre réal’ il nous dit que c’est nickel et il en a une autre lecture avec de l’innocence au milieu d’une soirée débridée où tu as deux jeunes qui font rien, qui s’ennuient et d’autres qui se droguent, qui baisent, qui se lèchent et compagnie et à la fin ils s’embrassent sur la plage devant un putain de coucher de soleil. Pourtant la lecture elle est simple mais après tu peux interpréter comme tu veux les choses. Personnellement, j’aime beaucoup ce morceau, c’est pour ça qu’on l’a mis tout simplement, on recherche pas quoi que ce soit de toute façon dès qu’il est sorti il ne t’appartient plus le morceau, c’est les gens qui l’écoutent et qui en font ce qu’ils veulent, nous on fait juste ce qu’on veut et ce qu’on aime.

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Tu as évoqué l’Olympia, j’ai compris que vous vous autoproduisiez mais concrètement ça se passe comment ? C’est une volonté d’indépendance ?

Pour te dire la vérité il y a un soir où on était à Berlin pour commencer la production de ce troisième album et un soir on était entre nous, on parlait, on se demandait ce qu’on pourrait faire comme connerie – parce qu’on aime bien faire des conneries –  (rires) et on avait peut-être un peu trop bu et on s’était dit bah tiens on va faire l’Olympia et un peu comme un pari où tu donnes ta parole, tu t’organise. Et comme l’album sort en fin d’année – septembre-octobre – on va pas refaire une tournée avec les morceaux avec lesquels on a déjà fait une tournée, on s’est dit on va faire qu’une scène cette année là, on va faire l’Olympia et ce sera la fête, la grosse fête avec plein de gens qui je pense nous ont déjà vu ou nous connaissent déjà et il y a déjà beaucoup de monde qui devrait être au rendez-vous et ça va être un gros bordel (rires) ! Du coup on se le produit parce que bon, on a 30 ans passés, on a envie de le faire, on a toujours fait ce qu’on a eu envie de faire, on peut se permettre de le faire aujourd’hui, on pourra peut-être pas se permettre de le faire l’année prochaine parce qu’on sait pas ce que la vie nous réserve donc autant qu’on le fasse et je pense que ça va être un moment épique. En fait je pense pas j’en suis sûr, je sais pas pourquoi mais on le sent très bien.

A la suite du festival des Solidays, certains médias vous ont donné une réputation de « hors-cadre », c’est une étiquette qu’on vous a collé de façon un peu gratuite ?

La réalité c’est que quand on fait une tournée on fait plein de festivals, plein de scènes et tout ça avec un petit camion, on fait dix heures de route ou alors on prend le bus parce que se déplacer demande de gros moyens qu’on a pas, on est sappé comme la veille, on parle comme on parle, on boit comme on boit, on s’amuse, on est entre nous et quelque part ça déstabilise un peu tout ce milieu où souvent t’es un artiste donc tu es forcément derrière une image, derrière quelque chose, nous on est en indépendance donc l’image on s’en fout un peu, l’essentiel c’est de faire un bon concert, l’essentiel c’est de se donner à fond quand tu fais un disque, un clip, surtout de rester soi-même alors peut-être que ce qui fait qu’on est un peu « sales gosses » c’est qu’on reste nous-même. Et c’est pas pour faire de la démagogie mais si tu veux venir manger à la maison un soir tu verras qu’on est pareil que quand on est en backstage d’un concert – on continue de prendre le bus et le tram hein. Donc on est vraiment pas derrière cette conception du spectacle où il faudrait mettre des costumes, on vient sur scène comme on arrive et advienne que pourra.

Toujours dans cette dynamique d’indépendance, vous organisiez des concerts à la demande il y a deux ans, tu peux nous expliquer un peu le concept ?

A l’époque on nous annonce une tournée il y avait je sais pas, une quinzaine de dates – peut-être un peu moins – et donc on l’annonce sur Facebook à nos fans : on sera là à telle date, et là à une autre. Et là on commence à recevoir plein de messages de gens qui disent « et pourquoi pas Toulouse », « et pourquoi pas Lilles » donc on se dit qu’on peut pas vraiment aller dans chaque ville braquer les programmateurs avec un calibre pour avoir un concert (rires) – déjà on nous prend assez pour des dingos – donc on a dit à nos fans « vous voulez qu’on vienne dans votre ville, eh bien on va mettre des événements dans chaque ville que vous demandez et à vous d’inviter des gens, à vous de dire que vous voulez participer, à vous de faire marcher ces événements et on verra si ça motive les programmateurs de votre ville » et à partir de là – on a fait ça un dimanche soir –  et en deux heures y’avait 30000 participants, la mayonnaise a pris, t’as des programmateurs qui ont joué le jeu. Donc il y a eu une vingtaine de concerts grâce à ça et d’autres concerts qu’on avait pas programmé dans les Odezenne à la demande mais les gens se sont dit bah vas-y on va les programmer aussi. Et c’est complètement stupéfiant parce qu’en fait des gens sur un événement facebook, qui invite sa liste d’amis ça coûte zéro francs zéro centimes mais est-ce que les gens vont venir pour autant ? Et on a eu l’heureuse surprise de voir que les gens remplissaient les soirées presque à chaque fois et c’était une émotion de fou dans la salle parce que tu te retrouves avec des gens qui ont envie que tu viennes jouer chez eux et donc tu vis des moments assez dingues.

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Photo : Fanny Genty (vieterrible.com)

Est-ce que l’Olympia s’inscrit dans la même dynamique par rapport à votre public ?

A l’époque où on l’a programmé c’était l’Olympia le moins cher pour notre public. Et quand tu fais une scène dans l’année, que les gens vont venir de partout, ça va aussi être un truc de dingue et j’suis pas en train de le vendre, j’en suis sûr, je le répète – je le répète peut-être beaucoup trop – (rires) mais bon quand t’offres à 27 balles à tes fans la possibilité de venir te voir dans une salle mythique, on s’est dit faisons-le et on verra bien : au début on croyait qu’il y aurait 300 personnes qui viendraient mais comme à chaque fois on se rend compte que les gens répondent présent et à chaque fois on est assez bluffé que les gens nous suivent. Nous on est à Bordeaux, on a l’impression de faire notre petite musique dans notre coin, de faire comme on peut et derrière t’as tout ce public qui nous suit, qui vient, qui nous donne beaucoup d’amour et on leur donne en retour parce que si on est des sales gosses on est pas des connards non plus. Les gens suivent le mouvement et ça se passe bien : c’est un super cadeau.

J’ai cru comprendre que le groupe adorait Salut c’est Cool et qu’ils allaient faire un after-show à l’Olympia, vous entretenez quoi comme relation ? Est-ce que vous avez déjà composé avec eux ou est-ce que c’est prévu ?

Non on a jamais vraiment composé avec eux. Après c’est pareil au niveau de la musique on est sur deux disciplines différentes, ils font très bien ce qu’ils font, nous on fait à peu près bien ce qu’on fait, c’est pas dans l’ordre du jour de faire quelque chose. Notre rencontre s’est faite sur le web – et je te parle d’une époque où les gens ne les connaissaient pas, fin 2012 – on trouvait ce qu’il faisait assez pertinent au niveau de l’écriture, au niveau des sons et tout ça : on a fait une scène à Bordeaux où ils étaient venus et ça s’était super bien passé, on avait bien sympathisé. Pour l’Olympia, vu qu’ils faisaient une musique vraiment énervé, on s’est dit qu’on allait les mettre en aftershow surtout qu’on a trouvé un groupe, Robbing Millions, qui fera notre première partie. Si tu veux soit tu mets une première partie pour combler et c’est hyper dur pour le groupe qui vient, des fois tu les connais même pas ; soit t’aimes bien des choses ou des groupes et tu leur propose de jouer, et là c’est beaucoup plus sympa.

Et si jamais l’Olympia marche vraiment bien, que vous vous faites vraiment plaisir, lancer une tournée dans la foulée est envisageable pour le reste de l’année ou pas du tout ?

Non, on va sortir l’album en fin d’année et on partira en tournée en 2016, mais pour l’instant c’est le disque. Ça prend du temps de se mettre dans une bulle pour bosser ton disque, de partir quatre jour pour bosser et en revenir complètement éclaté, il te faut une semaine pour te remettre donc non, on va attendre 2016, vraiment. Et pour une belle tournée j’espère.

Nous y serons.

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