LITTÉRATURE

Attila Jozsef, le mendiant de la Beauté

En ce mois d’avril nous faisons honneur à un poète hongrois du XXème siècle, Attila József. D’un parcours peu commun et bref, cet écorché a laissé derrière lui une œuvre d’une justesse rare, mêlant amour de vivre et instinct de mort mais aussi et surtout, l’expression d’un caractère rebelle qui jusqu’à la toute fin, ne s’incline pas.

Attila Joszef par Achim Schollenberger.

Attila József par Achim Schollenberger.

 

« Deviens ce que tu es  »
Cet enseignement de Nietzsche ne pourrait convenir mieux à un autre qu’à Attila József, né le 11 avril 1905. Fils d’une famille pauvre, il fut confié dès trois ans par la ligue de protection de l’enfance, aux bons soins de fermiers d’Öcsöd, après que son père ait déserté l’unité familiale, laissant sa mère savonnière sans le sou. Malmené, l’enfant connaît là-bas une vie dure, faite de labeurs, de privations et de maltraitances. Ayant pour simples habits des loques et couvert d’ecchymoses, il doit très tôt apprendre à composer avec l’autorité de ses tuteurs qui épouvantés par son prénom Attila, décident de le débaptiser, préférant l’appeler Istvan, soit en français, Étienne. Mais alors qu’Istvan entre en troisième, il découvre dans un livre l’histoire du sanglant guerrier auquel il doit son prénom, Attila, le roi des Huns qui vécut en 400 après JC. De ce conquérant, réputé pour avoir mené de redoutables armées nomades de cavaliers archers, une phrase est restée, évocatrice : « Là où Attila passe, l’herbe ne repoussera pas ». Le choix d’un tel prénom était donc amené à marquer l’identité d’Attila Joszef. Notons que dans les pays scandinaves, le dernier roi des Huns apparaît tour à tour comme un être effroyable mais aussi comme le fondateur de la Hongrie et de la Germanie. Dans son autobiographie intitulée Curriculum Vitoe, Attila József écrira : « La découverte de légendes sur Attila, eut je crois, une influence décisive sur mon avenir. […] C’est sans doute cet épisode qui allait me conduire à la littérature et faire de moi un être pensant, un homme qui écoute les opinions des autres, un homme qui consent à se laisser appeler « Pista » (diminutif populaire d’Istvan), jusqu’au jour où son opinion personnelle s’avère : à savoir qu’il s’appelle bien Attila. »1.

Attila József, l’artisan de sa réussite

Ce regain identitaire accompli, Attila fugue pour retrouver sa mère mais celle-ci doit le laisser à nouveau, puisqu’elle meurt peu de temps après, et c’est adolescent qu’il trouve finalement refuge chez le mari de sa grande sœur Jólan. Cet avocat lui permet d’aller au lycée et l’enjoint à continuer des études qui le passionne. Jozsef poursuit donc en université et découvre les poètes hongrois comme Endre Ady, mais aussi ceux allemands, expressionnistes. Au cours de ces années d’apprentissage, il découvre de même l’œuvre de François Villon, l’enfant terrible de la langue française qui devient alors pour lui un modèle.  Pétri par ces horizons neufs, il désire un instant devenir professeur mais à la même époque, sa plume commence à sévir, notamment avec la publication du poème Le Christ Révolté (Lázadó Krisztos) mettant en scène un cadavre impuissant pour toute figure de sauveur, tout comme Le Cœur Pur (Tiszta Szivvel) où le narrateur, envahi par un terrible élan vital ne trouve nul dieu à la mesure de ce feu primordial et invoque par plaisir du verbe, un possible recourt au Diable : « Je volerai, l’âme pure / Et tuerai, je vous assure ». Commençant à être publié dans des journaux, Attila fut dénoncé à la critique officielle, puisqu’à cette époque les Lettres hongroises étaient soumises à la censure, et il comparut pour blasphème devant un tribunal, échappant de peu à une condamnation.

Le plus franc rempart contre sa réussite résida néanmoins en la personne d’Antal Horger, professeur d’Université, qui lui annonça officiellement après cette affaire retentissante  : « A un homme qui écrit de telles choses nous ne pouvons pas confier l’éducation des générations futures ! ». Réplique heureuse à cette déclaration, le poète écrira treize ans plus tard « Diplôme ou pas de licencié / J’enseignerai au peuple entier / Tous les degrés / Sans votre gré… »2. Et bien qu’il ne sera en effet jamais professeur, Attila laissera tout de même à sa manière une marque profonde dans le paysage littéraire hongrois, parvenant à accomplir sa destiné malgré les obstacles. Comme Goethe disait : « On peut aussi bâtir quelque chose de beau avec les pierres qui entravent le chemin »3.

Le poète populaire

D’une curiosité inextinguible, Attila József s’est intéressé très tôt aux différents ressorts supportant la vie communautaire, à savoir la religion, la politique et la psychanalyse, véritable outil de compréhension du Moi alors en plein essor au XXème siècle. Essayant de trouver sa place dans le monde, il s’aida des travaux de Freud pour tenter de saisir les pulsions humaines, comme cela ressort très largement dans ses poèmes mais inscrivit de même son œuvre dans une veine d’engagements divers. Le plus fort est celui de la quête de la vérité, puisque pour Attila Jószef, le poète a pour but ultime « de trouver une forme à des réalités contradictoires » 4, le poème devient en ce sens la représentation d’un infini-limité où se condense l’essence des choses, impossible à saisir pleinement dans le monde commun. A cet engagement esthétique se conjugue celui de sa couleur politique, puisque deux ans après avoir publié son premier recueil  Le Mendiant de la Beauté, le poète se place en oriflamme du socialisme démocrate en rédigeant le poème Tömeg (La Foule), qui sera repris en hymne par les forces ouvrières. Le contexte politique aggravant les inégalités, il s’engagea  finalement dans le communisme clandestin avant de quitter ce mouvement qui le déçoit et qui l’évince de ses rangs pour crime d’idéalisme5. Côtoyant de manière assidue les milieux populaires et les artistes de toutes origines, il devient néanmoins porte parole d’un peuple sans frontière, celui des pauvres, rêveurs et amoureux de la beauté. Ses voix préférées sont celles des paysans et des laborieux qui éprouvent la vie, ses injustices mais continuent de percevoir en toute chose un éclat particulier. Aux mots simples employés se mêlent la rigueur des formes littéraires que le poète maîtrise parfaitement, qu’il s’agisse de la strophe grecque, de l’hexamètre latin, de l’iambe ou bien encore du trochée finnois vu le mois précédant avec le Kalevala. En résulte une poésie riche en assonances et musicale avec les intonations fortes du hongrois, que le français ne saurait transcrire tout à fait. Peut-être est-ce pour cela qu’Attila József demeure aujourd’hui encore peu connu en France, bien qu’il s’y soit illustré en son temps et qu’il ait été traduit de nombreuses fois.

Désenchanté par la vie, le poète hongrois confesse dans un ultime poème de 1937, intitulé Tu sais qu’il n’y a pas de pardon , qu’il « n’a trouvé que des gosses perdus dans la psychanalyse » et annonce clairement son suicide au travers d’une image Rimbaldienne, celle du dormeur du Val qui dans sa version « doit serrer une arme chargée » sur un « cœur vide ». Il sera retrouvé sur des rails de chemin de fer un jour avant l’anniversaire de sa mère, marquant peut-être là, une manière d’avorter l’orphelin qu’il n’a jamais cessé d’être.

Voici l’un de ses poèmes, paru en 1924 et traduit en français par Francis Combes.

Ce n’est pas moi qui crie

Ce n’est pas moi qui crie, c’est la terre qui gronde,

Gare, gare, Satan est devenu fou,

Va te réfugier au fond des sources pures,

Blottis toi contre la vitre,

Cache toi derrière l’éclat des diamants,

Parmi les pierres, au milieu des insectes,

ô, cache toi dans le pain qui sort du four,

Mon pauvre, O mon pauvre,

Avec la fraîche averse infiltre toi dans la terre –

En vain tu te plonge en toi-même

Tu ne peux laver ton visage que dans l’autre

Rejoins la fine nervure de l’herbe

Et tu seras plus grand que l’axe du monde.

O machines, oiseaux, feuillages, étoiles !

Notre mère stérile implore d’enfanter,

Mon ami, mon cher, mon tendre ami,

Que ce soit terrible ou magnifique,

Ce n’est pas moi qui crie, c’est la terre qui gronde.


1. Aimez-moi, L’oeuvre poétique, éd. Phébus (2005). Présentation d’Attila József par Jean Rousselot, p.27

2. Ibid, p.31
3. Citation attribuée de manière apocryphe (l’auteur l’aurait dite mais il n’en existe pas de trace écrite).

4. Le Miroir de l’autre, choix trad et présentation par Gabor Kardos, éd.Orphée, n°197, 1997.

5.  Anne-Marie Lilti, Armand Robin, Le Poète indésirable, éditions Aden, septembre 2008, p. 230.

Maître ès lettres. Passionnée par la littérature et les arts | m.roux@mazemag.fr

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