CINÉMA

Dix pour cent, l’autodérision à la française

Nous sommes en 2006, deux collègues de l’agence artistique Artmedia à Paris nourrissent ensemble l’idée d’une série sur le métier d’agent artistique, une série dont l’ambition serait de dévoiler l’envers du décor. L’idée ici n’est pas de découvrir qui est derrière la caméra, mais plutôt, qui est derrière l’acteur. Les deux agents à l’origine du concept sont Dominique Besnehard – qui quittera l’agence la même année – et Michel Feller.

Lorsque l’idée se concrétise pour devenir un projet, c’est la chaîne Canal+ qui se propose à la diffusion et Nicolas Mercier, rendu célèbre par sa série « Clara Sheller » qui se chargera d’en écrire le scénario. Le projet aura pour nom : 10 avenue George V en référence à l’adresse même de l’agence Artmedia. Seulement voilà, la chaîne cryptée préfère diffuser une série à l’aspect plus cruel et sardonique que ce que Besnehard et Feller avaient imaginé « dramédie ». Le désaccord ne peut trouver d’issue car chacun semble défendre ardemment son idée jusqu’à faire obstacle à toute négociation. Le projet est alors abandonné. Pendant près de cinq ans, 10 avenue George V reste un scénario inexploité et inexploitable qui trouve sa place dans la réserve des studios Canal+. C’est en 2011 que la chaîne France 2 s’avoue charmée par le concept et décide de le prendre en main. L’équipe ne change qu’à moitié : Dominique Besnehard devient producteur attitré, Nicolas Mercier reprend sa place à l’écriture et c’est Cédric Klapish qui vient réaliser deux épisodes et se voit attribuer le rôle de directeur artistique. 10 avenue George V devient Dix pour cent en référence au pourcentage du salaire d’un acteur que touche son agent. Le 14 octobre 2015, le premier épisode de la série est diffusé sur France 2. Sous les yeux de 4 800 000 téléspectateurs s’impose le fruit d’une coopération nouvelle qui voit renaître de ses cendres un projet resté longtemps inanimé.

Le principe est simple : tout tourne autour de l’agence ASK à Paris. Quatre agents et leurs assistants se démènent pour faire vivre l’établissement. Autour d’eux les grandes stars du cinéma français se succèdent au fil de l’histoire et c’est entre cruel réalisme et subtile dérision que se situe l’atmosphère des épisodes. En effet, si la série entretient un réalisme à toute épreuve avec certains aspects de la vie des stars (puisqu’il est mentionné la chirurgie esthétique, la drogue, etc.), elle n’en est pas moins une série à tendances caricaturales, à la limite même d’une vulgarisation qui s’assume, elle, à cent pour cent. Néanmoins, au lieu de tomber dans la lourdeur d’un format à sketches revu et ressassé, Dix pour cent mise sur une subtilité qui fait se côtoyer la comédie et le drame, relayant les rôles principaux de la série non pas aux stars mais bien à leurs agents. Ces agents, ce sont eux qui mettent en avant la réelle profondeur de chaque personnage, et autour de qui la trame de la série tourne réellement.

© France 2

© France 2

Les stars ne sont que de passage et leur rôle est d’apporter ce brin d’autodérision qui témoigne du modernisme de la série. Ne pas s’y méprendre : en effet, si le terme d’autodérision ne relève pas vraiment du modernisme, elle s’associait jusqu’ici à un procédé sans doute plus commun aux traditions anglo-saxonnes ; on peut donc se permettre de parler d’un certain progrès et d’un modernisme propre à la télévision française. Il fallait y penser, car cette audace et cette prouesse humoristique qu’est l’autodérision est sans doute l’un des meilleurs moyens pour faire d’un acteur le symbole d’une grandeur d’esprit et d’une certaine candeur que le public attend de lui. En effet, quoi de mieux qu’un acteur qui sait se jouer lui-même et se jouer de lui-même ? Un acteur qui sait se montrer sincère c’est quelqu’un qui ne sous-estime pas son public. Dans Dix pour cent, la grande sincérité du jeu (et du « je ») s’ajoute à la capacité de Cédric Klapish à cerner chaque trait de caractère des acteurs et à témoigner au possible de chaque détail qui vient parfaire un réalisme pourtant discret. « Cédric Klapish est un grand observateur, c’est l’humain qui l’interpelle et l’intéresse passionnément » explique Cécile de France dans une interview pour allociné. Rappelons que Cécile de France a longtemps travaillé avec Klapish notamment dans la trilogie Auberge espagnole, Poupées russes et Casse-tête chinois.
Ce souci du détail et cet amour de l’humain, propre au réalisateur, se font spécifiquement ressentir dans Dix pour cent. Il y incite les acteurs à créer cette constante similitude avec leur propre caractère, à ne plus se cacher derrière un rôle ; Klapish les invite à se mettre à nu, à montrer que les vrais acteurs sont aussi et surtout ceux qui savent se jouer eux mêmes.
Ce principe rappelle incontestablement le film de Maïwen : Le bal des actrices sorti en 2007 qui lui-même rend hommage au film Les acteurs de Bertrand Blier. Dans ce « faux » documentaire, Maïwen interprète son propre rôle de réalisatrice dont le but est de suivre et de filmer les actrices dans leur quotidien. En décrivant son film, elle explique avoir voulu « mettre à nu les actrices » tout en associant à chacune un caractère qui ne les définit pas vraiment, les faire donc jouer sur leur propre image. Ainsi Maïwen fait vivre une réelle ambigüité entre le vrai et le faux, une illusion dont la complexité se doit d’être entretenue par les actrices.

©SND

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A travers cet art naissant qu’est le jeu de soi dans le cinéma Français, c’est un nouveau genre qui s’impose au devant de la scène, un genre qui assume le cynisme de son réalisme, son humour décalé et son autodérision.

Dix pour cent, c’est un défi relevé haut la main, c’est l’explosion d’un nouveau genre qui mêle la nostalgie d’un cinéma traditionnel et le renouveau d’une réelle sincérité. Dix pour cent représente la genèse de l’autodérision de son art et pourquoi pas l’aboutissement d’un certain snobisme à la française qu’est le refus de jouer son propre rôle. Dix pour cent c’est ce parfois cruel et parfois tendre réalisme qui relève de l’amour qu’entretient Klapish pour l’humain. C’est aussi l’amour de Klapish pour Paris. Un réalisateur qui dans sa direction artistique fait concorder la beauté de ce bazar organisé qu’est la ville lumière avec l’esprit subtilement entremêlé qu’est l’atmosphère de la série. Dix pour cent c’est ce Paris où tout n’est pas qu’ordre et beauté, luxe calme et volupté.

Lycéen grenoblois; Dans la pratique la musique depuis tout petit mais voue aussi une réelle passion au septième art. Pour me joindre : nicolas.cury@orange.fr

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