CINÉMAFestival de Cannes

Inépuisable jeunesse – American Honey d’Andrea Arnold

Il est certains films qui nous font suffisamment plaisir pour qu’on ferme les yeux sur tous leurs défauts, avec American Honey on s’est laissé emporter dans une traversée des États-Unis pleine de fougue et de folie. Après une arrivée enthousiaste de l’équipe du film, qui a monté les marches en dansant sur une musique du rappeur E-40, ceux pour qui l’illusion a fonctionné ont pu s’évader le temps du film.

American Honey deviendra peut-être le nouvel Into the Wild pour notre génération au vu de la manière dont il exalte l’un des fantasmes symboliques de toute jeunesse en perdition : s’évader. La séquence d’ouverture du film nous fait découvrir Star, une fille de dix-huit ans, en train de fouiller dans des bennes à ordures avec deux enfants dans le but de trouver de quoi manger. La situation compliquée dans laquelle vit la jeune fille nous aide à mieux comprendre sa volonté de s’échapper, de tout laisser derrière elle. Son échappatoire, c’est Jake (interprété par Shia LaBeouf) et la troupe de vendeurs de magazines déjantés avec laquelle il voyage d’une ville à l’autre des États-Unis.

Liberté chérie 

Tôt le matin, Star s’enfuit par la fenêtre, dépose les deux enfants auprès de leur mère pour les protéger du père ivrogne avant de rejoindre Jake et le reste du convoi pour s’engager dans l’aventure. Ce groupe d’une dizaine de jeunes est une invention assez inouïe de la part d’Andrea Arnold. Le groupe est composé de jeunes de tous les horizons (on y retrouve d’ailleurs Arlette Holmes, que l’on avait eu la joie de découvrir dans Mad Love in New York des frères Safdie) et semble être une sorte de mutation contemporaine des hippies des années 1960. Cela dit, la grosse différence avec les hippies c’est que le groupe d’American Honey est mené par une chef, Krystal (interprétée par Riley Keough), qui est plus autoritaire que bon nombre de chefs d’entreprise et pour qui le mot d’ordre c’est de gagner un maximum d’argent. En ce sens, la bande à Krystal porte en elle un réel paradoxe : malgré la folie, l’alcool et la drogue qui mouvementent leur voyage (en bref, l’apparente “liberté”) ils sont tous soumis à la logique capitaliste du profit. Cette obligation de gagner un maximum d’argent défendue par Krystal tient chacun des vendeurs grâce à deux menaces : celle d’être laissé sur le bord de route et celle de devoir se battre avec l’autre vendeur qui aura fait le moins de profit durant ce qu’ils appellent la “loser night”.

Mais la force d’American Honey c’est de ne jamais condamner ni Star, ni Jake, Krystal et le reste du groupe, de les laisser vivre malgré tous les dysfonctionnements de leur mode de vie. La facilité aurait été d’exalter un bonheur éphémère tout au long de ce road-movie avant de lui porter un coup final pour rappeler au spectateur que l’on ne peut pas vivre d’une telle façon (c’est à cette structure qu’obéit Into the Wild en insistant lourdement sur la manière dont le personnage principal a fini). Andrea Arnold refuse d’étouffer son film et les plaisirs qu’il contient au nom du moralisme : American Honey se donne comme une dépense d’énergie pure, sans fin et sans but.

La forme épouse le fond

Pour ce film, Andrea Arnold choisit de combiner un format en 4:3 avec une caméra constamment en mouvement. Ce choix de format peut sembler quelque peu inattendu pour un road-movie au cours duquel un format plus large aurait pu servir à capturer les différents paysages dans toute leur splendeur. Mais refermer le cadre semble répondre à deux exigences qui dépassent de loin l’occasion ratée des paysages. D’abord, celle de se rapprocher des personnages qui sont la seule chose qui importe (même lorsque la van est en route, on filme de l’intérieur les individus et leurs discussions plutôt que d’insister sur le mouvement du véhicule et du groupe). La seconde hypothèse que l’on peut faire, c’est qu’Andrea Arnold se sert de ce cadrage très serré pour que ce soit la forme même du film qui vienne restreindre l’apparente liberté que le film cherche à exalter : la soumission des corps à des bords de cadre tranchants rejoint la pression mise en place par la nécessité du profit. En outre, le film parvient à utiliser ce cadre serré à merveille avec le conjuguant avec une caméra à l’épaule parfaitement maîtrisée qui donne un réel dynamisme au film. On peut souligner notamment la réussite des scènes de sexe face auxquelles la caméra opère de nombreux recadrages sans jamais couper, de manière à nous faire partager la frénésie de l’instant.

En plus de tout ça, le film propose une bande-originale digne de nos soirées les plus enflammées avec la crème du rap américain (Juicy J, Rae Sremmurd ou encore E-40), et, sur un autre registre, la chanson qui a donné son nom au film : American Honey de Lady Antebellum. On peut aussi tirer nos chapeaux aux différents acteurs que le film nous donne à découvrir avec plusieurs premiers rôles (dont Sasha Lane, ex-serveuse, qui est simplement incroyable).

En bref, certains diront qu’American Honey est un film sans intérêt, trop long pour ce qu’il a à raconter… mais pour ceux qui, comme Star, avaient grand besoin d’échapper à leur quotidien, ce film est une libération.

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