CINÉMA

Horreur au pays des soviets Exemplaire

Parler de cinéma d’horreur soviétique c’est parler d’un fantôme. Genre cinématographique banni par le Parti, licence capitaliste impropre à vivre sous les cieux des patries communistes, l’horreur hante pourtant encore les studios soviétiques. Là où la perfection prétendue et le sacré règnent et se nourrissent d’un autre honni et rejeté dans l’inconnu, le frisson et la peur trouvent toujours à se nicher.

Rouge sang

Au pays des manteaux gris, des bottes de cuir et des étoiles rouges, le cinéma d’horreur avance masqué. Il prend pour prétexte l’adaptation littéraire avec Erchov et Kropatchiov dans Viy et son prêtre forcé de rester enfermé trois nuits avec une sorcière. Il se cache derrière l’anthropologie de comptoir de L’Esprit de Ambouy de Boris Buniev et sa chasse à l’ours au fin fond de la Sibérie et enfin s’absout, dans La tête du professeur Dowell de Leonid Menakier, par la dénonciation d’un capitalisme et sa science amorale, commerciale et déshumanisante ne réussissant ni plus ni moins à ressusciter. Et pourtant, quand bien même ces films trouvent toujours à se justifier rationnellement par la méchante corporation créatrice de zombies du Jour de colère de Sulambek Mamilov, ou les esprits de La chasse du roi Stakh de Valérie Rubinchik, en fait mannequins déguisés, la véritable raison de ces films se dévoile rapidement. Alors la peur tombe le masque et le frisson s’installe dans tous les pores de la pellicule et des images les plus anodines…

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La chasse du roi Stakh – Belarusfilm

Contenue, l’horreur se fait opportuniste. Elle s’instille dans la claustrophobie des grands espaces russes et géorgiens, desquels surgissent les esprits de Viy, La chasse sauvage du roi Stakh ou encore Jour de colère. Elle émane de la peau trop blanche des femmes et des yeux trop noirs d’une jeune noble ou d’une harpie. Elle surgit chez l’autre, zombifié, ressuscité, incompréhensible et dont un grillage nous sépare. Elle attend enfin son acmé dans l’enfermement avec le mal qu’il soit ours ou sorcière. Alors il n’y a plus d’issue, le mal et l’étrangeté sont là impossibles à éviter et pourtant toujours aussi imbitables.

La frayeur est intérieure, compressée dans le carcan des studios soviétiques, repoussée dans les tréfonds des citoyens de la trop parfaite Union Soviétique. Il n’y a aucune raison d’avoir peur et pourtant derrière les frontières et au sein même de l’Union se cache un mal invisible et intenable. Et comme un volume subissant une différence de pression, la carcasse se déforme, se tord sans jamais pouvoir vraiment crier. Parfois elle explose et c’est alors une unique goutte de sang qui roule sur la joue de la sorcière de Viy ou le front de l’étudiant ukrainien de La chasse sauvage du roi Stakh.

Le cinéma d’horreur est un genre intérieur

C’est souvent kitsch, c’est carton-pâte, les costumes prêtent à rire. Ça ne mérite ni l’éloge ni l’extase, ça ne semble pas arriver à la cheville de ce qu’alors faisaient un Cronenberg ou Argento et on n’a ni la chair de poule, ni les chocottes, juste un léger frisson. On ne balise pas, on éprouve une tension palpable, latente et constante. Or, pas besoin de cris suraigus de terreur pour que ces films nous en disent beaucoup sur le comment et surtout le pourquoi de la peur au cinéma.

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Jour de colère – Gorki Film Studio

La peur, le Mal ce n’est pas une explosion d’hémoglobine, pas un ras-de-marée rouge sang, ni même un méchant trop laid pour faire autre chose que poursuivre de pauvres innocents vêtus de banc. La peur qui n’est pas que spasme de surprise est intérieure et contenue. Elle est une peur de l’autre et d’un monde extérieur retenu dans l’inconnu par l’Union Soviétique, elle est ce que nos désirs de perfections et de pureté refoulent, elle est le resurgissement d’un fantôme, le miroir sombre de nos désirs de vivre dans un monde parfait sans crimes ni problèmes si ce n’est celui de ne pas en avoir.

Alors, et peut être surtout aujourd’hui, l’horreur c’est moins les tortures d’un Saw ou les poursuites d’un slasher (sous-genre horrifique impliquant un psychopathe chassant ses proies) qu’être enfermé avec nous même, notre angoisse et un monde qui ne veut que notre bien. Cet ours revêche, cette séduisante sorcière qui se trouve en nous, c’est là la source de nos angoisses, pas l’extérieur, et pas l’autre qui pourtant nous terrorise. Et le montrer, cet ours, cette sorcière, sur les écrans soviétiques c’était déjà commencer à les rendre à leur monde de rêves et de fantasmes, c’était déjà commencer, sans le savoir, à les combattre.

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