CINÉMA

Spartacus & Cassandra – La vie en pellicule

A – comme Amour, C – comme Cirque, I – comme Indépendant et D – comme Don : ce sont les mots qu’attribue Ioanis Nuguet, lors d’une interview, aux initiales de l’Association du Cinéma Indépendant dans sa Diffusion (ACID) qui soutient son film documentaire, Spartacus et Cassandra. En quatre mots, il mêle déjà sa vie, son film et un discours engagé : ils sont à l’image de ce projet allant au-delà du documentaire.

Spartacus et Cassandra, avant d’être l’histoire fraternelle et familiale de deux enfants roms, c’est d’abord une œuvre qui trouva ses prémices dans la vie de Camille, qui décida un jour de créer un chapiteau pour accueillir des familles expulsées de bidonvilles dans la région parisienne. Les échasses chaussées sous les toiles tendues colorées, elle proposait un lieu de rencontre, un espace de jeu et de rires, fondée sur le principe de l’éducation populaire : apprendre autrement que dans le système scolaire. Dans les parages rôdait « le filmeur des terrains » : Ioanis Nuguet. Il commença à vivre avec Camille et une famille dont elle s’occupait particulièrement. Cette famille où les enfants devenaient « les parents de leurs propres parents », le réalisateur souhaitait l’immortaliser en pixels et en pellicule. Par je ne sais quel miracle, la famille a réussi à faire abstraction de sa présence – il leur interdisait les regards caméra. A la fois spectateur et acteur de son documentaire, l’existence de la caméra entre son œil et la famille le fit disparaître pour environ 150 heures de tournage, au fil de la vie.

En équilibre sur une slackline – corde plate tendue entre deux arbre – symbole de sa vie qui ne tient qu’à un fil mais dont on ne sait rien à l’instant du prologue, Spartacus nous conte une rétrospective de sa vie jusqu’à la rencontre de Camille, à l’âge de neuf ans. Il vit avec sa sœur dans une caravane et sont en attente d’une famille d’accueil pour laquelle les parents expriment un profond désaccord. Pour lui, l’école est une redoutable épreuve. Pour elle, les appels de sa mère deviennent invivables. Nous suivons leur quotidien, de la peur des contrôles de police aux rendez-vous chez un juge, des disputes avec leur père à leurs moments de bonheur : l’ensemble est capté avec une multiplication des points de vue d’une finesse inouïe et un rendu visuel rare. Le documentaire n’est pas une succession de séquences filmées à l’épaule, inscrit dans les stéréotypes du genre ; non, l’opérateur qu’il est nous fait part de ses coups de génie lors de la scène d’une baignade au lac en accrochant sa caméra au-dessus de Cassandra sur une corde, nous proposant ainsi de se balancer avec elle, dans un rythme d’une grande maîtrise. « La démarche est essentiellement documentaire, tout a été pris sur le vif ». Les lumières à peine rallumées, Ioanis Nuguet nous affirme cela avec simplicité. Soudain, nous voilà plus bas que notre siège tellement il est difficile de croire ses mots.

Vivre et filmer se confondent dans sa démarche documentaire : la représentation de la réalité en devient paradoxale, à la fois très fidèle et stylisée. Spartacus et Cassandra n’est pas ce genre de reportage où les visages sont cramés et sans relief. Non, nous retrouvons des teintes feutrées, semblables à celles des rendus de pellicule 35 mm. Les chaleurs du rouge, les profondeurs du bleu et les éclats du jaune nous émoustillent les pupilles. L’œuvre est naturelle : lorsque le soleil scintille dans le coin de l’écran, il le fait avec douceur, lorsque les gros plans nous font découvrir l’épiderme ou les regards de ces enfants, leurs âmes sont aussi intactes que le grain de leur peau.

Spartacus et Cassandra est un élancement entre le passé et l’avenir de la vie engagée d’un réalisateur, d’un auteur et surtout d’un homme, dont l’œil épouse le temps et le mouvement d’autres vies sans pour autant les regarder droit dans les yeux.

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