ART

Body Worlds Vital : L’exposition choc du docteur Von Hagens

Jusqu’au 8 novembre 2015, au sein de l’hôpital historique du site Oud Sint Jan à Bruges, une exposition des plus déroutantes prend ses quartiers. Dernière en date de la fameuse série Korperwelten (Body Worlds en anglais) de l’anatomiste Gunther Von Hagens, Body Worlds Vital et ses corps plastinés intriguent, émerveillent et font polémique.

Le concept

Exposer des corps et organes humains, des vrais, parfaitement conservés, pour servir un but scientifique et partager avec le grand public, tel est l’objectif de Body Worlds. Pour ce faire, le Dr Von Hagens utilise la technique de plastination des corps (qu’il a mise au point en 1977), qui consiste à remplacer les fluides corporels par du silicone et de la résine epoxy, avant de « fixer » le corps pour toujours à travers différents procédés chimiques. A priori, l’entreprise peut paraître morbide, effrayante, voire carrément répugnante… Et pourtant, les expositions Body Worlds ont déjà attiré plus de 40 millions de visiteurs à travers le monde depuis leur création.

Body Worlds Vital se divise en plusieurs salles, chacune consacrée à un domaine anatomique. Passée une légère appréhension à l’entrée, on est aussitôt happé par ce qui s’offre à nos yeux. La lumière est tamisée, l’ambiance feutrée et silencieuse ; les visiteurs baissent la voix, presque recueillis face à ces plastinats un peu impressionnants. On perçoit alors toute la dimension spirituelle de l’expo, dont son créateur souhaite qu’elle soit un lieu de « contemplation philosophique » et « d’illumination ». A moins de faire des études de médecine, les possibilités pour le public d’admirer l’anatomie humaine de manière aussi précise sont assez réduites… L’exposition s’axe d’ailleurs clairement sur la santé, adoptant un point de vue pédagogique et questionnant notre rapport au corps et à sa physicalité à travers des mises en scène marquantes, souvent poétiques et non dénuées d’humour.

Entre sciences, art et business

Gunther Von Hagens / Source : news.artnet.com

Gunther Von Hagens / Source : news.artnet.com

Dans diverses interviews, Von Hagens se défend souvent d’être un artiste et revendique un statut « d’artisan anatomique »*. Il est cependant impossible de ne pas voir une dimension artistique à Body Worlds, d’autant plus au vu de la série photographique clairement provocatrice clôturant l’expo et mettant en scène l’étrange médecin parmi ses squelettes et plastinats. Rien d’étonnant à cela, si l’on considère que depuis toujours, art et anatomie sont très étroitement liés (le travail de grands artistes tel que Léonard de Vinci en sont des exemples probants).

En dépit de la fascination manifeste qu’elle exerce, Body Worlds soulève également toute une série de questions éthiques. Si tous les corps présentés proviennent de dons de personnes alertes et informées (qui se sont portées volontaires pour le programme et ont par ailleurs validé l’état final et la position de leurs plastinats), on ne peut oublier le côté sensationnaliste et l’aspect commercial indéniable de ces expositions et du procédé de plastination, certes brillant mais également lucratif. La paternité du brevet et des expositions rapportent notamment des milliards à Von Hagens et à ses collaborateurs, ce que leurs détracteurs ne manquent jamais de souligner. Le fait que les plastinats soient de « vraies personnes » (alors que l’anatomie pourrait être présentée au public à travers des modèles créés artificiellement) reste l’objet de tabou et de polémique face à des questions de respect, d’identité ou de dignité, et ce malgré les affirmations philanthropiques du Dr. Von Hagens. Pour le moment, aucun institut français ne s’est d’ailleurs risqué à accueillir son travail.

Malgré les débats inévitables qu’elle suscite, Body Worlds Vital reste néanmoins une exposition dont on ressort marqué, émerveillé face à notre propre anatomie et aux secrets intérieurs de la formidable machine humaine.

Tennisman (© bodyworlds.be)

Tennisman (© bodyworlds.be)

*cf. interview menée par Libération en mars 2004

 

Etudiante en cinéma à la Sorbonne Nouvelle, passionnée d'art et de culture, et aimant en parler.

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