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L’art de l’absurde

Imaginez-vous le 29 avril 1968. Il est 20h30 et le journal vient de se terminer. En lieu et place de l’habituel film de la soirée, 2 minutes 30 d’absurdités télévisuelle vont être diffusées.

Les Français vont, ce jour là, découvrir sur la première chaîne de L’ORTF l’absurde univers Shadoks, de méchants volatiles vivant sur une planète a forme changeante et leurs gentils voisins de la planète Gibi qu’ils martyrisent avec un certain succès. Une ambition commune : aller vivre sur terre où les choses semblent mieux se passer. Un point commun : un taux d’échec de 100 % dans ce projet.

La réaction est immédiate : une moitié des téléspectateurs s’offusque et hurle au scandale, l’autre regarde avec bienveillance. Au point que la chaîne pu programmer une émission, Les français écrivent au Shadoks où Jean Yanne lit les lettres adressées à l’ORTF. L’artisan de cette révolution télévisuelle ? Jacques Rouxel, un jeune employé du service R&D de l’ORTF, qui tente de répondre à la question qu’on lui a soumis : les Français veulent de la télévision, que leur montrer ? Alors oui, on peut penser que Les Shadoks, ce n’est pas vraiment le nirvana de l’audiovisuel. A côté de Game of Thrones, The Walking Dead et autres Vikings, c’est même un peu léger.

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Mais les Shadoks, ce n’est pas juste une bande de piafs complètement stupides et pas très bien dessinés. On peut penser qu’ils sont un reflet de la société des années 1960 : “La plus grave maladie du cerveau, c’est de réfléchir”. Ne peut-on voir ici une certaine critique de la société paternaliste et conservatrice qui a entraîné mai 68 ? Il en va de même avec leur occupation favorite : pomper. On rapproche cela de l’industrialisation et de la nature répétitive des tâches. N’oublions pas les politiques ! Une devise semble leur être dédiée : “S’il n’y a pas de solution, c’est qu’il n’y a pas de problème”. Cependant, Rouxel n’est pas toujours critique de la société humaine. Lorsqu’il fait dire à ses personnages : “Ce n’est qu’en essayant continuellement, que l’on finit par réussir. Ou, en d’autres termes : plus ça rate, plus on a de chance que ça marche…”  Ne rend-il pas hommage à la persévérance dont l’homme sait faire preuve ?  Le réalisateur ne donnera cependant jamais son avis sur ces interprétations, il se contentera seulement de dire que “Les Shadoks, c’est l’image de notre civilisation oscillant entre son matérialisme dévorant et son perpétuel rêve de poésie et de beauté”.

Révolutionnaire pour l’époque, tant dans son contenu que dans sa technique, cette série n’a à ce jour pas d’équivalent. L'”esprit” Canal+ a un temps pu s’en rapprocher, mais les récents événements lui ont fait effectuer un retour en arrière.

Lili Fantozzi “Périlleusement vôtre” taille 41 © Lili fantozzi

L’exposition du musée des arts modestes de Sète a pour ambition, en plus de faire perdurer la réflexion que voulait provoquer Rouxel, de nous montrer l’arrière plan artistique de cette émission. En effet, on retrouve de nombreux artistes, tant dans leur pensée que dans leur image : Miro ou Klee sont une inspiration indiscutable de la forme et de la composition des personnages et du monde qui les entoure. Une composition qui utilise de nombreuses formes géométriques simples et des couleurs vives : la ressemblance est frappante. Il faut quand même relativiser, le domaine artistique des Shadoks est à l’exact opposé des grands maîtres. Une émission équivalente aujourd’hui serait crée par des street artistes ou des auteurs de fanart. C’est là toute l’origine de la polémique : mettre à l’écran un contenu jugé vulgaire et sans valeur par la majorité, quand bien même ses auteurs sont talentueux et dans notre cas, avant-gardistes.

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L’actualité de ces dernières semaines nous l’a rappelé, l’absurde n’est pas un objectif à atteindre mais un moyen de réflexion. Pourtant, cela ne semble pas faire l’unanimité. Il est cependant nécessaire de se rappeler que ce n’est pas l’intelligence qui crée la réflexion, au contraire, c’est de la réflexion que provient l’intelligence.

affiche shadoks

SHADOKS ! Ga Bu Zo Miam, du 18 juin au 6 novembre, MIAM de Sète. (www.miam.org/actu1.htm)

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