ART

Le monde de l’art rencontre celui de la guerre

Nous sommes en 1914 et la Première Guerre mondiale éclate. Les soldats quittent leurs familles pour rejoindre les tranchées en très grand nombre. Parmi eux, des artistes sont également envoyés au front. Deux mondes qui se rencontrent, et qui ne semblent pas avoir de points communs. Et pourtant…

… de cette rencontre improbable naîtra l’invention du camouflage.

Déjà utilisé au temps de nos ancêtres lointains, cette technique permettant de se dissimuler a connu une importante évolution lors de la Première Guerre mondiale. Le camouflage fut alors beaucoup utilisé par l’armée française. Tout d’abord par l’uniforme avec la fabrication du modèle “bleu horizon”, plus discret que les pantalons rouges d’antan. Le camouflage est ensuite utilisé comme une arme pour se protéger face aux attaques de l’ennemi. Nous devons son invention aux deux peintres français Lucien Victor Guirand de Scévola et Louis Guingot qui ont eu l’idée de dissimuler leurs canons derrière des toiles peintes aux couleurs de la nature. Ces toiles seront ensuite adoptées par les artilleurs qui se confondent ainsi avec le paysage alentour, un déguisement qui donnera naissance à la première veste léopard imaginée par Louis Guingot.

Les artistes au service de l’armée française.

En 1914, le camouflage n’est pas encore reconnu par le Ministère de la Guerre. Cela n’empêche pas un groupe d’artistes de tout horizon de se regrouper afin de mettre leurs divers talents au service de l’armée française. Une cohabitation qui se révélera souvent difficile, à cause des divergences d’idées, mais tout de même payante. Entouré de ces artistes, qu’ils soient peintres, décorateurs de théâtre ou cubistes, le peintre Lucien Victor Guirand de Scévola persévère et continue ses expériences entre octobre et décembre 1914. Louis Guingot envoi du matériel fabriqué dans son atelier pour le besoin de ces expérimentations. Ainsi des objets factices sont fabriqués, tels que des arbres et de l’herbe, et les canons sont directement peints afin de se fondre complètement dans le paysage alentour. Guirand de Scévola arrive finalement à attirer l’attention de ses supérieurs sur ces expériences, et ce dernier, convaincu, apportera la cause au président de la République de l’époque Raymond Poincaré.

En 1915, le Ministère de la Guerre délivre l’acte de création de la première équipe de camouflage regroupée autour de Guirand de Scévola et composée d’artistes d’influences diverses, mobilisés ou pas. Parmi eux, nous retrouvons des experts du trompe-l’œil au théâtre comme Renain et Lavignac, des sculpteurs tels que Landowski et Louis de Monard, ou encore des peintres et illustrateurs à l’exemple de Camoin et Joseph Pinchon. Cette équipe comptera aussi un mime, un écrivain et un comédien… Un atelier est alors installé à Amiens, et la section camouflage est officiellement créée. Les besoins sur le front sont tellement importants que des ateliers s’ouvrent à Paris, et d’autres, qui fournissent d’habitude les théâtres et les salles de spectacles, sont également mobilisés. D’ailleurs, pour la petite histoire, ces artistes camoufleurs étaient différenciés par un caméléon dessiné par Guirand de Scévola et brodé sur leur brassard blanc et rouge d’état-major. Ils tentent de cohabiter ensemble et de mettre en place le fruit de leurs travaux, entre installations de leurres avec des mannequins et camouflage de routes, de ponts et même de villages entiers.

Louis Marcoussis, La bouteille de Whisky et le paquet de Scaferlati, Sotheby's, New York.

Louis Marcoussis, La bouteille de Whisky et le paquet de Scaferlati, Sotheby’s, New York.

La place du cubisme dans la section camouflage.

Engagés par l’intermédiaire du peintre Dunoyer de Segonzac, les artistes cubistes tiennent rapidement une position centrale dans ce projet militaire. En effet, leurs capacités à briser la forme des objets et à les dénaturer est précieuse. Parmi ces artistes, nous pouvons retrouver Dufresne, Herbin, Marcoussis et Boussingault. La peinture à motifs irréguliers directement inspirés du cubisme est appliquée sur les camions, le matériel ferroviaire, les pièces d’artillerie et même sur les avions. Malgré un succès sans équivoque, ce melting pot d’artistes regroupé sous la section camouflage vivra seulement le temps de la Première Guerre mondiale et disparaîtra avec celle-ci.

Amoureuse de photographie, curieuse, passionnée par l'infinité du monde de l'art et aussi très intriguée par la complexité du monde politique.

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