ART

Expo du mois : Amedeo Modigliani, l’œil intérieur

Ce mois-ci se clôture au LAM (le musée d’art moderne de la métropole Lilloise) une rétrospective riche de plus d’une centaine d’œuvres de Modigliani et de ses contemporains, couvrant l’ensemble du travail de l’artiste italien. L’occasion pour nous de revenir sur la vie haute en couleurs de ce peintre qu’on dit maudit et qui continue à susciter largement l’enthousiasme et la fascination chez le public.

Modigliani : les débuts

Amedeo Modigliani nait à Livourne, en Italie, en 1884. Enfant alerte mais régulièrement mis à mal par une santé vacillante (il sera atteint toute sa vie par la tuberculose qui finira par l’emporter prématurément), il se nourrit des enseignements culturels et littéraires que lui prodigue sa famille, et se plonge dès son plus jeune âge dans une passion sans bornes pour la peinture. Cette passion le pousse à poursuivre ses premières formations artistiques à Livourne puis à Florence, avant de quitter l’Italie pour Paris, en 1906.

Il trouve refuge à Montmartre, où il côtoie d’autres artistes qui y vivent une vie de bohème, et rencontre le médecin Paul Alexandre, qui devient son ami et mécène. A Paris, Modigliani arpente sans relâche le Louvre et le musée du Trocadéro où il entraîne ses amis dans sa fascination pour  les arts antiques -grecs et égyptiens notamment-, pour l’Orient et l’art khmère, pour l’art tribal africain. Aux côtés de Brancusi, il se lance dans la sculpture et rêve de grands projets taillés dans la pierre, jusqu’à ce que la guerre et sa santé fragile (les poussières dégagées par les pierres taillées étant incompatibles avec ses problèmes pulmonaires) ne le poussent à abandonner ce médium en 1914 au profit de la peinture.

Modigliani, Leopold Zborowski à la canne, huile sur toile, 1917

Modigliani, Leopold Zborowski à la canne, huile sur toile, 1917

Une vie tumultueuse 

De la peinture de Modigliani ressort un aspect central de sa personnalité d’artiste : une recherche perpétuelle, parfois douloureuse, d’un style qui lui est propre, et une forme de radicalité dans l’approche de son art. Cette personnalité hors normes se manifeste dans le comportement quotidien de Modigliani, un homme ombrageux et paradoxal qui navigue perpétuellement entre un monde bourgeois dont il est lui-même issu et un mode de vie précaire nourri par la création. C’est un personnage aux humeurs changeantes, connu pour ses excès, notamment l’alcool et la drogue, dont on soupçonne qu’ils étaient peut-être un stratagème pour pallier les symptômes de la tuberculose.

S’il est entouré d’un cercle d’amis bienveillants à son égard, ses relations avec les femmes sont souvent orageuses et passionnelles : Modigliani a connu nombre de maîtresses et d’amours, dont les poétesses Anna Akhmatova et Beatrice Hastings. Il finit par épouser Jeanne Hébuterne, étudiante en art et modèle, union que la famille de la jeune femme désapprouve absolument. L’histoire qui lie les deux amants est d’autant plus tragique que celle-ci se suicidera le lendemain de la mort de Modigliani en 1920 (il n’avait que 35 ans), alors qu’elle était enceinte de leur second enfant.

Cette vie à la fois ordinaire et ponctuée d’extrêmes est ce qui contribue à la légende de Modigliani, artiste « maudit » qui, à l’image de Van Gogh, a connu l’apogée de sa gloire à titre posthume.

Modigliani, Jeanne Hébuterne, 1919

Modigliani, Jeanne Hébuterne, huile sur toile, 1919

Un style unique

La passion de Modigliani pour les arts antiques et ses recherches sculpturales posent déjà les bases de son style pictural. Les influences de Modigliani transparaissent à travers ses figures sculptées très stylisées, construites en jeux de symétrie autour de formes épurées. Sur les visages se dessinent de légers sourires, comparables à ceux des Bouddhas ; de la sculpture de Modigliani se dégage une humanité touchante qui présage l’aura de ses tableaux futurs.

Modigliani a une prédilection pour le portrait, qui concentre toute la tension et la sensibilité de son art. Il peint à un rythme effréné, faisant poser son entourage : ses amis et mécènes (Paul Guillaume, Roger Dutillieul à qui le LAM doit d’ailleurs sa collection) les artistes et poètes qu’il côtoie (Chaïm Soutine, Léopold Zborowski ou encore Jean Cocteau) ou ses amours. Cette galerie de portraits identifie les pairs de Modigliani, et se fait finalement le marqueur de l’effervescence artistique d’une époque.

Modigliani explore également le nu, notamment à travers une série célèbre composée d’une trentaine de tableaux et dont la sensualité choque les mœurs de l’époque. Lors de l’exposition organisée par la marchande d’art Berthe Weil en 1917, ces corps alanguis, offerts dans toute leur vérité, font scandale. Par la suite, lors de séjours dans le sud de la France, Modigliani expérimente également le paysage, mais le portrait reste au centre de sa pratique et c’est à travers lui qu’il poursuit ses recherches stylistiques. Ses modèles sont, de plus en plus, des anonymes : des « jeunes filles », des « garçons » qualifiés uniquement par leur couleur de cheveux ou par leur vêtement.

Modigliani, Nu couché les bras derrière la tête, 1917

Modigliani, Nu couché les bras derrière la tête, huile sur toile, 1917

On retrouve les premières influences de Modigliani dans ces visages ovales et asymétriques, ces nez délicatement reliés aux sourcils, ces yeux en amande, ces cous allongés, ces demi-sourires. Le peintre joue sur la sculpturalité des corps et de la matière, sur les associations de couleurs vibrantes. Le travail des yeux se fait de plus en plus distinctif pour devenir un élément caractéristique de la peinture de Modigliani. Il peint d’abord ses modèles avec une pupille pleine, une autre vide (pour « d’un œil, observer le monde extérieur, de l’autre regarder au fond de soi-même ») puis finit par remplir les deux yeux d’aplats de couleurs unis : des regards sans regard, saisissants, tournés vers l’intérieur comme vers un au-delà.

Modigliani, Jeune fille aux yeux bleus, huile sur toile, 1918

Modigliani, Jeune fille aux yeux bleus, huile sur toile, 1918

Près d’un siècle après sa mort, le personnage de Modigliani, riche de toutes ses contradictions, fascine toujours. Celui qui admirait Cézanne ou Picasso, dont il se sentait dans l’ombre, est parvenu à façonner à partir de ses influences multiples un style unique, immédiatement reconnaissable, qui continue à émouvoir le grand public. C’est ce que démontre amplement le beau succès de cette rétrospective.

Etudiante en cinéma à la Sorbonne Nouvelle, passionnée d'art et de culture, et aimant en parler.

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