ART

Design biologique : l’innovante Neri Oxman

Le design du futur sera plus naturel… et surtout plus scientifique, c’est ce qu’on peut conclure des œuvres de Neri Oxman, architecte, designer et professeur associé de l’art numérique et des sciences au Massachusetts Institute of Technology. Cette israélienne de quarante ans met au point des créations audacieuses mêlant design informatique et organique, fabrication numérique, et biologie.

Non contente d’une révolution de formes en corrélation avec les technologies de modélisation et d’impression 3D, elle se base sur une approche théorique qui fait radicalement basculer le design dans le champ scientifique. Dans son optique il ne s’agit plus simplement de travailler en s’inspirant de la nature, mais avec la nature voir à la place de la nature. Ce qu’elle assume entièrement d’ailleurs. Lorsqu’on commence à concevoir avec de la matière vivante telle que des bactéries comment ne pas se l’imaginer ? C’est ainsi que dans son laboratoire de recherche en design au MIT, on rencontre des stocks de chitine sous forme de carapaces de crevettes, des vers à soie qui travaillent avec des imprimantes 3D, des cultures de bactéries sous formes de bio-vêtements et bien d’autres. Sous leurs dehors de science-fiction, ces créations méritent qu’on s’y intéresse pour leur fondement purement expérimental tout autant que pour l’univers entre création futuriste et science dans lequel évoluent la designer et sa nouvelle pratique du design.

Neri Oxman 2013 Kathryn M. O’Neill , Spectrum, MIT.

Neri Oxman, copyright 2013, Kathryn M. O’Neill , Spectrum, MIT.

« Quitter l’ère de la machine pour une ère de symbiose »

Il n’y a pas que la forme qui est organique chez Neri Oxman. L’axe majeur de son travail est théorique : imaginer une nouvelle manière de concevoir. Les logiciels permettent d’appréhender plus facilement la grande complexité du vivant et de la matière, et donc de repenser totalement l’intrication des matériaux, avec de nouvelles finalités écologiques. Elle s’intéresse tout particulièrement à l’idée d’un processus de fabrication inspiré de la nature : la croissance.  Dépasser l’assemblage simple d’éléments qui donne un objet (ou un bâtiment, car elle relie aussi la micro à la macro échelle), pour arriver à une forme de développement synergique de l’élément souhaité. Elle affirme ainsi vouloir « quitter l’ère des machines, pour une ère de symbiose » dans son Ted Talks d’octobre 2015. Ce qui est notamment permis par les nouveaux logiciels de plus en plus accessibles et qui donnent un pouvoir nouveau à la designer.

Modèle Mushtari. Image: Paula Aguilera and Jonathan Williams.

Modèle Mushtari. Image : Paula Aguilera et Jonathan Williams.

Modèle Mushtari

Modèle Mushtari avec fluide luminescent. Image : Paula Aguilera et Jonathan Williams.

 

Ecologie 2.0

Une des pistes qu’elle explore se traduit par la génération de formes inédites permettant une mise en œuvre de matériaux inédits. Ainsi la collection Wanderers, an Astrobiological Exploration propose des vêtements réceptacles de bactéries censés répondre aux besoins en eau, oxygène et autres nutriments, d’un homme en voyage spatial. Ces équipements pour explorer le cosmos ont été réalisés grâce à l’entreprise d’impression 3D multi-matériaux Stratasys, après avoir été générés en collaboration avec Christophe Bader et Dominique Kolb, des as de la génération informatique de structures organiques. Les vêtements possèdent une structure capillaire qui permet d’y infuser des micro-organismes de synthèse pour pallier à nos besoins vitaux en environnement spatial. Entre autre, ils produiraient du sucre à partir de la lumière (modèle Mushtari pour Jupiter) généreraient et stockeraient de l’oxygène (modèle Qamar pour la lune)  transformeraient les hydrocarbones en matière comestible (modèle Zuhal pour Saturne) etc. On imagine la grande variété de possibilités offertes par de tels accessoires, qui sont aussi l’objet d’une recherche esthétique. Certes c’est un projet digne d’une mission de science-fiction, mais il est intéressant de voir à quel point la designer n’a pas peur de repenser complètement notre lien à la matière notamment pour fusionner matière inerte et vivante. Si ce type de projet tend à se développer de plus en plus dans le design en général, elle va plus loin en mettant en jeu la matière vivante dans son processus : sur d’autres projets, réellement mis en œuvre, elle travaille avec de la chitine de crevette, ou bien imagine une structure imprimée en 3D qui permet ensuite à des vers à soie d’en tisser l’enveloppe – la soie qui a la propriété d’être une fibre naturelle extrêmement résistante.

Pavillon de soie

Pavillon de soie.

Vers un nouveau design scientifique ?

Les ambitions de la designer la font s’emparer de connaissances scientifiques, et travailler à partir de matières nouvelles. Il s’opère un glissement, du design d’un objet, à la création scientifique, de l’agence, au laboratoire. Et le statut de ces créations hybrides interroge. Est-il envisageable que ce champ de connaissances donnant une certaine maîtrise du vivant (manipulations génétiques, manipulations de bactéries, emploi d’animaux pour produire de nouvelles matières) soit librement approprié par le champ du design ? Parce que Neri Oxman reste une designer, qui design des objets, qu’il s’agisse de matière vivante ou d’impression 3D, qu’il s’agisse d’une chaise ou d’une tenue de spationaute. D’autant plus, ses collections vont sûrement continuer à nous faire rêver en repensant notre lien à la nature de manière aussi subtile.

Pour un coup d’œil sur les créations de Neri Oxman : http://materialecology.com/neri-oxman

Pour son inspirant Ted Talks : http://www.ted.com/speakers/neri_oxman

 

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