ART

Réflexion sur les images

Ce mois-ci, la rédaction art de Maze s’est intéressée à un thème large et plein de subjectivité : la perception. Subjectivité est dans ce contexte bel et bien le maître mot de ce dossier, puisque le regard porté à une œuvre peut tromper, peut revêtir diverses significations relatives à notre propre construit. Nous ne voyons pas la même chose dans le monde, comme nous ne pouvons observer des phénomènes similaires en art. Notre sensibilité fait la richesse de ce thème lui aussi exploré de manière partiale.

Ici, nous allons nous concentrer sur les images, leur évolution et y réfléchir. Retour sur une conversation en deux temps avec Myriam Bernet.

Commençons cette réflexion par un constat. Nous sommes, à l’ère du numérique, sans cesse submergés par maintes photographies, à tel point que pour certains l’image a pu se banaliser. Face à cela, plusieurs questions se sont naturellement posées. Comment dans un monde débordé par les clichés, peut-on arriver à discerner une réelle prise de vue ? Ou une prise de position ? Ou simplement un travail acharné et un certain talent pour capter un moment ?

Actuellement envahis par les images comme par l’information, nous ne prenons plus le temps de nous arrêter et nous consommons ce mode d’expression sans vraiment y porter attention. Combien de photographies défilent sous nos yeux en une journée ? Les réseaux sociaux sont les piliers de cette époque où art et image revêtent un tout autre sens. Instagram, Eye Em, les exemples ne manquent pas, et les réseaux de partage d’images affluent. Pourtant, prend-on réellement le temps d’observer un des clichés déniché sur le fil proposé ? À vrai dire, le temps d’observation se compte à peine en secondes, puis un like ou un passage vif et le tout est terminé. L’image est digérée sans même avoir été dégustée. Au moins, sur Snapchat le concept est identifié dès le début, la photo se doit d’être éphémère et c’est plutôt le contraire qui attire. Essayer de conserver l’instantané qui tente de se dérober.

Ces réseaux renvoient de fil en aiguille au numérique. Avec celui-ci, le photographe amateur ne prend même plus le temps d’essayer de prélever un instant précis, mais prend en rafale un paysage en espérant obtenir l’instantané à conserver. Pourtant, regardera-t-il vraiment un jour ce qu’il a pris ? La photo reste-t-elle le même vecteur de souvenirs qu’auparavant ? A-t-elle la même importance ou s’est-elle simplement banalisée, jusqu’à ce que l’on en oublie le travail et la réflexion qu’il peut y avoir derrière ?

Chris Marker, extrait de La Jetée, 1962

Chris Marker, extrait de La Jetée, 1962

Si la photographie est de plus en plus ancrée dans le quotidien, elle continue d’être une discipline aux possibilités multiples qui n’a rien d’anodine. En témoigne le nombre croissant de personne la choisissant comme domaine d’étude. Le numérique loin de ne faire que desservir l’art de l’image, lui a aussi offert l’accessibilité à un plus large public. Ainsi, si nous ne pouvons tous être photographes, de plus en plus de personnes peuvent prétendre à l’être en devenir.  Si l’immatériel facilite son accès, le passage à un mode de capture plus physique s’avère pour autant nécessaire. Le rapport d’aujourd’hui au cliché diffère avec le rapport d’antan.

La vague obsessionnelle du vintage pourrait illustrer ce principe. Pourquoi la pellicule a-t-elle tant fait débat ? Pourquoi le vinyle est-il revenu en force ? Pourquoi le papier n’a-t-il pas encore disparu ? Pourquoi argentique et polaroid continuent d’attirer ? Simplement parce que le rapport physique à l’art est peut-être le passage obligé de certains aficionados qui ont besoin d’un contact matériel avec leur support de prédilection. Le travail, la technique et la perception n’est pas la même lorsque l’on sait les essais limités. L’excitation est autant due à l’envie irrépressible d’apercevoir le résultat dans le premier bac, qu’à la peur d’avoir loupé la série captée. L’argentique est peut-être plus exigeant, même si la photographie nécessite toujours autant de travail avec les années qui défilent.

Le photographe est toujours confronté aux mêmes problématiques, même si la technique a évolué : percevoir le moment à capturer, comme a réussi à le faire avec succès un artiste de talent, le fameux Henri Cartier-Bresson. Pour autant, revenir les mains vides d’une journée passée à photographier n’est pas synonyme d’échec et de manque d’implication. Il faut réussir à intercepter l’interstice dans lequel le sujet et la démarche souhaités sont représentés.  La vision du travail présenté après tirage et publication sera encore soumise à interprétation. Qu’a vu l’auteur de l’œuvre, qu’en retient le public ?

Henri Cartier-Bresson, Armenia USSR, 1972

Henri Cartier-Bresson, Armenia USSR, 1972

Cependant, le travail du photographe ne peut se résumer en un instant T. La recherche comme les demandes de financement occupent aussi du temps. Et le métier n’est pas des plus aisés. Certains sujets peuvent attaquer à la moelle avant de présenter un quelconque résultat. Pensons au photographe de guerre, aux risques pris, à l’objectif derrière… Myriam évoqua notamment Joao Silva passé à Visa pour l’image en 2013. Après avoir sauté sur une mine en Afghanistan en 2010, son dernier réflexe fut d’accaparer grâce à son objectif ses derniers instants conscients avant de s’évanouir.

Festivals et expositions sont alors des moyens de prendre conscience de ces dimensions comme de rencontrer les auteurs des images qui font nos quotidiens. Ces moments permettent aussi à l’œil de faire réellement attention à ce qu’il peut percevoir. Dans ces lieux, l’humain prend plus le temps de chercher à comprendre le sujet. Le format revêt dès lors toute son importance, une fois de plus le rapport dépend du support. Que sait-on de l’œuvre sur internet, de sa taille et de son rendu réel ? Ce n’est qu’une fois face à celle-ci qu’elle reprend toute sa dimension, inscrite dans un espace et dans une temporalité.

Avant de s'évanouir, Joao Silva en Afghanistan pour The New York Times, 2010

Avant de s’évanouir, Joao Silva en Afghanistan pour The New York Times, 2010

Un élément reste à évoquer. La modification et l’interprétation pouvant être faite de l’image. Si sa vision est subjective, l’artiste derrière le cliché peut l’avoir sciemment modifiée, ou y avoir adossé un commentaire particulier afin d’en faire sortir un effet spécifique. Pensons au célèbre Chris Marker et à sa lettre de Sibérie datant de 1957. Une même série d’image, dont un bus parcourant les rues de Iakoutsk, des ouvriers et le passage d’un homme, est réinterprétée de manière successive par la voix off. Face à ceci, le spectateur observe le pouvoir des images, et leur force. Le photomontage, comme la retouche sont aussi à citer, et biaisent encore une fois la perception du public ne se doutant pas nécessairement du changement en amont.

Les images ouvrent un monde complexe auquel on ne sait plus quelle attention porter, d’un côté banalisé, de l’autre déifié. Pour autant, divers aspects et diverses pistes sont à déchiffrer pour entrevoir l’avenir possible des rapports entretenus avec ces reflets porteurs de vérité ou au contraire décalés et déformés. Comment va évoluer ce rapport aux clichés ? L’humain conservera-t-il sa place dans le processus de capture d’images ? En quelques paragraphes les réponses ne peuvent-être apportées et les questions se font plus nombreuses. Une réflexion en amène inlassablement une autre, et cela toujours selon la manière dont elle est perçue.

En amour avec la diversité artistique, immergée dans les images et les sonorités, en quête d'une fameuse culture hybride, à la croisée des idées. Sur la route et sur les rails, entre la France et les festivals.

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