ART

Vision, la recherche en art au Palais de Tokyo

Le monde de l’art, comme toutes les disciplines est en constante évolution. Le statut des artistes, des institutions et des organismes privés du monde de l’art sont aujourd’hui encore remis en question. Une des causes de cette remise en question est peut-être due à notre époque. A l’heure du tout numérique, où l’on a la possibilité technique de réaliser des photos de qualité à moindre coût, diffusibles immédiatement sur les réseaux sociaux et visibles par des milliers de personnes instantanément. Où tout le monde a la capacité de réaliser un film avec seulement un smartphone comme le tout récent Tangerine de Sean Baker, exploité en salle de cinéma, sans avoir nécessité du matériel de tournage professionnel coûteux.

Si aujourd’hui créer des images est devenu si aisé, même si cela demande quelques connaissances techniques, on est loin du besoin d’il y a encore quelques décennies d’avoir une connaissance spécifique et technique très poussée pour faire de belles images. Les capacités d’un artiste ne se résument pas à la technique bien sûr, mais elle fait partie du bagage de chaque artiste. Alors quelles sont les nouvelles dimensions de l’artiste qui émergeront dans les années à venir ? Aucune réponse bien sûr ne sera donnée ici, néanmoins certains changements du monde de l’art sont intéressants à relever dans ce contexte. Depuis quelques années s’affirment dans les écoles d’art une nouvelle manière de penser la pratique artistique. Un statut qui tend à rapprocher l’enseignement des écoles d’art à des disciplines plus scientifiques propres aux universités. De très nombreuses écoles d’art hébergent en leur sein ce qu’on pourrait qualifier de laboratoires de recherches artistiques. Un domaine encore méconnu du grand public, et pour cause, les informations à son sujet sont rares. Les recherches pour cet article ont été laborieuses concernant cette notion, pourtant de plus en plus importante. Il n’est pas impossible que certaines informations soient incomplètes au vu du peu d’articles et de textes disponibles pour recouper les informations dans ce domaine. Alors pourquoi parler maintenant de ces laboratoires de recherches ? Qu’impliquent-t-ils pour le domaine artistique ?

Si cette notion d’artiste-chercheur est toute récente, elle est néanmoins sous-jacente et présente dans la pratique artistique depuis les débuts de l’Histoire. L’évolution de l’histoire des arts est le fruit du travail de ces artistes-chercheurs. Au sens le plus strict, à une époque pas si lointaine un artiste pouvait être considéré à la fois comme artiste, et comme érudit, voire scientifique. Léonard de Vinci en est sans doute l’exemple le plus fameux. À la fois peintre mondialement reconnu, ses recherches dans les domaines scientifiques sont d’une toute aussi grande importance.
Plus proches de nous, des personnalités comme les frères Lumière n’ont-ils pas installés, grâce à une innovation technologique, le cinématographe, les bases d’un des arts majeurs des siècles suivants ?
D’une manière différente, les avant-gardes de toutes les époques n’ont-elles pas cette même fonction d’artistes-chercheurs ? Si l’on considère la recherche comme une discipline destinée à faire avancer la compréhension ou l’exploration d’un domaine, alors les avant-gardes en sont une parfaite incarnation dans l’art.
Si l’on fait une analogie entre art et science, au début du vingtième siècle, Albert Einstein propose une révolution conceptuelle dans le domaine de la physique. Il met à mal la notion d’espace et de temps comme l’avait décrite Isaac Newton quelques 200 ans plus tôt. Il propose une vision inédite d’un espace-temps non plus absolu, mais relatif à notre vitesse et à notre emplacement dans l’espace. À la même époque, les avant-gardes historiques comme les dadaïstes parmi d’autres proposent une toute nouvelle manière de concevoir la création artistique. Ils remettent en question les conceptions fondamentales de l’art et de l’esthétique, mais aussi des mœurs, de la politique ou du progrès. Ils sont aujourd’hui pleinement reconnus pour l’évolution qu’ils ont apporté à l’histoire de l’art.
Si le contexte de ces deux exemples, l’un dans le domaine de la physique théorique, l’autre dans celui de l’art sont très différents par nature, on peut aisément voir des similitudes dans la manière dont les propositions qu’ils ont faites ont propulsé leurs domaines respectifs vers une nouvelle manière d’être abordés.
En découle une question, en quoi leurs processus créatifs diffèrent ? Si un artiste est celui qui offre une nouvelle vision du monde par sa pratique, Einstein en fait partie. Si un chercheur est celui qui explore les limites de sa discipline pour la pousser hors de ses frontières conventionnelles, Dada en fait partie. Bien sûr, c’est simplifier ces deux notions que de faire ce genre de raccourci, mais il y a dans ces propositions une part de vérité.

L’émergence de laboratoires de recherches artistiques dans des écoles d’art est calquée sur les laboratoires de recherches scientifiques classiques que l’on trouve dans les universités. Alors pour en revenir à la question initiale de ce qui fera un artiste dans les années à venir, serait-ce une professionnalisation, au sens classique du terme, des acteurs de l’art contemporain qui fera les artistes de demain ? Des artistes qui ne doivent plus produire seulement des images et des formes, mais qui seront dans l’obligation de développer autour de leur travail une théorie de leur pratique artistique ?  C’est déjà le cas dans les écoles d’art qui demandent aux étudiants un mémoire pour appuyer leur diplôme. Une idée qui semble à priori assez légitime. Qu’on demande aux artistes d’expliquer leur travail. Un processus qui est d’ailleurs déjà largement effectué par les artistes contemporains. Néanmoins, institutionnaliser cette pratique ne met-elle pas en danger la liberté dont jouiront les artistes de demain ?

De nombreuses questions auxquelles il est difficile de répondre aujourd’hui. Et c’est pour faire connaître ce domaine encore trop méconnu que le Palais de Tokyo présente Vision du 13 au 18 avril. Une programmation où des équipes d’artiste-chercheurs de nombreuses écoles d’art de France proposent de faire connaitre leurs activités et leurs productions. De la documentation, des archives, des livres y seront présentés, ainsi que des œuvres, des conférences, des tables-rondes et des événements live. Une très bonne occasion de découvrir ce domaine de l’art contemporain dont on n’a sans doute pas fini d’entendre parler dans les années qui arrivent.

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