SOCIÉTÉ

Les mots ont un sens

Le mot est omniprésent dans tous les médias depuis l’allocution du président de la République au matin du 14 novembre, quelques heures après les terribles attentats de Paris  : guerre. Certains l’utilisent pour illustrer la gravité du moment, d’autres le brandissent pour agiter les foules et les peurs. Mais sommes-nous réellement dans une telle situation  ? Et si oui, en guerre contre qui  ?

Qu’est-ce qu’une « guerre » ?

Selon le dictionnaire Larousse, la définition du mot guerre est simplement la suivante  : «  Lutte armée entre États  ». Ah. Dans la mesure où l’organisation qui s’est baptisée elle-même «  État islamique  », n’est pas un état, peut-on vraiment parler de «  guerre  »  ? Cela semble compromis. Il existe bien entendu d’autres types de guerres, comme les guerres civiles, qu’elles soient interreligieuses, ou interethniques. Mais le principe de la guerre civile, c’est qu’elle se déroule à l’intérieur même d’un État. Alors à moins de considérer que nous sommes en guerre avec certains de nos propres concitoyens, soit faire devenir le rêve de l’organisation «  État islamique  » une réalité, non, nous ne sommes pas en guerre.

Pourquoi l’organisation terroriste «  État Islamique  » n’est pas un État  ?

Pour les abrutis en mode kalachnikov, nous rappelons ici la définition du mot «  État  »  : «  société politique résultant de la fixation, sur un territoire délimité par des frontières, d’un groupe humain présentant des caractères plus ou moins marqués d’homogénéité culturelle, et régi par par un pouvoir institutionnalisé.  ». Sachant que vous occupez des parties de territoires appartenant à des États (cf. la définition deux lignes plus haut) souverains, et que vous ne faites pas «  nation  », et que votre pouvoir n’est pas institutionnalisé, vous ne pouvez décemment pas vous appeler «  État ». Rajoutons également qu’un État gagne aussi et surtout sa légitimité lorsqu’il est reconnu par ses pairs.
De manière faussement pudique, les politiques avaient pris l’habitude d’appeler cette organisation terroriste «  Daesh  », l’acronyme arabe parfait de… «  État Islamique en Irak et au Levant  ». Une appellation qui tombe donc à l’eau, puisqu’en voulant nier le caractère étatique de l’organisation terroriste en utilisant par le mot français, on utilise un acronyme arabe susceptible d’être compris pas… 470 millions de personnes arabophones dans le monde, contre 245 millions de francophones. CQFD.

D’autres commencent eux à considérer l’adversaire comme un véritable État. Ainsi, Nicolas Sarkozy a parlé sur France 2 d’un « État Islamique, puisqu’il faut appeler notre adversaire par son nom ». Étrange pour l’ancien Président, qui n’a cessé depuis les attentats de janvier de montrer son attachement à éviter les amalgames, en ne désignant pas par cette appellation, une organisation terroriste qui n’a rien d’un état, ni rien d’islamique.

Cependant, peut-on parler d’un nouveau type de conflit ?

Assurément oui. Le président de la République a eu d’ailleurs tendance à parler « d’actes de guerre », soit des actes ressemblant à ce que l’on peut rencontrer en temps de guerre. De même, les frappes aériennes de la coalition internationale contre l’organisation « État Islamique » sont des actes de guerre, ciblés sur des théâtres d’opérations particuliers, en Irak depuis 2014, et en Syrie depuis peu.

ESCAD SIPA

Deux avions Rafales en vol de reconnaissance au-dessus de l’Irak en août 2014. ESCAD/SIPA

La guerre a évolué depuis le XVIIIe siècle : de deux armées face à face sur un espace donné, on a évolué vers des guerres de mouvements, puis depuis quelques années, vers des conflits déshumanisés, à l’image des drones américains, par exemple. Lorsqu’ils utilisent des hommes, les guerres et les conflits sont menés par des groupes réduits, comme des forces spéciales, ou bien, des terroristes et des kamikazes.

Les mots ont un sens. Arrêtons donc de les faire zigzaguer pour appuyer des propos, trop souvent nauséabonds. Prenons plutôt le temps d’analyser, et d’expliquer. C’est peut-être plus de cette manière que nous pourrons gagner la « guerre ».

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