SOCIÉTÉ

Le Yémen : un Etat qui se déchire

Au sud de la péninsule arabique, parmi d’autres pays comme la Syrie ou l’Irak, le Yémen, connu sous le nom d’ « Arabie heureuse » dans le monde antique, est actuellement dans une situation chaotique. Le pays est aujourd’hui réputé comme “le plus misérable du Moyen-Orient” et “en guerre depuis cinquante-trois ans”.

Le Yémen, territoire de chaos

Depuis le 23 janvier, le Yémen se retrouve sans gouvernement ni président. Les deux têtes de l’exécutif, appartenant au courant sunnite de l’Islam, comme la majorité du territoire, ont plié sous la pression des miliciens chiites (islam orthodoxe), les houthistes, qui ont pris le contrôle du palais présidentiel et plusieurs bâtiments gouvernementaux, ce qui a causé la démission du président Hadi et du premier ministre Bahah.

Le 26 janvier, les houthistes bloquaient l’accès à l‘université de Sanaa, la capitale, pour empêcher des manifestants de riposter contre l’envahissement des milices rebelles sur le territoire. Déjà, ils avaient la veille dispersé la foule par des tirs en l’air à balles réelles. Des manifestants et des journalistes ont été arrêtés et parfois même, pour certains, agressés violemment.

Impossible pour les partis politiques de réussir à convaincre le président Hadi de revenir sur sa démission. Ce dernier déclare que le pays est dans une « impasse totale », notamment après la prise du palais présidentiel. Dans sa lettre de démission, le premier ministre Khaled Bahah a justifié sa décision par le fait qu’« il veut éviter que les membres de son cabinet puissent être considérés comme responsables de ce qui se passe et de ce qui se passera au Yémen ». Cet ancien ministre du pétrole de 49 ans qui avait été désigné le 13 octobre pour former le gouvernement évoque son intention de se démarquer du président Hadi, dont il semble contester les concessions faites aux miliciens chiites. Les houthistes, qui ont pris en septembre le contrôle d’une grande partie de Sanaa réclament plus de poids dans les institutions de l’Etat et contestent le projet de Constitution prévoyant de faire du Yémen un Etat fédéral avec six régions. Les miliciens chiites étaient toujours présents autour du palais présidentiel le 27 janvier, en dépit d’un accord par lequel ils s’engageaient à se retirer de ce secteur et de la résidence du Premier ministre, et surtout à libérer le chef de cabinet du président, Ahmed Awad ben Moubarak, enlevé le 24 janvier.

En contrepartie, le président Hadi s’était engagé mercredi à amender le projet de Constitution. En outre, l’accord prévoyait que les houthistes ainsi que le mouvement sudiste et les autres factions politiques « privées de représentation équitable dans les institutions de l’Etat, auront le droit d’être nommés dans ces institutions ».

Le président Hadi avait été élu en 2012 après le départ d’Ali Abdallah Saleh, chassé du pouvoir dans la vague des Printemps arabes. Le gouvernement avait été nommé en vertu d’un accord de paix ayant mis fin en septembre à des combats après l’entrée des miliciens chiites dans la capitale. Il avait été rejeté dès sa prestation de serment en novembre par l’ex-président Saleh et ses alliés de la milice chiite.

Théâtre de l’interminable guerre chiite et sunnite

La guerre fait toujours rage entre ces deux courants de l’islam qui divisent les populations et créent dans ces pays un climat belliqueux et instable. L’un orthodoxe, le chiisme, est minoritaire au Yémen, mais majoritaire dans le monde musulman. Il est ici représenté par les houthistes. L’autre courant, le sunnisme, majoritaire sur le territoire yéménite, détient le pouvoir qui semble désormais vaciller.

C‘est en 2004 que la rébellion houthiste prend de l’ampleur. Elle tient son nom de ses dirigeants Hussein al-Houthi, et ses frères. Issue de la guerre du Saada, qui a lieu lors de la troisième guerre du Yémen, elle a débuté lorsque les rebelles zaïdistes, ont lancé une insurrection sur le gouvernement yéménite le 18 juin 2004. Les zaïdistes sont une branche de l’islam chiite, qui ne représente qu’un tiers de la population yéménite, dont la majeure partie est sunnite. La milice rebelle est, à la suite du printemps arabe en 2011, revenue au premier plan dans le contrôle militaire et politique du pays après le départ du président Ali Abdallah Saleh. Ce dernier garde des relations avec les rebelles et exerce toujours une certaine influence sur ces réseaux.

Confinée dans le nord du pays où se livrent des affrontements depuis 2004, la milice rebelle a réussi à pénétrer dans les rues de Sanaa le 21 septembre 2014 et étendu son influence depuis vers l’ouest, où ils ont pris le port stratégique de Hodeida situé sur la mer Rouge, le centre et le sud du Yémen, où se trouvent certaines régions pétrolières. En fait, ils prétendent combattre la corruption au sein de la sphère politique, se considèrent marginalisés sur le plan religieux, mais aussi politique, économique et social. Ils militent pour un retour de l’imamat, un régime monarchique et théocratique dans lequel le pouvoir spirituel et politique est dicté par les imams chiites, et qui remplacerait l’actuelle République arabe du Yémen, qu’ils accusent d’être inféodée aux Etats-Unis. Ils rejettent fermement la proposition de découpage du Yémen en un Etat fédéral de six régions, estimant que le découpage envisagé partage le Yémen entre régions riches et pauvres.

Les houthistes chiites sont soutenus par l’Iran (chiite à 90 %) et sont les adversaires des insurgés sunnites (islam orthodoxe) d’Al-Qaïda. Mais ils considèrent également les États-Unis comme un ennemi, comme l’ont prouvé les manifestations organisées vendredi dans la capitale Sanaa où des milliers de personnes ont scandé “mort à l’Amérique, mort à Israël”.

Réactions sur le plan international

Si des rumeurs ont pu surgir quant à l’arrêt des recherches antiterroristes des Etats-Unis sur le territoire yéménite, le président Obama dément. En effet, le Yémen est un territoire de prédilection pour Al-Qaïda, c’est d’ailleurs, rappelons-le, d’Al-Qaïda au Yémen que se sont revendiqués les auteurs de la tuerie de Paris à Charlie Hebdo. Le gouvernement américain continue donc de traquer les terroristes avec vigueur malgré ce chaos politique. Cependant, cet effondrement politique ne facilite pas les choses et constitue un revers important pour Washington dans sa lutte contre Al-Qaïda dans la péninsule Arabique (Aqpa). Il faut savoir qu’Aqpa est considéré par Washington comme le bras le plus dangereux du réseau extrémiste Al-Qaïda. Les agents américains en poste au Yémen travaillaient avec les autorités gouvernementales sur la base aérienne d’Al Annad, à partir de laquelle ils surveillaient les activités d’Aqpa. L’exécutif yéménite “donnait son aval” pour des frappes aériennes américaines sur son territoire, “mais il contribuait aussi aux efforts sur le terrain” avec ses propres forces, souligne un responsable du département de la Défense. Malgré cela, le porte-parole de la Maison blanche, Josh Earnest, a déclaré que Washington entendait poursuivre sa collaboration avec les autorités yéménites dans la lutte contre le terrorisme, et des missions d’entraînement continuent d’être menées. Certaines autorités américaines craignent que l’instabilité dans laquelle se trouve le Yémen ne laisse à Aqpa l’espace nécessaire à son expansion. “Notre priorité est de maintenir la pression contre Al-Qaïda au Yémen et c’est ce que nous faisons”, a déclaré Barack Obama.

Le parlement du Yémen devait par ailleurs se réunir pour discuter de la démission du Président, mais la date de la réunion a finalement été reportée à une date inconnue. Le lundi, une réunion à l’ONU a été mise en place pour le règlement du conflit yéménite. Jamal Benomar, l’émissaire de l’ONU au Yémen, poursuit des contacts avec les principaux protagonistes pour tenter de faire appliquer un accord datant de septembre 2014 et qui vise à faire partir les miliciens chiites de Sanaa. Il a accouru à Sanaa jeudi après la recrudescence des violences qui ont fait au moins 35 morts et 94 blessés, et a rencontré des représentants des forces politiques du pays. Devant la presse, il a appelé les représentants des forces politiques, y compris ceux des houthistes, à « résoudre toute divergence (…) par le dialogue et loin de toute violence ou chantage » politique.

Finalement, il semblerait que tout ne soit qu’une question de qui détient le pouvoir, chiites ou sunnites. Si un groupe, les houthistes, souhaite une « récupération des droits spoliés », les autres, sunnites au pouvoir, affirment la nécessité de respecter l’accord passé sous l’égide des Nations unies qui traduit un redécoupage administratif en six régions [faisant du Yémen un Etat fédéral], conformément à un projet de Constitution qui ne fait pas l’unanimité. Malgré des concessions accordées aux houthistes par le président maintenant démissionnaire, qui souhaitait leur offrir une plus grande représentation politique, il n’y fait rien. Celles-ci n’ont été suivies d’aucun retrait des milices.

Le président et son gouvernement ont été placé en résidence surveillée. La puissante milice chiite au Yémen a fixé dimanche 1er février un ultimatum de trois jours aux autres forces politiques pour trouver une sortie de crise après la démission de l’exécutif, faute de quoi elle décidera de l’avenir de l’Etat avec ses alliés. Les habitants redoutent désormais que l’instabilité politique mène à une paralysie de l’administration, et personne ne sait si les salaires des employés de l’Etat seront versés à la fin du mois ou si les services publics continueront de fonctionner.  Les rebelles contrôlent désormais près de 50 % du territoire du Yémen. L’organisation humanitaire Oxfam a averti que 16 millions de Yéménites, soit plus de la moitié de la population, ont besoin d’aide. Selon l’ONG, “une crise humanitaire aux proportions extrêmes menace le pays si l’instabilité continue”.

21 ans - Etudiante à Sciences Po Strasbourg

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